Depuis le 9 juillet 1988, qui correspond à l’établissement des relations diplomatiques entre le Qatar et la République Populaire de Chine (RPC), les relations bilatérales entre les deux pays ont connu un développement important dans de nombreux domaines, en misant notamment sur la complémentarité de leurs économies.

Dû à sa mise sous protectorat britannique de 1916 à 1971, et contrairement à l’Arabie Saoudite qui a entretenu des contacts avec la Chine durant la Conférence de Bandung en 1955, le Qatar a été relativement isolé politiquement durant cette période. Il a tout de même été le quatrième État du Golfe à établir des relations diplomatiques avec la RPC. La première visite d’un haut fonctionnaire qatari à Pékin, le vice-ministre des Affaires étrangères, Hamad bin Suhaim al-Thani, a eu lieu les 23 et 26 août 1988. Réciproquement, en juin 1993, le vice-premier ministre chinois Li Lanqing s’est rendu au Qatar et a rencontré l’émir du Qatar, Hamad bin Khalifa al-Thani.

Une seconde phase dans le rapprochement des deux États débute 6 ans plus tard, lors de la visite de l’émir Hamad bin Khalifa al-Thani en Chine en 1999 qui a orienté la direction des relations bilatérales des deux pays. Cette visite a été la première visite d’un chef d’État qatari en RPC.

Une troisième étape dans la relation sino-qatarie débute en novembre 2014, lors de la visite de l’Émir Tamim bin Hamad al-Thani. Le président Xi Jinping témoignait alors d’un intérêt grandissant pour le Qatar à l’échelon régional. Cette visite a donné lieu à la signature d’un partenariat stratégique et ainsi qu’un mémorandum d’entente sur un partenariat pour la construction des Routes de la Soie. Le partenariat stratégique entre les deux pays repose sur le développement d’intérêts communs ou complémentaires. En effet, depuis 2014, le développement des Routes de la Soie, conjugué à la Vision nationale 2030 du Qatar, fait évoluer les relations bilatérales.

Pékin voit dans le Qatar un partenaire stratégique pour sa Route de la Soie, et ce, grâce à ses atouts dans les composantes économiques et énergétiques mais également pour son rôle au sein du Conseil de coopération du Golfe (CCG). Dans le même temps, la coopération sino-qatarie, de même que le développement des Routes de la Soie, peut servir Doha à mettre en avant sa Vision nationale 2030 (QNV2030). Cette vision, définissant les stratégies nationales du pays, est une véritable feuille de route pour le développement du Qatar. Par sa volonté d’investir dans le développement humain, social, économique et environnemental, la Vision nationale 2030 est relativement conforme au projet des Routes de la Soie. La réalisation des Routes de la Soie chinoise amène la Chine à cerner les besoins en infrastructure du Qatar et à investir dans les réseaux de transport terrestre et maritime, de même que dans les télécommunications. De nombreux projets de constructions d’infrastructures locales sont également portés par des entreprises chinoises au Qatar.

Logo du Conseil de coopération des États arabes du Golfe (CCG)

En 2017, la chambre du commerce et de l’industrie du Qatar (QCCI) rejoint, grâce à un protocole d’entente signé entre les deux parties, la chambre du commerce international de la Route de la Soie (SRCIC)[1]. L’année suivante, un mémorandum d’accord est signé entre la Chine et le Qatar afin d’identifier les opportunités d’investissements maritimes mondiaux et servir à la fois la Vision nationale 2030 et les Routes de la Soie[2].

Au commencement des relations bilatérales, en 1988, jusqu’en 2017, le volume des échanges commerciaux entre les deux États est passé de 50 millions à 10,6 milliards de dollars[3]. Les entreprises chinoises sont engagées dans de nombreux projets de construction stratégiques à Doha comme dans le reste du pays, tels que le port de Hamad, se situant à 40 km de Doha, entre les villes d’Al Wakrah et de Mesaieed, celui-ci projette de faire 14 fois la taille actuelle du port de Doha. S’inscrivant dans la Vision nationale 2030, il sera amené à devenir l’un des plus grands ports du Moyen-Orient. Il est en partie construit par l’entreprise China Harbor Engineering (CHEC)[4]. Le Qatar cherche à diversifier son économie et développe ainsi ses voies commerciales, notamment maritimes. En janvier 2017 a été lancé un service direct régulier entre le port d’Hamad et Shanghai, afin d’augmenter les volumes échangés et de réduire les temps de transport avec les régions d’Extrême-Orient et d’Asie du Sud-Est. Pour autant, le Qatar peine à rivaliser avec d’autres acteurs du Golfe avec lesquels la Chine travaille également, notamment pour constituer la route commerciale maritime (MSRI), lesquels sont notamment les Émirats arabes unis ou l’Arabie Saoudite.

