Ici, avec Dialogo Chino, on se pose la question de l’avenir de la compétition entre la Chine et les Etats-Unis en Amérique Latine avec l’entrée en fonction de l’administration Biden et sa stratégie face à la Chine.

Tous les regards sont tournés vers le président élu Joe Biden. Comment va-t-il résoudre la crise économique et sanitaire, et unifier un pays divisé ? Et puis, il y a les relations avec la Chine que Biden va devoir gérer, le premier partenaire commercial des États-Unis et une superpuissance rivale émergente dans l’hémisphère occidental.
Biden a déjà formé son équipe de politique étrangère, qui comprend Alejandro Mayorkas, le premier latino-américain à la tête du ministère de la Sécurité intérieure, et Avril Haines, la première femme à la tête des services de renseignement.
La rhétorique de l’équipe sur l’immigration et le climat diffère déjà nettement de celle de l’administration Trump. Mais, d’après des experts en politique étrangère, il ne faut pas s’attendre à un changement de cap dans les relations Washington-Pékin. Tout comme Trump, l’administration Biden conservera une position très ferme envers la Chine.
“L’idée que la Chine et les Etats-Unis sont deux rivaux stratégiques fait l’objet d’un soutien bipartite, et cela inclut également l’influence de la Chine en Amérique latine”, a déclaré Bruno Binetti, analyste du groupe de réflexion The Dialogue, basé à Washington DC.
“Les instruments de politique étrangère pourraient éventuellement changer, mais pas les objectifs”.
Bruno Binetti
Sous l’administration Trump, les États-Unis ont déclenché une guerre commerciale en imposant des droits de douane d’une valeur de 550 milliards de $ sur les produits chinois. De plus, ils ont menacé les gouvernements qui s’alignaient sur Pékin et ont lancé des initiatives afin de contrer l’influence de la Chine et de son intiative la Ceinture et la Roue (BRI).
L’hostilité à l’égard de l’engagement économique et financier chinois en Amérique latine, et dans le monde entier, a également été au centre de la politique étrangère américaine de l’administration Trump. Cette présence suscite de réelles inquiétudes aux Etats-Unis. Ces préoccupations de longue date ont été reprises en main par Biden et la plate-forme du Parti démocrate.

Tout au long de la campagne présidentielle américaine, le président élu Biden et Donald Trump ont tous deux déclaré leur intention de jouer la carte de la fermeté face à la Chine. Mais, la Chine gagne rapidement du terrain, en particulier en Amérique latine.
L’influence de la Chine en Amérique latine
Avec une croissance économique rapide et un excédent de capitaux, la Chine est devenue le plus grand prêteur en Amérique latine. Au cours de la dernière décennie, “L’Empire du Milieu” a investi environ 10 milliards de $ en Amérique latine. Elle a financé des projets d’infrastructure et est devenue le plus grand partenaire commercial du Chili, du Brésil, du Pérou et de l’Uruguay, remettant en cause la présence historique des États-Unis dans la région.
“Pour étendre son influence économique et politique , la Chine a cherché des opportunités de marché dans des régions comme l’Amérique latine pour financer des projets d’infrastructure“, a déclaré Aaron Schneider, professeur d’études internationales à l’université de Denver. “Ça a représenté des milliards d’investissements chinois, des prêts et une augmentation des échanges commerciaux entre la Chine et l’Amérique latine”.
Au cours de la dernière décennie, les États-Unis ont cherché à freiner l’influence chinoise dans la région par le biais d’un certain nombre de mesures. En 2015, Barack Obama a lancé le Trans-Pacific Partnership, le TPP. Une initiative visant à libéraliser le commerce entre 12 pays du pourtour du Pacifique et dont l’objectif non avoué, mais sans doute trop net, était de contrer la Chine. Mais, la stratégie TPP fut enterrée par Donald Trump dès son arrivée au pouvoir en 2017.
Alors que Trump retirait les États-Unis du reste du monde, la Chine a fait un geste et a signé en novembre 2020 le plus grand accord de libre-échange au monde. 15 pays de la région Asie-Pacifique ont signé le partenariat économique régional global (Le RCEP, traduit en français PERG). Ce pacte deviendra l’accord commercial le plus important du monde en termes de produit intérieur brut (PIB). Avec le RCEP, les efforts américains se retrouvent réduits à néant, et Joe Biden aura du mal à proposer une alternative solide.
L’administration Trump a fait pression sur l’Amérique latine pour limiter les relations entre la Chine et l’Amérique latine. En 2018, le Salvador a bénéficié d’un “don” de la Chine s’élevant à 150 millions de $. Suite à cela, les républicains ont menacé de retirer le Salvador du plan de développement en Amérique centrale proposé par l’administration Obama, un projet d’Alliance pour la prospérité.

