Avant même que l’Arabie Saoudite ne devienne un État en tant que tel, la région du Golfe et le Moyen-Orient constituaient un carrefour important d’échanges avec la Chine. La ville de Djeddah, ville portuaire au bord de la mer Rouge, permettait le transit des échanges par les mers. La naissance puis l’expansion de l’islam permettra ensuite le développement des relations culturelles et économiques entre la Chine et l’Arabie Saoudite. Pour autant, l’officialisation des relations diplomatiques entre les deux pays n’interviendra qu’en 1990. Leur alignement opposé durant la Guerre froide n’avait auparavant pas favorisé leur rapprochement. Le Royaume d’Arabie Saoudite, hostile au communisme, avait depuis Mao puis Deng Xiaoping été méfiant envers la République Populaire de Chine.

La coordination de la relation bilatérale a par la suite été facilitée par des visites officielles successives. Les chefs d’État chinois Jiang Zemin, Hu Jintao et Xi Jinping ont effectué des visites d’État en Arabie Saoudite, respectivement en 1999, 2006 et 2009, et 2016. En cohérence avec la stratégie diplomatique chinoise, toutes ces visites ont mené à la signature d’engagements et d’ententes. La plus importante de ces visites fut celle du président Xi Jinping en 2016, puisqu’elle a abouti à l’établissement du partenariat stratégique global entre la Chine et l’Arabie Saoudite. La même semaine, Pékin signait ce même type d’accord avec l’Iran.
Durant la même année, Riyad proposait sa « Vision 2030 » , présentée lors du sommet du G20 à Hangzhou en 2016. Pékin et Riyad ont alors décidé d’établir une commission conjointe de haut niveau pour accorder stratégiquement la BRI et la Vision 2030.
Cette stratégie « Saudi Vision 2030 » mise en place par Riyad succède à d’autres initiatives pour diversifier l’économie, contrairement au modèle actuel, très concentré et dépendant de l’énergie pétrolière. Certains experts chinois ont néanmoins exprimé leur scepticisme à l’encontre de la Vision 2030 annoncée par Riyad. Si ce programme permettrait effectivement des réformes économiques utiles, sa mise en œuvre n’est pas assurée compte tenu des conditions structurelles du pays qui ne garantissent pas encore la réussite d’un tel plan de réforme. L’Arabie Saoudite manque notamment cruellement de main d’œuvre et de ressources humaines. La stratégie de diversification des partenaires économiques et financiers du pays permettrait de créer un contexte plus favorable à la mise en place de ses réformes. Des flux massifs d’investissements directs étrangers sont attendus pour soutenir cette ambition. La Chine a joué un rôle important à cet endroit concernant la composante numérique de la Vision 2030, en se basant sur l’établissement d’une économie du savoir. Huawei a signé des protocoles d’entente avec l’Arabie Saoudite pour renforcer ses capacités en matière de numérisation « intelligente ». L’entreprise chinoise a également signé un protocole d’entente avec l’ACWA Power, une firme saoudienne, pour coopérer dans les domaines de l’intelligence artificielle et des métadonnées 1.
Plusieurs entreprises chinoises sont engagées dans des projets de construction d’infrastructures en Arabie Saoudite antérieurs à l’annonce de la BRI. La China Railway Construction Company intervient par exemple dans la construction d’un train à grande vitesse Mecca-Medina-Djeddah pour le transport des visiteurs effectuant le hajj, ainsi que dans la centrale électrique au nord de Djeddah, la plus grande du Moyen-Orient. La construction d’une zone industrielle dans le projet de ville économique de Jazan va également faire intervenir des fonds chinois. En 2009, la coopération entre la Chine et l’Arabie Saoudite sur ce site avait débuté par l’accord de Hu Jintao et du roi Abdallah, prévoyant un investissement chinois de 1.2 milliards de dollars pour la construction d’une fonderie d’aluminium. La ville héberge également un port stratégiquement situé sur la BRI et capable de desservir l’Afrique orientale.

La Vision 2030 est également porteuse d’une « Initiative verte » fixée par le gouvernement saoudien. L’Initiative engendre des investissements massifs pour le Royaume et s’inscrit dans une perspective très large de changement économique. « The Line », le projet de construction d’une ville du futur à l’intérieur de NEOM, alimentée à 100% à l’aide d’énergies renouvelables, témoigne des ambitions du pays.

