Où sont passées les nouvelles routes de la soie ? Le 20ème Congrès du Parti communiste Chinois (CPCC) a eu lieu à Pékin, il s’agit de la plus haute instance du Parti Communiste chinois (PCC) composée par le gratin des hauts fonctionnaires du parti ; le Congrès a lieu tous les cinq ans et il a pour but d’approuver la nouvelle sélection des membres du Comité central du PCC. A cette occasion, le Président chinois Xi Jinping a tenu un discours où il énonçait les priorités gouvernementales pour les cinq années à venir. Cependant, l’un des grands absents de ce long discours de deux heures était les Nouvelles routes de la soie. Selon le sociologue William Du Bois « Parfois garder le silence raconte plus que les mots. », quels sont donc les mots que cache ce silence ?

Les Nouvelles routes de la soie une priorité du 19ème CPCC

Si l’on remonte dans le temps et que l’on revient cinq ans en arrière, lors du discours de Xi Jinping à l’occasion du 19ème Congrès du Parti communiste Chinois, on peut noter l’attention particulière accordée aux Nouvelles routes de la soie. Celles-ci avaient été définies comme une priorité du deuxième quinquennat de Xi Jinping permettant d’accomplir l’objectif“d’un développement pacifiste et de la construction d’une communauté avec un destin lié pour le bien de l’humanité”. Il est à noter que le projet des Nouvelles routes de la soie a été lancé par Xi Jinping en 2013, il était donc tout naturel qu’il ait une place importante dans la définition des priorités du pays lors du 19ème CPCC qui s’est déroulé en 2017 à un moment où les projets et investissements chinois dans le cadre des Nouvelles routes de la soie étaient en plein essor. D’ailleurs, le Parti communiste chinois a intégré la promotion du développement de la Ceinture et de la Route dans sa Constitution, lors de ce congrès.

Derrière les Nouvelles routes de la soie : Xi Jinping, mais aussi l’idéologue Wang Huning

Wang Huning, penseur du projet des nouvelles routes de la soie, lors du 20e congrès du Parti Communiste Chinois

Wang Huning est un universitaire qui depuis les années 90 façonne la doctrine politique chinoise. Intégré en 1995 par l’ancien président Jiang Zemin au sein du Bureau de Recherche des politiques centrales, Wang Huning, brillant idéologue, a réussi à conseiller les trois derniers Présidents chinois : Jiang Zemin (1993-2003), Hu Jintao (2003-2013) et Xi Jinping (2013- ). C’est notamment à lui qu’on doit les fameux slogans qui ponctuent et symbolisent les règnes des dirigeants chinois comme par exemple le très connu « rêve chinois » (中国梦, zhōngguó mèng) de Xi Jinping qui illustre la doctrine du Président, une Chine prospère avec un gouvernement centralisé qui donne l’exemple.

C’est d’ailleurs lors de l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en tant que secrétaire général du Parti communiste chinois en 2012 que Wang Huning a intégré le Bureau politique. Les deux hommes sont assez proches puisque Wang Huning accompagne presque systématiquement Xi Jinping lors de ses déplacements, c’est aussi lui qui est derrière l’idée de l’initiative des Nouvelles routes de la soie. Souvent affichée comme la politique de Xi Jinping, les Nouvelles routes de la soie ne sont en réalité pas que le seul projet du Président chinois, Wang Huning a aussi travaillé à façonner le développement des Nouvelles routes de la soie. Si suite à la politique américaine de guerre économique contre la Chine certains ont soupçonné une possible retraite de Wang Huning qui pendant un certain temps a été absent de certaines réunions, sa position a été une nouvelle fois affirmée lors du CPCC puisque Xi Jinping l’a nommé au quatrième rang protocolaire du Comité permanent du bureau politique. La montée en puissance de Wang Huning indique une continuité politique, ce dernier devrait continuer d’être une influence pour Xi Jinping et les Nouvelles routes de la soie devraient poursuivre leur développement.

Des investissements peu contrôlés et une Chine qui fait face à des crises multiples

Ces dernières années et encore plus ces derniers mois, le projet a été critiqué à la fois par la communauté internationale, mais aussi à l’intérieur de la Chine. En effet, la stratégie d’investissements et de prêts de la Chine ne s’est pas faite sans prise de risques. Afin de construire de grands projets d’infrastructures dans les pays en développement, la Chine n’a pas hésité à leur accorder des prêts, et ce, même lorsqu’il était connu que les pays en question n’avaient pas forcément la capacité de rembourser ces prêts. La communauté internationale et en particulier les pays occidentaux ont accusé la Chine de pratiquer une diplomatie du « piège de la dette », ce que la Chine a toujours nié en bloc, et quelque soit les avantages que la Chine ait voulu en tirer, le « piège de la dette » s’est révélé être aussi piégeant pour la Chine. Les retards et défauts de paiement, ont mis en difficulté l’entreprise chinoise China Communication Construction Group (CCCG), l’une des entreprises qui a le plus investi dans les projets d’infrastructures à l’étranger.

Seulement, en dehors de ses activités à l’étranger, la CCCG est aussi un important investisseur dans le domaine de l’immobilier en Chine dont elle tire la majorité de ses recettes. L’effondrement du géant chinois de l’immobilier Evergrande a fait éclater les prémices d’une bulle immobilière qui menaçait le pays. Cette crise a accentué les difficultés de la CCCG qui en cinq ans a vu sa dette plus que doubler pour atteindre les 256 milliards de dollars, forçant l’entreprise à retarder certains de ses projets et faisant craindre la possibilité de voir des projets des Nouvelles routes de la soie non finis comme c’est actuellement le cas avec de nombreux immeubles en Chine. En parallèle, la crise immobilière en Chine a eu des répercussions sur de nombreux secteurs déjà fragilisés par la politique zéro-covid du gouvernement. Les acheteurs d’appartements dont les chantiers sont à l’arrêt ont menacé de ne plus rembourser leur prêt immobilier et les sociétés travaillant dans la construction immobilière n’ont plus de quoi payer leurs salariés. Certains spécialistes estiment que dans le futur le gouvernement chinois n’aura d’autre choix que d’assumer la responsabilité de la prise en charge du financement de certains projets immobiliers ou du remboursement des dettes des citoyens chinois car les autorités locales n’ont pas des moyens financiers suffisants pour assurer seuls ce rôle.

