En 1958, le Maroc a été parmi les premiers Etats à avoir reconnaître la République Populaire de la Chine. Cependant, les relations sino-marocaines se sont peu développées et les échanges commerciaux étaient marginaux jusqu’à un présent récent où Pékin a commencé à s’étendre en Afrique, et ce au début des années 2000.

C’était alors à la surprise de tout le monde que le Maroc a signé le premier mémorandum d’entente dans la région avec la Chine en 2016 en vue d’une concrétisation des nouvelles routes de la soie sur le territoire du royaume.

Toutefois, le Maroc ne se présente pas comme un simple partenaire mais comme « un prolongement de la route de la soie maritime, non seulement vers l’Europe atlantique, mais également et surtout vers les pays d’Afrique de l’Ouest, avec lesquels le Maroc entretient des relations multidimensionnels »[1].

Etat bi-océanique, il est à l’intersection de la mer Méditerranée et l’océan Atlantique. Sa géographie a été qualifiée de stratégique notamment grâce à son contrôle des voies maritimes les plus importantes ; le détroit de Gibraltar où transitent 100.000 navires annuellement. Ce détroit rappelle la proximité stratégique entre le royaume chérifien et la péninsule ibérique ; seulement 13km séparent les côtes marocaines des côtes européennes. En outre, sa profondeur Ouest-africaine lui confère un atout stratégique ; le Maroc se positionne ainsi en un hub incontournable entre l’Europe et l’Afrique de l’Ouest.

Misant sur ses atouts de puissances maritime et continentale, le Maroc semble répondre aux prédispositions nécessaires pour adhérer à la BRI. Ces facteurs peuvent être résumés ainsi ; une géographie ou un positionnement plus au moins favorable, une convergence entre la politique économique nationale et les objectifs de l’initiative et une vision stratégique claire à l’égard de l’Afrique et de l’Europe s’appuyant sur de véritable infrastructures et un degré de connectivité. Dans ce cadre, le royaume chérifien détient l’Indice de connectivité des transports maritimes le plus haut dans la région maghrébine avoisinant 70 sur 100. Il n’est donc pas surprenant de voir le Maroc être parmi les premiers à intégrer la BRI, un projet centré sur la connectivité.

En ce qui concerne les infrastructures, le complexe portuaire Tanger Med constitue une pièce maîtresse dans l’intégration du royaume au sein de la BRI. Il est devenu aujourd’hui le premier port à conteneurs en Afrique et en Méditerranée avec une capacité qui dépasse 9 millions EVP. Il est également classé le 24ème port sur 500 ports à conteneurs au monde et est connecté à plus de 180 ports et 70 pays africains, européens et américains. La Chine, qui a acheté 49% de Terminal Link[2], filiale spécialisée dans les terminaux portuaires, possède un accès à 3 terminaux méditerranéens dont Eurogate à Tanger Med où elle peut acheminer ses produits vers l’Europe, l’Afrique de l’Ouest et l’Amérique Latine.  Ainsi, « une quatrième route de la soie se dessine progressivement dans le prolongement de la péninsule ibérique vers l’Afrique atlantique puis le golfe de Guinée […] le corridor mauritanien, qui commence au Sud du Maroc, est un segment critique de cette quatrième route de la soie […] la plus grande gare routière d’Afrique à Laayoune, […], mettra les marchés d’Abidjan et de Lagos à la portée des conteneurs de Tanger Med ».[3]

En vrai, la construction de « Mohamed VI Tanger Tech City », près du port Tanger Med, sert à « profiter de la position commerciale stratégique du Maroc entre l’Europe et l’Afrique et à la développer »[4]. Ce projet sera développé sur 2000 hectares et arbitra plus de 200 entreprises chinoises opérant dans le secteur de l’automobile, l’aéronautique, le textile etc. visant la création de 100.000 emplois. Les filiales, notamment dans le secteur de l’automobile, installées sur la zone industrialo-logistique du port Tanger visent à se positionner au sein du marché régional et international de l’automobile. Nous notons ainsi l’existence de l’usine chinoise BYD, la Citic Dicastal, Chongqing Regal Automotive Parts et Nanjing Xiezhong Auto-Airconditionner. Ces filiales sont les premières en Afrique.

Cependant, l’implantation de l’industrie automobile chinoise au Maroc vise à profiter du positionnement de ce dernier au sein de la même industrie : l’agence Fitch Rating Automotive estime que ce secteur désormais stratégique de la politique industrielle marocaine enregistra une croissance annuelle[5] de 17.5% de 2020 à 2025, ce qui placera le Maroc en tant que leader et 1er hub de construction automobile sur le continent.

Pour expliquer l’installation des entreprises chinoises au Maroc, il sera approprié aussi de prendre en compte la destination finale des véhicules produits sur le sol du royaume. En effet, le marché automobile africain ne représente qu’environ 1.8% du marché mondial. Quoiqu’il est considéré par certains comme l’un des marchés les plus prometteurs, les chiffres justifient très peu, voire nullement, une stratégie d’investissement. « Ce n’est pas l’importance escomptée du marché marocain, voire africain, qui pourrait seul justifier l’intérêt des entreprises chinoises pour le Maroc »[6]. A l’opposé, l’UE représente 27.8% du marché mondial[7] de l’automobile et 80% des exportations d’automobiles marocaines[8] notamment depuis le port Tanger Med. L’intérêt d’installer la ville « Tanger Tech » se fait comprendre alors par la position géostratégique du port près de l’Europe, marché convoité par Pékin.