Le port de Hamad

La Chine a également participé à la construction du stade de Lusail, construit à l’occasion de la Coupe du Monde de la FIFA 2022, sur une parcelle d’un kilomètre carré, à 20 km de Doha. Accueillant 80 000 spectateurs, il est l’un des projets les plus importants développés par une entreprise chinoise au Qatar, la China Railway Construction (CRCC). Cette même compagnie, révélait le Times en octobre 2022, aurait également construit des camps de détentions pour la population Ouïghoure dans la province du Xinjiang[5]. Cet élément s’ajoute au drame causé par la construction du stade de Lusail, pour lequel le quotidien The Guardian rapportait en février 2021 qu’il aurait causé la mort d’au moins 6500 travailleurs étrangers, après enquête auprès des ambassades et des services gouvernementaux[6].

Toujours en prévision de la Coupe du monde, l’autorité des zones franches du Qatar (QFZA) et la société chinoise Yutong ont également signé un accord prévoyant la fabrication de bus électriques. Yutong doit ainsi fournir 1 002 véhicules au Qatar, dont 741 seront électriques. En plus de la Coupe du monde qui s’est ouverte le 20 novembre 2022, le Qatar accueillera la Coupe d’Asie 2023, après le retrait de la candidature de la Chine en raison de sa politique anti-Covid.

Le stade de Lusail, construit par la société China Railway Construction

Sur le plan financier, le Qatar a fait partie des premiers États à adhérer à la Banque Asiatique d’Investissement pour les Infrastructures (BAII), banque servant à soutenir les mécanismes financiers qui sous-tendent l’initiative des Routes de la Soie et à développer des infrastructures bénéficiant à ce projet. De son côté, la Chine a ouvert un centre de compensation du yuan chinois (RMB) au Qatar en avril 2015. Ce centre est le premier du genre au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, et possède un capital de 30 milliards de RMB. Il facilite ainsi les échanges et les investissements en monnaie chinoise entre Pékin et Doha et, de manière générale, entre les pays arabes du Golfe et l’Asie du Sud-Ouest. Ce partenariat s’inscrit dans la stratégie mondiale de la Chine de promotion du RMB sur la scène financière internationale.

S’agissant du secteur de l’énergie, le Qatar possède une importante réserve de gaz naturel liquéfié (GNL) et offre ainsi un marché important à Pékin, qui cherche à diversifier ses sources d’énergie et les acteurs chez qui elle importe, qui sont aujourd’hui majoritairement la Russie et l’Arabie Saoudite. Le partenariat stratégique entrepris entre le Qatar et la Chine vise d’ailleurs de manière centrale le thème de l’énergie. Selon le ministre du Commerce et de l’Industrie, Ali bin Ahmed al-Kuwari, le Qatar est le deuxième exportateur de GNL de la Chine. La demande croissante d’énergie de la Chine se conjugue avec la volonté du Qatar d’atteindre une capacité de production de GNL de 100 millions de tonnes par an.

Siège de la compagnie Qatar Petroleum à Doha

La première livraison de GNL qatari à la Chine a eu lieu en octobre 2009. En septembre 2018, le producteur Qatargas et PetroChina International ont signé un accord sur 22 ans prévoyant de fournir 3,4 millions de tonnes de GNL par an à la Chine. Un même type d’accord sur 5 ans a à nouveau été signé un mois plus tard entre Qatar Petroleum et la Chinese Oriental Energy prévoyant de fournir 600 000 tonnes de gaz de pétrole liquéfié (GPL) par an à la Chine. L’industrie pétrolière du Qatar n’a pas une importance significative à l’échelon régional et international et ne concurrence pas les plus gros exportateurs de pétrole brut en Chine, si bien que le partenariat énergétique entre les deux pays se situe davantage à l’endroit de la production gazière.

Le domaine de l’énergie est central dans la relation sino-qatarie, à l’instar des celles tenues par la Chine avec les autres pays du Golfe. La dépendance pétrolière de la Chine est croissante et devrait atteindre 80% d’ici 2035[7]. Cette vulnérabilité a une incidence importante sur la direction de la politique étrangère chinoise. Les importantes réserves gazières du Qatar sont donc une ressource stratégique pour la Chine. Le Qatar (14%) est notamment, derrière la Russie (25%) et l’Iran (15%), le troisième plus gros détenteur de GNL au monde, avec une réserve de 24,7 milliards de mètre cubes.

Le North Field, plus grand champ gazier offshore du monde, se situe dans le Golfe persique, entre le Qatar et l’Iran. Ce gisement, qui s’étend sur plus de 9 700 kilomètres carrés, se partage entre les deux États. Doha a lancé la première phase d’un programme, le North Field East, prévoyant le développement de la partie Est de ce champ gazier. Ce programme va permettre au Qatar une augmentation de sa capacité de production de GNL d’ici 2026[8], là où le pays était déjà considéré comme le premier exportateur de GNL depuis 2006, selon l’Agence Internationale de l’énergie (IEA).

À l’égard de ce projet, Qatar Energy a annoncé, le 21 novembre dernier, avoir signé un accord d’approvisionnement avec l’entreprise chinoise Sinopec. Cet accord, qui est le premier contrat promis au projet North Field East, prévoit la production de 4 millions de tonnes de GNL par an sur une durée de 27 ans[9]. Il s’agit d’une durée record pour un tel accord. Par voie de communiqué, Sinopec a évoqué que ce contrat était clé pour un partenariat stratégique intégré, laissant ainsi suggérer qu’une plus ample participation de la Chine pouvait être à entrevoir.