Cette crise immobilière et financière a créé du mécontentement auprès de la population et on a pu voir sur les réseaux sociaux chinois des critiques envers les Nouvelles routes de la soie, certains internautes remettent en question les dépenses importantes de la Chine dans des projets à l’étranger, quand le gouvernement devrait plutôt financer des projets en Chine. De manière générale, tous les indicateurs économiques chinois sont à la baisse, il a donc pu être considéré comme peu approprié de faire la promotion des Nouvelles routes de la soie dans un tel contexte.

Les Nouvelles routes de la soie en phase de restructuration

Était-ce un projet trop ambitieux ? La Chine compte débourser au total plus de mille milliards de dollars dans l’initiative des Nouvelles routes de la soie. Ce budget colossal était ce qui faisait la force du projet car financer des infrastructures est coûteux, mais d’un autre côté maintenir de tels montants n’est pas évident même pour un pays comme la Chine. C’est pourquoi, la tendance montre que le budget chinois prévu pour les Nouvelles routes de la soie baisse d’années en années. Cette tendance a été accélérée par la politique zéro-covid en réponse à la pandémie mondiale, la guerre en Ukraine et les autres crises que traverse actuellement la Chine.

Cette baisse ne signifie pas pour autant la fin du projet qui doit s’étendre jusqu’en 2049, néanmoins, elle indique une prise de conscience de la part des autorités chinoises de la nécessité de redéfinir le projet de manière plus réaliste et raisonnable. Ce ralentissement traduit aussi le fait que si les Nouvelles routes de la soie restent un projet important pour la Chine, elles n’ont plus la place qu’elles ont pu avoir en 2017.

En effet, le projet est entré dans une phase de restructuration qui se définie en premier lieu par plus de prudence dans le choix des projets et des partenaires à qui la Chine prête de l’argent. Cela se traduit par une baisse des prêts qui sont accordés aux pays en développements à faibles revenus et une annulation ou étalement de dette pour certains pays identifiés comme stratégiques. Puis, en lien avec cette baisse du budget d’investissement et ce gain de prudence, la Chine va se concentrer sur le financement de plus petits projets, moins coûteux et plus surs mais qui gardent un impact important pour le développement économique des communautés locales comme la construction de puits, de petites centrales électriques ou hydroélectriques, de champs de panneaux solaires, etc…

Le digital et le verdissement des routes comme alternative d’investissement

Nous observons depuis 2 ans à une priorité donné à la route de la soie digitale. L’un des nouveaux mot d’ordre est la concentration sur le financement d’infrastructures du digital, comme par exemple le développement du réseau 5G de Huawei en Afrique et en Amérique latine et une présence accrue dans l’économie du digital en Asie du Sud-Est ( Ports intelligents par exemple). D’après une étude de l’Université de Fudan publiée en juillet 2022, les investissements dans le domaine du digital auraient déjà augmenté de 300% par rapport à l’année dernière. Cela s’accompagne aussi d’une politique de coopération scientifique et universitaire où la Chine forme énormément de personnel dans les pays hôtes afin qu’ils puissent apprendre à maîtriser les techniques de l’entreprenariat, d’utilisation des outils du digital, objectif qui doit à terme permettre de dynamiser l’économie et créer des emplois.

En parallèle de l’attention portée au secteur du digital, Xi Jinping a réaffirmé l’importance des Nouvelles routes de la soie verte et déjà la Chine a annoncé qu’elle allait renoncer au financement de projets reposant sur le charbon comme les centrales à charbons. Il y aura donc une plus grande intégration des enjeux du développement durable et des critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG) dans les projets des Nouvelles routes de la soie afin de respecter les engagements pris lors de la COP21 et de s’assurer que le développement économique qui découle des investissements chinois soit durable.

Enfin, dû à la situation géopolitique actuelle, nous constatons un déplacement des priorités géographiques dans les investissements des Nouvelles routes de la soie. Ainsi, l’ASEAN a pris une place encore plus importante et le ralentissement du développement des routes vers l’Europe suite aux évènements en Ukraine n’a fait qu’accélérer cette tendance. On a aussi pu observer un regain d’intérêt pour les investissements en Amérique du Sud qui peut s’expliquer par la présence de gouvernements plutot favorables à la Chine dans un grand nombre de pays et la volonté de la Chine de saisir cette opportunité en prenant la place laissé par son rival américain.

Nous sommes actuellement dans une période de redéfinition du projet des nouvelles routes de la soie qui fait suite à des erreurs stratégiques de la part de la Chine, mais aussi à une adaptation au nouveau contexte géopolitique mondial, ainsi qu’à l’achèvement d’une première étape du projet puisque qu’aujourd’hui de nombreuses infrastructures, véritable vitrine du projet, on été construites, il s’agit donc de s’attaquer à des projets de développement économique qui vont découler de l’utilisation de ces infrastructures. L’importance de l’environnement et du développement durable, de même que la rapide ascension de l’économie du digitale joueront un rôle dans l’actualisation du projet pour la décennie à venir.


Par Clara Herb, Analyste stagiaire auprès de l’OFNRS, en charge notamment de la veille “La Chine et le Monde”