Ces infrastructures développées à l’égard du continent africain viennent appuyer toute une politique continentale marocaine claire. En effet, depuis le lancement de sa politique « Look South » en 2010, le Maroc s’est tourné vers un développement des coopérations économiques avec les pays d’Afrique sub-saharienne. Cette politique s’est consolidée par des résultats manifestes : entre 2015 et 2016, le Maroc a dominé l’investissement inter-africain et s’est positionné à la tête des investissements au Mali, Côte d’Ivoire, Burkina Faso et en Ethiopie.

Il est à retenir que la majorité des investissements marocains se concentrent dans le secteur banquier et des télécommunications. L’édification de Casablanca Finance City a encore permis aux trois premières banques marocaines de s’implanter dans 25 pays africains, pour devenir ainsi un hub financier et économique régional et regagner une influence à l’échelle continentale longtemps perdue à cause du retrait du royaume de l’UA (Union Africaine). Continuant le développement de ses partenariats internationaux, Casablanca Finance City signe des accords de coopération avec les banques chinoises. Ces accords viennent après la réintégration du Maroc à l’UA en 2017. Cette politique marocaine de dynamisation des relations Sud-Sud n’a seulement pas aboutie à une coopération avec les centres financiers chinois, mais aussi à l’ouverture du bureau de la Banque de Chine à Casablanca Finance City. Ces coopérations révèlent, du côté chinois, un intérêt pour le marché africain et une ambition de devenir, depuis les plateformes chinoises au Maroc, un acteur financier important au sein du continent en s’appuyant sur le réseau bancaire marocain en Afrique.

De surcroit, le Maroc se positionne en contact direct avec « la Route de la Soie Verte ». Se voulant leader dans ce domaine désormais stratégique, le Maroc compte devenir un Etat exportateur des énergies renouvelables. Cette ambition découle de son environnement régional ; la neutralité carbone poursuivit par l’Europe à l’horizon de 2050, et la déficience en électricité des pays africains représentent une véritable opportunité. Cette initiative a été saluée par la Chine et s’est traduite par plusieurs accords. Le projet phare dans ce domaine demeure celui du complexe solaire Noor à Ouarzazate : projet à quatre phases, la Chine a remporté la construction de Noor II et III. Qualifié comme la plus grande centrale de Concentrated Solar Power, elle dispose de la plus haute tour solaire au monde et représentera 18% de la production nationale. La réalisation de ce projet souligne la volonté du Maroc de s’ériger en un Etat émergent dans sa région et la compatibilité entre les objectifs de sa politique nationale et ceux de l’initiative chinoise. Elle souligne, également, l’engagement de la Chine pour les questions environnementales et en faveur de la croissance verte. Il est, aujourd’hui, fort plausible que la « Route Verte » gagne en importance pour répondre aux exigences du XXI siècle, où l’environnement et le climat sont des domaines stratégiques.

Actuellement, le partenariat sino-marocain s’est renforcé suite à la signature de la convention du plan de la mise en œuvre conjointe de la Ceinture et de la Route en Janvier 2022. Elle a pour objectif de favoriser l’accès aux financements chinois pour réaliser de grands projets au Maroc et de faciliter les échanges commerciaux, la création de joint-ventures dans les secteurs industriel et énergétique, la recherche et la coopération technologique. Aux termes de cet accord, Pékin s’engage à encourager les entreprises chinoises à investir au Maroc. La convention prévoit également une coopération tripartite avec l’Afrique, en particulier dans le développement durable.


Donia Jemli, Cheffe de pôle Afrique du Nord, diplômée de l’université européenne de Tunis. Elle se spécialise dans les relations internationales, diplomatiques et stratégiques.


[1] Département de la Communication, Signature d’un mémorandum d’entente entre le Maroc et la Chine sur l’initiative « la Ceinture et la Route ». Ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication. 2017.

[2] Paul Molga, CMA CGM cède 49% de sa filiale Terminal Link. Le Figaro.2013.

[3] Othman El Ferdaous, Le Maghreb assiste impuissant au déclin économique de l’Europe.Le Monde. 2016.

[4] Jules Crétois, Le Maroc, nouveau point d’entrée de la route de la Soie chinoise en Afrique. Jeune Afrique. 2017.

[5] Service des Délégués Commerciaux, Profil et opportunité de la chaîne de valeur automobile marocaine. Gouvernement du Canada. 2020.

[6] Thierry Pairault, La Chine dans la mondialisation : l’insertion de la filière automobile chinoise en Algérie et au Maroc. Revue Internationale des Economistes de Langue Française.2017. p. 141.

[7] Ibid.

[8] Amine Kadiri, Le Maroc : un hub mondial de l’industrie automobile.Le 360. 2021.