Les relations diplomatiques entre la Chine et le Chili ont toujours été fréquentes. Le Chili est le premier pays latino-américain à avoir reconnu la Chine en 1970 sous la présidence de Salvador Allende. Depuis, les traités et accords commerciaux sont nombreux, et régulièrement actualisés, révisés à l’instar du traité de libre-échange signé en 2005 puis renégocié en 2015 et enfin remis à niveau en 2019.
Depuis une quinzaine d’années, la Chine est devenue l’acteur économique le plus important du continent latino-américain. La politique actuelle de la Chine vise à̀ accroitre et renforcer ses relations économiques et politiques avec cette région.
Sous la Présidence de Trump, les tensions avec les pays latino-américains et le revirement de la politique économique pour un protectionnisme engendrent, de manière générale, une méfiance des dirigeants sud- américains envers les Etats-Unis. La Chine a su tirer parti de cela et à utiliser son expérience de développement économique pour se positionner comme un modèle alternatif potentiel dans la région. Ceci, au point où certains s’inquiètent de l’influence toujours croissante de la Chine et de l’affaiblissement de la traditionnelle mainmise des Etats-Unis sur l’Amérique latine, souvent désignée comme « l’arrière-cour des États-Unis ».

Depuis l’établissement des relations diplomatiques en 1970, le Chili et la République populaire de Chine ont évidemment connu des périodes de rapprochement et d’éloignement, mais leur pragmatisme leur a permis de dépasser leurs craintes. Il s’agit d’un exemple singulier de changement radical de régime politique interne (dans le cas chilien) sans conséquence sur la politique étrangère, preuve du système de non-ingérence.
La mondialisation et les modifications économiques internationales ont donné une nouvelle impulsion à la relation bilatérale. Malgré la distance géographique et culturelle, les liens bilatéraux sont en voie d’approfondissement. Les deux pays affichent une certaine volonté politique dans ce sens, traduite par les nombreux contacts de haut niveau. Étant donné la croissance chinoise, le Chili va lui accorder de plus en plus d’attention au vu de son choix de développement économique tourné vers l’extérieur. De plus, la Chine siège au Conseil de sécurité de l’ONU, ce qui lui donne un poids important dans les affaires multilatérales. Du point de vue de la Chine ; les pays d’Amérique du Sud sont des partenaires sereins car ils n’affichent pas d’intérêts géostratégiques dans le bassin du Pacifique ; ainsi il n’y a pas de tensions entre le Chili et la Chine.

L’existence de relations Sud-Sud stables peut être comprise comme la conséquence de l’évolution de ces États dont la croissance économique nécessite la création de nouveaux échanges, notamment avec des partenaires non traditionnels.
Les enjeux pour la Chine
Le Chili représente pour la Chine un territoire riche en métaux dont elle a besoin. Ainsi, encore en 2019 la majorité des produits exportés par le Chili sont issus du secteur minier et le principal partenaire économique du Chili n’est autre que la Chine. La Chine entend bien développer ses relations avec Santiago pour assurer son approvisionnement en cuivre et en lithium notamment.
En effet ; le Chili représente 28% de la production mondiale de cuivre et possède 54% des réserves mondiales de lithium.
- La croissance chinoise a besoin d’ouvrir de nouveaux marchés extérieurs
- Elle a de grandes capacités d’investissement, particulièrement dans les infrastructures
- Ses besoins alimentaires croient continuellement
- Elle cherche une diversification de ses sources
POINTS FORT DU CHILI | POINTS FAIBLE DU CHILI |
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La principale action économique menée par les Chinois sur l’économie chilienne réside dans le domaine des investissements.
Durant l’année 2021, le Chili a vu les flux d’IDE augmenter, principalement tirés par les investissements réalisés dans les mines et les hydrocarbures. Selon le World Investment Report 2022 publié par la CNUCED, les flux d’IDE vers le Chili ont augmenté de 32% pour atteindre 12 milliards de $ (contre 9,6 milliards $ en 2020). Ceci s’expliquant en parti par plusieurs acquisitions importantes et un regain d’intérêt pour l’industrie minière.
Les politiques économiques chiliennes, fondées sur le principe de la transparence des capitaux et de la non-discrimination à l’égard des investisseurs étrangers, constituent l’une des forces du pays. Les investisseurs sont également attirés par la richesse des ressources naturelles du Chili, la stabilité de son système macro- économique, son potentiel de croissance, sa sécurité juridique et son faible niveau de risque. Le Chili est considéré comme l’une des destinations d’investissement les plus importantes d’Amérique latine et le pays a progressé dans la facilitation des procédures administratives de création d’entreprise au cours des dernières années en permettant l’enregistrement en ligne des sociétés fermées. Selon l’Economist Business Environment, le Chili se classe 20e sur les 82 pays analysé pour leur « climat » d’investissement.
La politique d’investissement étranger au Chili repose sur la simplicité, la transparence et la non-discrimination à l’égard des investisseurs étrangers. Sur le plan fiscal, les investisseurs étrangers bénéficient d’un impôt modéré sur les sociétés et ils ont un accès garanti au marché formel des changes, y compris le transfert gratuit de capitaux et de bénéfices. Un nouveau type juridique de société a été développé, la « Société à responsabilité limitée simplifiée » qui permet à un étranger de créer une entreprise au Chili sans avoir besoin d’un partenaire local.
Le gouvernement a mis en place une stratégie de promotion et d’attraction des investissements étrangers qui comprenait la création d’une nouvelle agence nationale de promotion des investissements ; InvestChile. Cette dernière assiste les entreprises étrangères dans leurs investissements au Chili. Le gouvernement a identifié 5 secteurs d’investissement prioritaires :
- Les services de l’industrie minière
- L’industrie alimentaire sophistiquée
- Les services technologiques exportables
- Le tourisme
- L’énergie / la logistique
L’achat des entreprises électriques Chilquinta en 2019 (pour 2,2 milliards de dollars) et General Electricity Company en 2020 (pour 5 milliards de dollars) par l’entreprise chinoise State Grid International Development Ltd a laissé plus de 60% du marché national chilien de la distribution d’électricité entre les mains des chinois.

