Fin janvier 2023, Petr Pavel, ancien chef du comité militaire de l’OTAN, a remporté l’élection présidentielle tchèque. Il remplace donc Milos Zeman, dont le mandat a pris officiellement fin en mars 2023. Alors président depuis 2013, Milos Zeman avait fait de la promotion des Nouvelles Routes de la Soie un axe phare de ses deux mandats et avait qualifié l’initiative chinoise de “projet le plus important de l’histoire moderne”. Cet article analyse à quel point l’initiative chinoise a été adopté par la République Tchèque et dans quelle mesure l’élection de Petr Pavel pourrait changer les relations entre la Chine et la République Tchèque.

Sous la présidence de Milos Zeman, avec comme Premier ministre Bohuslav Sobotka de 2014 à 2017, la République Tchèque rejoint officiellement les Nouvelles Routes de la Soie en 2015. Alors que la République Tchèque possède un réseau de transport étendu et avancé, reliant le pays à d’autres pays membre du marché unique européen, avec des liaisons routières directes vers l’Allemagne, la Pologne et la Slovaquie, un dense réseau ferroviaire et des vols directs vers de nombreuses villes européennes et internationales, s’en suit l’aspiration pour le président Zeman de transformer son pays en porte d’entrée de la Chine pour les marchés d’Europe centrale et occidentale. Au total, ce sont 17 accords qui sont signés entre les deux pays. L’attente de la République Tchèque était alors d’augmenter ses exportations vers la Chine et de recevoir 3 milliards d’euros d’investissements en 2016, et 7 milliards d’ici à 2020.
Milos Zeman avait alors multiplié les visites à Pékin en 2014, 2015, 2017 et plus récemment en avril 2019 pour participer à la seconde édition du Belt and Road Forum. Prague avait aussi accueilli divers forum d’investissements chinois et le président Zeman avait fait en 2017 de Ye Jianming, alors Président du conglomérat chinois CEFC, son conseiller particulier aux affaires chinoises.

Néanmoins plusieurs limites à la coopération entre les deux pays apparaissaient déjà, et ce avant l’élection de Petr Pavel fin janvier 2023. Déjà depuis décembre 2017, Andrej Babis est subséquemment nommé Premier ministre après la victoire de son parti ANO aux élections législatives. Babis remplace ainsi Bohuslav Sobotka et adopte une posture plus sceptique à l’égard de l’initiative chinoise. Aussi, le rôle apparent de la CEFC en tant qu’agent de diplomatie économique de la Chine a tourné court lorsque Ye Jianming, alors conseiller de Milos Zeman, s’est vu confondre en Chine pour faits de corruption. De ce fait, malgré la signature du Memorandum of Understanding en 2015, le partenariat entre les deux pays dans le cadre des nouvelles routes de la soie reste limité, le fait de ne pas avoir rejoint la Banque Asiatique des investissements pour les infrastructures (BAII) en est aussi un exemple concret. La réticence à devenir l’un des membres-fondateurs a empêché la République Tchèque de mieux s’impliquer dans cette institution financière clé des Nouvelles Routes de la Soie, et au final, peu de projets ont été concrétisés en République Tchèque.
Aussi, les investissements chinois à destination de la République Tchèque restent limités et en dessous des espoirs de Milos Zeman. En 2016, les investissements chinois en République tchèque ont été estimés à 631 millions d’euros par la Banque nationale tchèque, inférieur aux attentes initiales de 3 milliards d’euros. Lorsque l’on considère les statistiques de l’OCDE sur les investissements étrangers directs à destination de la République Tchèque de 2015 à 2019, il apparaît notamment que l’Allemagne a investi 2 fois plus sur cette même période, que les 751 millions de dollars qui proviennent de Chine. De plus, en 2017 et en 2018, les investissements directs en provenance de la Chine sont de valeur négative, indiquant des sorties d’investissements supérieures aux entrées. Si les pays européens restent la principale source des flux d’investissements vers la République Tchèque, en provenance de l’Asie sur la période 2015-2019, les IDE en provenance de la Corée du Sud s’élève à 1 milliard de dollars, soit environ 57 % de plus que ceux de la Chine.
Au regard du commerce, en 2020, la balance commerciale de la République Tchèque est positive. Le pays exporte au total plus qu’il n’importe et met en avant un modèle de croissance économique basé sur les exportations. Avec l’Allemagne, son principal partenaire commercial, la balance commerciale s’élève à 22 milliards de dollars en faveur de la République Tchèque. À l’inverse, la Chine est le pays avec lequel la République Tchèque a le plus gros déficit commercial. Ce déficit s’élève à 28 milliards de dollars en 2020.
Néanmoins, il convient de souligner que la République Tchèque est le deuxième partenaire commercial de la Chine en Europe centrale et que les exportations de la République Tchèque vers la Chine sont quasiment en constante progression comme l’illustre ce graphique :