L’Initiative verte saoudienne n’est pas un projet isolé puisqu’elle est contenue dans l’Initiative verte du Moyen-Orient. Cette Initiative plus large visant à accompagner les actions en faveur de l’environnement dans la région, est dirigée par l’Arabie Saoudite elle-même. À Sharm el-Sheikh, durant la COP27, l’Arabie Saoudite avait annoncé contribuer à l’Initiative verte du Moyen-Orient à hauteur de 2.5 milliards de dollars sur une période de 10 ans. « L’ambition, l’engagement et la solidarité démontrés par l’Initiative verte au Moyen-Orient envoient les bons messages à la communauté internationale. […] C’est la décennie pour ralentir et inverser le changement climatique et les pertes de terres productives et de diversité biologique, si nous cherchons un avenir sûr, juste et prospère », a alors déclaré Ibrahim Thiaw, Secrétaire exécutif de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (CLD).
Pour la Chine, l’Arabie Saoudite possède plusieurs attributs majeurs que sont notamment son rôle de puissance énergétique, sa place dans le monde musulman et son emplacement géostratégique important. Le pays est en effet placé sur les axes terrestres et maritimes de la BRI. Occupant à lui-seul 80% du territoire de la péninsule arabique, l’Arabie Saoudite est le seul pays possédant des côtes maritimes à la fois au golfe Persique et à la mer Rouge. En possédant les détroits d’Hormuz et de Bab el-Mandeb, l’Arabie Saoudite offre un accès de transit par les mers.
Concernant le commerce de marchandises en provenance de Chine vers l’Arabie Saoudite et le Moyen-Orient, le terme de « business Ali Baba » est parfois employé pour qualifier la pratique commerciale de la Chine 2. Cette pratique consiste à utiliser l’avantage comparatif de l’identité musulmane des pays asiatiques dans le but de réaliser davantage d’échanges commerciaux avec les États du Moyen-Orient. Cette stratégie s’établit en lien avec la Malaisie, dont la religion officielle est l’islam. La Chine fait transiter ses produits en Malaisie où ils sont transformés et expédiés au Moyen-Orient avec le certificat halal malaisien. Tant les malais que les chinois – qui exercent par là-même des échanges plus importants avec les pays arabes du Moyen-Orient – trouvent leur compte dans ce système.
Par ailleurs, la composante énergétique demeure centrale dans l’appréhension des relations sino-saoudiennes. Les réserves officielles de pétrole de l’Arabie Saoudite sont les deuxièmes plus importantes au monde. Selon l’OPEP, le pays possède 267 milliards de barils, soit une part de 22% des réserves mondiales3. L’Arabie Saoudite représente pour la Chine l’un des deux plus grands fournisseurs de pétrole, avec la Russie. Les sanctions américaines contre l’Iran avaient d’ailleurs grandement favorisé les importations chinoises en provenance de l’Arabie Saoudite et ces importations n’ont pas diminué sous l’effet de la pandémie de Covid-19.
L’Arabie Saoudite possède d’importantes réserves de pétrole brut « acide » et la Chine se montre prête à construire de nouvelles raffineries pour le transformer. Depuis la fin des années 1990, Pékin et Riyad se sont engagés à investir conjointement dans la construction de raffineries de pétrole en Chine.
Les importations pétrolières de Pékin ont pris une importance au niveau lorsque la Chine s’est affichée aux yeux du monde comme le ré-unificateur de l’Arabie Saoudite avec une autre puissance régionale avec qui les relations diplomatiques étaient rompues depuis alors sept ans : l’Iran. Si cette initiative peut être analysée comme une nouvelle preuve de la progression de l’importance politique de la Chine dans la région au détriment des Etats-Unis, il est surtout de fait d’analyser la médiation de ce rapprochement diplomatique comme un témoignage de la dépendance chinoise à ses importations pétrolières et de son besoin de sécuriser ses échanges.
Malgré son engagement de carboneutralité à atteindre d’ici 2060, la Chine ne sortira pas si rapidement de cette dépendance et, comme les Etats-Unis à une certaine époque, oriente donc sa politique extérieure vers la sécurisation des sources et des routes d’approvisionnement en énergies fossiles. Les réserves pétrolières de l’Iran sont les troisièmes au monde selon l’OPEP5. Bien que les deux puissances régionales possèdent encore des approches divergentes sur la question de production et de la vente d’hydrocarbures, leurs intérêts et ceux de la Chine sont donc de plus en plus réciproques.