Le 21 novembre 2022, Qatar Energy signe un accord sur 27 ans avec la société chinoise Sinopec.

Par ailleurs, le fait que le Qatar adhère au CCG est un autre élément central à la stratégie chinoise d’entente avec Doha, puisque la Chine pourrait se servir de cette composante pour renforcer ses relations multilatérales avec le reste des membres du CCG, dans le but de promouvoir de manière renforcée les Routes de la Soie et aider à conclure un accord de libre-échange réciproque. La Chine tient à son statut de plus grand partenaire commercial du CCG. Lors de la rencontre entre les ministres des Affaires étrangères des pays du CCG et le ministre des Affaires étrangères et conseiller d’État Wang Yi, en septembre 2022, ce dernier a affirmé le désir de la Chine d’intensifier la coopération et de soutenir l’interconnexion entre les Routes de la Soie et les différentes stratégies nationales de développement des pays du CCG[10]. Il a également rappelé la volonté de toutes les parties de parvenir à un consensus à l’égard d’un accord de libre-échange entre la Chine et les pays du CCG.

La Chine tient à accroître ses relations à l’échelon bilatéral et multilatéral avec les États du Golfe. Elle souhaite œuvrer auprès des membres du CCG et forger des relations adaptées à chaque État et à leurs besoins spécifiques.

Le 19 septembre 2022, le ministre des Affaires étrangères et le Conseiller d’État Wang Yi a rencontré les ministres des Affaires étrangères des pays du Conseil de Coopération du Golfe à titre collectif lors de sa participation à l’Assemblée générale des Nations Unies.

Le Qatar, quant à lui, s’inscrit dans une perspective de diversification plus large de ses partenaires mais également de rapprochement avec une puissance discutant la relation de pouvoir sur la scène internationale face au déclin américain. Le Qatar est conscient des nouvelles dispositions géopolitiques de la scène internationale. L’Émir du Qatar, Hamad bin Khalifa al-Thani, a déclaré en mars 2009 que « la Chine arrive, l’Inde arrive et la Russie est en route […] Je ne sais pas si l’Amérique et l’Europe seront toujours en tête ». Le rapprochement et l’interdépendance croissante entre le Qatar et la Chine se comprend donc par ce biais. Plus tôt, en avril 1999, Hamad bin Khalifa al-Thani disait son gouvernement conscient du rôle de la Chine sur la scène internationale et disait apprécier « l’opinion de la Chine selon laquelle tous les pays, petits ou grands, sont égaux »[11]. Le modèle de développement et de partenariat de la Chine est attrayant pour de plus en plus de régimes arabes, qui cherchent à procéder à leur développement économique. La Chine mène une politique extérieure pragmatique, basée sur le principe de la non-interférence.

Attachée à sa position de neutralité à l’intérieur des conflits régionaux et inter-régionaux, la Chine développe soigneusement une coopération sur un modèle dit « gagnant-gagnant » basée sur le développement économique et l’investissement dans les infrastructures. À cet égard, le projet des Routes de la Soie permet des investissements massifs dans les infrastructures et le développement économiques du Qatar.

Et surtout, la force de la Chine est de pouvoir parler à tout le monde. Le 7 décembre, Xi Jinping effectuera une visite chez le voisin saoudien. Ce dernier qui a récemment souhaité le réchauffement des relations avec le Qatar, après 30 mois de blocus total entre 2017 et 2021.


Par Alicia Tintelin, Cheffe du Pôle Proche-Orient à l’Observatoire Français des Nouvelles Routes de la Soie (OFNRS)


  1. Qatar Chamber Sign Agreements with China’s Trade Promotion Council. Qatar Council, 2017.

  2. China Signs Port Investment MoU with Qatar. Port Technology International, 2018.

  3. China is Qatar’s key trading partner; trade volume at QR38.6bn. The Peninsula, 2018.

  4. China Harbour and Engineering wins Doha port deal. Construction Week, 2011.

  5. Phil Robinson, World Cup Stadium firm built Chinese “Internment Camp”. The Times, 2022.

  6. Pete Pattisson et Niamh McIntyre, Revealed: 6,500 migrant workers have died in Qatar since World Cup awarded. The Guardian, 2021.

  7. Brahim Saidy, Qatar and Rising China: An Evolving Partnership. Qatar University, 2017.

  8. Pierre-Alexandre Gourraud, La Qatar acte la Partage de North Field East. Energy News, 2022.

  9. China seals one of the biggest LNG deals ever with Qatar. Gulf News, 2022.

  10. Wang Yi rencontre les ministres des Affaires étrangères des pays du Conseil de Coopération du Golfe à titre collectif. Ministère des Affaires étrangères de la République Populaire de Chine, 2022.

  11. Mohamed Mousa Mohamed Ali, China’s Foreign Policy Towards the Gulf and Arabian Peninsula Region 1949–1999. University of Durham, 2001.