Malgré les efforts de promotion des nouvelles routes de la soie par Milos Zeman et l’espoir de devenir un partenaire clé pour la Chine en Europe, les retombées de l’adhésion dès 2015 à l’initiative chinoise restent limitées.
Par ailleurs, d’autres difficultés viennent compromettre les relations entre les deux pays. En 2021, un rapport de l’agence de renseignement de la République Tchèque (BIS) met en lumière l’influence grandissante de la Chine dans diverses activités en République Tchèque. Le rapport pointe du doigt des activités de renseignement, d’espionnage et de cyberattaque. Ce n’est pas la première fois que de telles inquiétudes sont soulevées. En décembre 2018, l’agence nationale tchèque de la cybersécurité (NUKIB) avait déjà averti que Huawei représentait une menace pour la sécurité du pays, ce qui avait suscité la surprise du président Zeman et de son gouvernement. Depuis lors, malgré l’enthousiasme du président Zeman à l’égard des investissements chinois, la République Tchèque a adopté une approche plus mesurée en ce qui concerne la sécurité de ses télécommunications, en renforçant sa réglementation et en prenant des mesures pour limiter la participation de Huawei dans le développement de l’infrastructure des télécommunications du pays.
Plus récemment, le 8 mars 2023, le NUKIB a émis un autre avertissement concernant l’application TikTok et son potentiel de menace pour la sécurité nationale. Selon cet avertissement, le NUKIB recommande d’interdire l’installation et l’utilisation de TikTok sur les appareils ayant accès au système réglementé, tels que les appareils d’entreprise et les appareils personnels utilisés à des fins professionnelles.
Il est très probable que la récente élection de Petr Pavel poursuive cette tendance de méfiance envers la Chine. Au cours de sa campagne électorale, Pavel a soutenu une ligne pro-européenne et a souligné l’importance de l’OTAN. Après avoir été élu, Petr Pavel a déclaré à la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen que son pays se tiendrait aux côtés de l’île et que Taiwan était un partenaire fiable pour la coopération dans tous les domaines. Cette déclaration va à l’encontre du principe internationalement reconnue d’une seule Chine, et attise le mécontentement de Pékin qui considère cette déclaration comme une interférence dans les affaires internes de la Chine. Par ailleurs, dans une interview avec le Financial Times, Pavel a soutenu qu’il était important de reconnaître que la Chine ne peut pas être considéré comme un pays ami à l’heure actuelle et ne partageant pas les mêmes objectifs stratégiques et principes que les démocraties occidentales.
L’exemple de la République Tchèque prouve une nouvelle fois qu’en Europe, l’initiative des nouvelles routes de la soie doit convaincre de ses bienfaits. La diplomatie chinoise en Europe fait face à de nombreux défis, devant parfois se repenser pour convaincre et que chaque élection peut remettre en cause le chemin parcouru.
Par Théo LETSIS, Analyste au Pôle Europe de l’OFNRS