De telles acquisitions dans des secteurs si stratégiques soulèvent des questions à propos de la régulation des investissements.
C’est pourquoi les investisseurs étrangers doivent obtenir des autorisations spécifiques pour investir dans certains secteurs stratégiques tels que l’exploration et l’exploitation d’hydrocarbures ou la production d’énergie nucléaire. En fait, la Constitution établit le « domaine absolu, exclusif, inaliénable et permanent » de l’État chilien sur tous les gisements de minéraux, d’hydrocarbures et de combustibles fossiles sur le territoire national ; mais le gouvernement est autorisé à accorder des droits de concession aux particuliers et aux entreprises pour des activités d’exploration et d’exploitation.
Ceci explique pourquoi une entreprise chinoise a remporté en partie un appel d’offre lancé par le gouvernement chilien pour l’extraction de lithium, s’élevant à un montant total de 61 millions d’euros, a indiqué le ministère des Mines.
L’entreprise chinoise BYD a remporté un lot pour 61 millions d’euros. Pour une durée de 7 ans consacrée à l’exploration suivie de 20 ans supplémentaires pour l’exploitation, elle exploitera 80.000 tonnes de lithium, soit 1,8% des réserves connues de lithium au Chili. BYD (acronyme de Build Your Dreams) est un conglomérat chinois basé à Shenzhen dans la province de Guangdong qui produit notamment des voitures électriques.
Plus de la moitié des investissements se sont d’abord concentrés sur l’exploitation pétrolière et minière avant de se déplacer, entre 2012 et 2017, en accord avec les objectifs chinois de soutien et de promotion de la construction d’infrastructures en Amérique latine, vers la production d’énergie électrique. Ces dernières années, l’intérêt des entreprises chinoises s’est porté sur le lithium (élément clé dans la fabrication de batteries de voitures et de matériel électronique, et, par conséquent, de la lutte pour le contrôle des technologies de pointe). Via l’acquisition totale ou partielle de grandes compagnies chiliennes, les entreprises publiques chinoises ont pris le contrôle de près de la moitié de la production mondiale actuelle de lithium.
Ce marché est caractérisé par les oligarchies familiales qui possèdent les différents groupes industriels à la tête du pays. L’obtention des marchés fonctionne via le système des appels d’offre publiés par le Ministerio de las Obras Publicas. Les règles du marché chilien sont très formalisées et les entreprises chinoises ont dû apprendre à les respecter. Par exemple, le Chili protège ses emplois et limite l’utilisation de travailleurs étrangers sur les chantiers. L’année 2018 a marqué un véritable changement de relation avec la Chine. Dans cette multiplication de volonté chinoises envers les minerais chilien c’est l’organisme InvestChile qui fait office de relais et qui par l’organisation de réunions travaille avec les entreprises chinoises afin de leur permettre la meilleure implantation possible.