Le pétrole n’est pas la seule source d’énergie exportée en Chine par Riyad. Les deux pays coopèrent concernant les projets pétrochimiques et gaziers, mais également dans le domaine de l’énergie nucléaire civile. Dans un accord signé par le premier ministre chinois, Wen Jiabao, lors d’une visite en Arabie saoudite en janvier 2012, Pékin et Riyad ont convenu de renforcer leur coopération dans le développement et l’utilisation de l’énergie atomique à des fins pacifiques.
Bien qu’en 2015, l’Arabie Saoudite soit devenue l’un des membres fondateurs de la Banque Asiatique pour les Investissements dans les Infrastructures (BAII), le pays n’est pas nettement intégré au système financier chinois. Ce « retard » relatif contraste avec l’intégration de certains de ses voisins du Golfe qui participent à investir financièrement en Chine, à l’instar des Emirats Arabes Unis. Pour autant, les échanges entre Pékin et Riyad devraient accroître à l’avenir leur coopération financière. Si l’Iran utilise le yuan comme monnaie d’échanges dans ses exportations de pétrole avec la Chine, d’autres Etats, dont l’Arabie Saoudite, souhaiteraient pouvoir en faire de même. Lors du sommet réunissant la Chine aux pays du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), le président Xi Jinping a appelé à « utiliser pleinement le Shanghai Petroleum and Gas Exchange pour vendre du pétrole et du gaz en utilisant la monnaie chinoise ». Riyad, pour qui le sujet de l’adoption du yuan a régulièrement été remis sur la table ces dernières années, considère actuellement accepter cette perspective, amoindrissant ainsi l’importance de la monnaie américaine dans la région. Une telle mesure permettrait à Pékin d’accroître la prépondérance de sa monnaie sur la scène internationale, conformément à la stratégie de développement de la présence du yuan dans le système financier international. Lors du forum de Davos, le ministre saoudien des Finances, Mohammed Al-Jadaan, annonçait que le pays était maintenant prêt à se détacher du dollar et de l’euro. Cet annonce s’inscrit également dans une perspective visible à l’échelle de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS). Les pays membres de cette Organisation ont en effet déclaré leur intention d’établir une « feuille de route pour l’augmentation progressive de la part des monnaies nationales dans les règlements mutuels », ainsi que des accords pour « renforcer la coordination en matière d’énergie (pétrole, gaz naturel, exploration nucléaire et politique ». Une plus grande utilisation du yuan dans la relation sino-saoudienne, si celle-ci venait à progresser, serait donc un développement cohérent et serait suivie probablement par d’autres États du Golfe.
Le 8 décembre 2022, Xi Jinping était reçu à Riyad par le roi Salman et son fils héritier. Cette visite marque le premier déplacement du président chinois en Arabie Saoudite depuis l’instauration du partenariat stratégique global en 2016. Pékin assoit son influence dans la région du Golfe et se place face à la relation historique qu’elle possédait jusque-là avec l’Occident. Cette visite fut l’occasion de signer une vingtaine d’accords, d’une valeur de plus de 27,8 milliards d’euros. L’Arabie Saoudite prévoit notamment d’attribuer des contrats à des firmes chinoises concernant des projets stratégiques. L’expertise de la Chine sur les technologies liées à la reconnaissance faciale et au technologies de surveillance devrait être sollicitée par Riyad pour accompagner le projet de NEOM, chiffré à 500 milliards de dollars.

À l’issue de cette visite, la Chine et l’Arabie Saoudite ont publié une déclaration conjointe décrivant les domaines sur lesquels leur coopération serait réaffirmée. La déclaration fait également état de considérations politiques sur lesquelles les deux États se sont entendus, faisant notamment référence au conflit en Ukraine. Certains points de friction sont pour autant bien connus de la relation sino-saoudienne. La politique régionale très affirmée de l’Arabie Saoudite s’oppose à la préférence prononcée de Pékin pour la stabilité, qui pourrait se montrer sceptique face aux perturbations régionales auxquelles contribue Riyad.
La visite de Xi Jinping en Arabie Saoudite n’est encore une fois pas due au hasard puisque le lendemain de la rencontre avec les dirigeants saoudiens se tenait à Riyad le sommet du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) auquel la Chine était conviée afin de renforcer le partenariat entre Pékin et les six États membres du Conseil, notamment en vue du potentiel futur accord de libre-échange Chine-CCG, pour lequel les relations diplomatiques tendus entre l’Arabie Saoudite et le Qatar avaient retardé les négociations. L’intégration de la Chine au sein des discussions d’une instance régionale s’inscrit dans la vision de Pékin selon laquelle « la meilleure façon de défendre son intérêt est de faire entendre sa propre voix dans les processus décisionnels ».4