Sous Trump, les États-Unis ont également utilisé leur influence pour défier les entreprises technologiques chinoises en Amérique latine. Le Brésil doit lancer en 2021 les appels d’offres pour la 5G, avec le groupe chinois Huawei et les européens Ericsson et Nokia sur les rangs. En juin 2020, Trump a ouvert des pourparlers avec le président brésilien Jair Bolsonaro et proposé un financement dans les télécommunications et la 5G, dans l’espoir de voir le Brésil bannir le chinois Huawei. Selon Aaron Schneider, un tel projet nécessiterait la réinstallation complète de la technologie des télécommunications.
Schneider pense que Joe Biden continuera à utiliser les mêmes moyens de pression. “Biden est peut-être un peu plus diplomatique, et le département d’Etat un peu moins armé dans ses tactiques, mais ce conflit de base demeure”.
La guerre commerciale
Dans cette guerre commerciale opposant les Etats-Unis à la Chine, la mise en place de droits de douane entre les deux pays, a échoué. “Officiellement, Donald Trump veut lutter contre le déficit commercial des Etats-Unis”, avance Mary-Françoise Renard, économiste spécialiste de la Chine. “Il pense qu’en réduisant les importations chinoises, il peut rééquilibrer la balance commerciale entre les deux pays”, confirme Françoise Nicolas, docteure en économie internationale.
Mais, la croissance économique américaine a ralenti, les investissements des entreprises sont gelés et les entreprises ont embauché moins de salariés. Dans tout le pays, des agriculteurs ont fait faillite et les secteurs de l’industrie et du fret ont atteint des niveaux jamais vus depuis la dernière récession. Selon Heather Long du Washington Post, les mesures prises par Trump ont entraîné l’une des plus fortes hausses d’impôts depuis des années.
Certains pays d’Amérique latine ont bénéficié en partie de la guerre commerciale, notamment le Brésil et l’Argentine. Ils ont augmenté leurs exportations de produits agricoles vers la Chine. Avec les entreprises manufacturières chinoises et américaines délocalisées au nord du Mexique pour contourner les droits de douane et faciliter l’accès au marché américain, le Mexique a été qualifié par certains de “gagnant de la guerre commerciale sino-américaine”.
Mais, certains experts économiques, comme Otaviano Canuto, économiste brésilien, directeur du Centre d’Etude en Macroéconomie et Développement, affirment que l’Amérique latine vit une série de victoires à court terme. Sur le long terme, la région finira par subir l’impact négatif de la guerre commerciale.
“Je pense que Biden va essayer de désamorcer la guerre commerciale, mais cela ne se fera pas d’un seul coup”, a déclaré M. Binetti. “Des décisions d’entreprises en termes d’investissement ont été prises sur la base de ces tarifs de douane. Je ne vois pas ces droits de douane disparaître du jour au lendemain, cela coûterait cher à Biden”.
Selon Binetti, l’administration Biden essaiera probablement de contenir la Chine par le biais de forums multilatéraux.
Un changement de tactique ?
Avec le Panama, le Salvador et la République dominicaine, qui ont fait passer leur allégeance de Taïwan à la Chine, les États-Unis ont réalisé qu’ils devaient offrir une alternative aux investissements chinois.
“Vous ne pouvez pas contrer la Chine sans une alternative attrayante pour Biden et les Etats-Unis” .
Bruno Binetti
On remarque déjà un changement de tactique dans les mesures récemment prises par l’administration Trump pour contrer les investissements chinois en Amérique latine. En effet, en décembre 2019, l’administration Trump et la Chambre de commerce des États-Unis, ont lancé le plan “America Grows”. Ces quatre dernières années, Mauricio Claver-Carone a été l’architecte de la politique qui vise à investir dans des projets d’infrastructure clés (routes, ports, projets énergétiques) en Amérique latine pour concurrencer les investissements chinois.
Bien qu’elle soit moins connue que la BRI – les nouvelles Routes de la soie, l’initiative “America Grows” bénéficie d’un large soutien de tous les partis aux États-Unis. Le président élu Biden poursuivra les efforts. M.Biden lui-même a demandé 4 milliards de dollars dans le cadre de partenariats public-privé afin de promouvoir l’investissement privé et réduire la pauvreté en Amérique centrale.
“Le mode de financement ressemblera beaucoup à celui de l’administration Obama et à celui de l’initiative “America Grows” de l’administration Trump”, a déclaré M. Schneider.