Ainsi, la compagnie chinoise CRRC Sifang Locomotive Rolling Stock Co., Ltd. a remporté en novembre 2018 son premier appel d’offre dans le ferroviaire, qui lui permettra d’équiper la région de Concepción et le sud du pays. Le Chili a commandé 15 trains à CRRC. Ces trains ont été développés et fabriqués par CRRC dans l’usine de Temoinsa, à Santiago. Ce projet et ces nouveaux trains ont été présenté lors d’une cérémonie de visite du train inter- cité du Chili et a même été diffusée en direct au public par la ministre des Transports et des Télécommunications ; Gloria Hutt, qui a fait l’éloge de l’amélioration que ces installations et ces trains apporteront à la situation de la circulation au Chili.
Toujours en novembre 2018, le groupe chinois Joyvio a annoncé avoir signé une promesse de vente avec l’entreprise chilienne Australis, leader dans la production du saumon, pour un montant de 880 millions de dollars. Ainsi, depuis 2018, la présence chinoise dans le pays s’intensifie. En janvier dernier plus de 10 projets étaient lancés. Ces quelques exemples illustrent la prise de position dans les différents secteurs économiques chiliens : rachat de 27% de Transelec, entreprise génératrice d’électricité ; association entre Sigdo Koppers et China Railways Group Limites pour un projet de train entre Santiago et Valparaiso ou encore achat à hauteur de 12,5% de Fósforo, entreprise d’allumettes.
Vue sous l’angle d’une volonté d’accès aux ressources de lithium, l’implantation chinoise au Chili apparait comme stratégique. Après de longues années sans véritable échange, le rapprochement chinois vers le Chili lui a permis petit à petit, par la création de liens et l’établissement d’une confiance réciproque, de s’implanter dans différents secteurs stratégiques des ressources chiliennes (énergie, ferroviaire, construction). La production de lithium est, depuis la fin de la dictature, exploitée par 2 entreprises, la chilienne SQM et l’américaine Albemarle. L’accès au contrôle de cette ressource est restreint et l’arrivée d’un nouvel acteur chinois pouvait paraitre impossible. Cependant, en créant une dépendance économique au Chili, la stratégie chinoise tient en tenaille le pays en s’imposant comme son premier partenaire économique.
Ainsi, en octobre 2018 après quelques mois d’enquête, le Tribunal de la Libre Compétition, autorisa la prise d’action à hauteur de 24% de SQM par l’entreprise chinoise Tianqi pour un montant de 4 millions de dollars. Une plainte avait été déposée sur le principe de non-respect de la concurrence et de possible concentration.

Cet avis positif du TDLC laisse entendre que le Chili préfère favoriser un partenariat économique avec la Chine, quitte à perdre le contrôle de l’exploitation d’une ressource naturelle rare. Le doute subsiste sur la création d’un monopole puisque la Chine possède également des parts chez le concurrent américain Albemarle.
La Chine a placé ses pions de façon très stratégique. Par l’intermédiaire de l’entreprise Tianqi, le pays accède à une position dominante grâce au lithium chilien. En Australie, Tianqi possède également 51% d’une mine codétenue avec Albemarle. Comme l’écrit Philippe Escande dans Le Monde du 26 Octobre 2018, « cette situation aboutit de fait à créer un oligopole comme il en existe peu dans le monde pour une matière première aussi stratégique », ces trois entreprises contrôlant les deux tiers de la production de lithium. La Chine contrôle ainsi aujourd’hui près de 60% de la production mondiale de ce minéral.

Dernièrement, nous avons pu voir via ASOEX, (l’association des exportateurs de fruits du Chili) ; une nette augmentation de l’exportation des cerises, des raisins et des myrtilles chilienne pour l’exercice 2022-2023 et cela notamment grâce au marché chinois.
Les exportations chiliennes de cerises ont atteint un record de 415 315 tonnes en 2022-2023, soit une croissance en volume de +16,55 % par rapport à la saison précédente, selon des données d’Asoex. Ces excellents résultats pourraient s’expliquer par la reprise du marché chinois (après la levée des restrictions Covid), et aussi par l’amélioration des procédés logistiques chilien.
En effet, les ports de départ et d’arrivée de ces fruits chilien ont été diversifié pour éviter les « goulots d’étranglement » et le ralentissement du transport. Le nombre de bateaux affrétés pour la Chine (port de Dalian, dans le nord-est de la Chine) ont été augmenté.
Tout ceci est le symbole de la progression que le Chili doit avoir dans ses autres secteurs économiques avec la Chine ; production croissante, amélioration logistique, diversification des lieux de départs et d’arrivée.

Par Loïc Gabard, Analyste stagiaire Amérique Latine à l’Observatoire Français des Nouvelles Routes de la Soie