La déclaration commune publiée à l’issue du sommet témoigne de prise de position commune sur des enjeux régionaux et internationaux, de même que l’adoption d’un plan d’action sur quatre ans dans le but de renforcer la coopération stratégique entre la Chine et le CCG. Le président chinois a affirmé vouloir renforcer la coopération énergétique de la Chine avec les États du Golfe. De son côté, l’Arabie Saoudite a officiellement rejoint l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) en tant qu’ « État partenaire de dialogue ». Le processus d’adhésion était lancé depuis 2021 et sa concrétisation intervient à la suite de la signature par la société Saudi Aramco d’accords définitifs pour l’acquisition d’une part de 10% de la société chinoise Rongsheng prévoyant de fournir 480 000 barils de pétrole brut saoudien à la filiale de Rongsheng, Zhejiang Petroleum and Chemical.
Si la relation entre ces deux acteurs semble mettre du temps à s’établir, il n’en paraît pas moins certain que cette coopération risquerait de s’installer sur le long terme. Elle ne s’instaurerait pas simplement vis-à-vis des enjeux économiques mais engloberait également les domaines diplomatique ou technologique. Les pays du Golfe, aujourd’hui majoritairement dépendants de la production et de la vente de pétrole, cherchent à diversifier leur économie et à attirer de nouveaux investissements directs étrangers. Bien que le pétrole reste central dans les relations avec ces États, la Chine saisit cette ambition et amorce une coopération basée sur les investissements dans les énergies renouvelables, la technologie et les infrastructures. C’est en Arabie Saoudite que les investissements de la Chine se sont particulièrement diversifiés, annonçant ainsi plus pérenne la coopération entre les deux États.
La visite a été critiquée du côté des États-Unis. L’Arabie Saoudite est sous l’influence du Pacte du Quincy, en vertu duquel le pays s’engage à fournir du pétrole à Washington en échange de sa protection militaire et de son soutien dans les affaires régionales. Riyad, qui craint de plus en plus de ne pas pouvoir compter sur le soutien américain en cas de tensions régionales, et en cohérence avec sa stratégie de diversification, considère s’éloigner de cet accord. Aujourd’hui, l’Arabie Saoudite se montre même prête à coopérer avec Pékin concernant le domaine de la sécurité et de la défense, jusque-là exclusivement réservé aux Etats-Unis. Pour autant, même si la Chine coopère avec l’Arabie Saoudite sur la vente et la production d’armes, elle ne cherche pas à renverser le statu quo. Le système de sécurité régionale garanti par les Américains est pour la Chine une assurance de stabilité de la région. Cependant, les routes maritimes commerciales entre la Chine et les pays du CCG sont principalement sous la domination sécuritaire des États-Unis, ce qui pourrait à terme poser problème à Pékin.
Si le rapprochement stratégique entre l’Arabie Saoudite et la Chine semble témoigne d’un phénomène, observable sur le long terme, de changement d’influence entre la Chine et les États-Unis, il témoigne d’abord d’une volonté de l’Arabie Saoudite et plus généralement des pays du Golfe de diversifier ses partenaires. Pour Riyad, cette diversification s’inscrit dans sa perspective de « Regard vers l’Est » (« Looking East » ). Bien que l’Arabie Saoudite et la Chine discutent d’une coopération dans le domaine sécuritaire, Riyad reste encore sous l’influence et la protection des Etats-Unis.

Par Alicia Tintelin, Cheffe du Pôle Proche-Orient à l’Observatoire Français des Nouvelles Routes de la Soie (OFNRS)
1 Huawei signs 5 MoUs with Saudi Arabia ministries to develop ICT infrastructure, TelecomReview. 2019.
2 D Delfolie, Nathalie Fau, E Lafaye de Micheaux, Malaisie -Chine : une « précieuse »
relation. 2016.
3 Organization of the Petroleum Exporting Countries, OPEC share of world Crude Oil Reserves. 2021.
4 Xinbo Wu, « China: Security Practice of a Modernizing and Ascending Power ». 1998.
5 Organization of the Petroleum Exporting Countries, OPEC share of world Crude Oil Reserves. 2021.