La Chine a proposé un accord de libre-échange et de sécurité à dix Pays du Pacifique (Kiribati, Samoa, Cook, Fidji, Tonga, Vanuatu, Cook, île Salomon, Papouasie Nouvelle-Guinée et les États fédérés de Micronésie) dans la perspective d’amplifier son influence économique et militaire dans le Pacifique Sud. Le 26 mai 2022, le ministre des affaires étrangères Chinois, Wang Yi a effectué une tournée de visites diplomatiques afin d’engager des discussions concernant les modalités du projet d’accord et du plan sur cinq ans avec les représentants de chaque État.

Les perspectives d’accord : La Chine en tournée dans le Pacifique Sud

Le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, est arrivé le jeudi 26 mai 2022 sur les Îles Salomon.

Cet accord vise à proposer des millions de dollars d’assistance aux 10 États insulaires de la région ainsi que la perspective d’un accord de libre échange et la possibilité d’accéder au vaste marché chinois avec ses 1,4 milliards d’habitants. En retour, la Chine se chargerait de former les forces de police et s’impliquerait notamment dans la cyber sécurité locale. Il aurait également été envisagé que la Chine puisse réaliser des cartographies marines et, ainsi, obtenir un accès favorisé aux ressources naturelles. Dans le même temps, les relations entre la Chine et les pays du Pacifique auraient été intensifiées. D’une part, en plus du projet annoncé, il était question de multiplier les vols entre la Chine et les îles du Pacifique. D’autre part, Pékin avait pour objectif de nommer un émissaire régional ainsi que d’assurer la formation de jeunes diplomates du Pacifique avec 2500 Bourses gouvernementales. Cette « vision commune de développement » devait être adoptée le 30 mai à l’occasion d’une rencontre prévue aux îles Fidji entre Wang Yi et les ministres des affaires étrangères de la région. Le jeudi 26 mai, le Ministre des affaires étrangères chinois a donc atterri dans la capitale des îles Salomon, Honiara, marquant alors le coup d’envoi d’une tournée régionale dans 8 pays.

À son arrivée dans les îles Salomon, Wang Yi a demandé aux autres puissances de ne pas « interférer », ou « perturber » la « coopération de la Chine avec les pays insulaires du Pacifique ». Le diplomate chinois a voulu rappeler que les États du Pacifique Sud ont leur propre libre arbitre et ne doivent pas seulement suivre les volontés des grandes puissances régionales. Par ce discours, il a voulu nier toute volonté de Pékin d’installer une base militaire dans les îles Salomon.

Le ministre des affaires étrangères Wang Yi à gauche et son homologue des îles Salomon Jeremiah Manele à droite lors de la conférence de presse à Honiara le 26 Mai 2022. La Chine « n’a aucune intention » de construire une base militaire sur les îles Salomon

De plus, le Ministre chinois a également rencontré le secrétaire des affaires générales du Forum des îles du Pacifique, Henry Puna pour qui la reprise économique après la pandémie de Covid et une action contre le réchauffement climatique doivent être au cœur des préoccupations. Dans le cadre de sa tournée dans le Pacifique, Wang Yi s’est rendu aux Kiribati, où il a signé dix protocoles d’accord portant sur le changement climatique, la coopération économique et d’autres questions mais aucun en matière de sécurité.

La coopération entre la Chine et Kiribati a attiré l’attention avec des rapports selon lesquels Pékin fournirait une aide financière pour une étude de faisabilité sur la modernisation de la piste d’atterrissage de l’île de Kanton. L’étroit ruban de terre se trouve à 3 000 km d’Hawaï, où se trouve le quartier général du commandement indo-pacifique des États-Unis – une distance relativement courte dans cette région vaste et peu habitée.

Les deux parties se sont engagées à approfondir la coopération dans la construction conjointe de la Ceinture et la Route et à la mettre en synergie avec la vision à 20 ans de Kiribati, à étendre la coopération dans divers domaines et à se concentrer sur l’amélioration des moyens de subsistance de la population. Elles ont également promis de tirer pleinement parti des avantages de Kiribati en matière de ressources et de créer de nouveaux points forts dans la coopération maritime sur la base de la protection écologique.

Le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi, deuxième à gauche, est accueilli sur le tarmac par des responsables à son arrivée à Nuku’alofa, Tonga

Wang Yi s’est également rendu aux îles Samoa, où il a conclu un accord bilatéral en vue d’une « plus grande collaboration ». Dans le cadre de cette tournée, il s’est également rendu aux Tonga, au Vanuatu et en Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Des réactions contrastées dans un espace convoité par les grandes puissances régionales

Cependant, face aux objectifs de Pékin d’accroître sa puissance militaire, politique et économique, les réactions ont été contrastées. Si les progrès chinois ont jusqu’alors été limités et inégaux, le plan aurait pu représenter un tournant majeur. Cela a suscité une défiance de la part de plusieurs pays d’autant plus que la région Pacifique Océanie est le théâtre des rivalités entre la Chine, l’Australie et les Etats-Unis.

Pour le premier ministre Australien Anthony Albanese, ce projet témoigne d’une « Chine qui cherche à accroître son influence dans la région du monde où l’Australie a été le partenaire de choix en matière de sécurité depuis la Seconde Guerre mondiale ». Afin de contrer le projet chinois, il a annoncé une « intensification » de l’engagement de l’Australie dans le Pacifique, avec environ 500 millions de dollars australiens d’aide pour la formation à la défense, la sécurité maritime et les infrastructures pour lutter contre les effets du changement climatique. En effet, les îles du Pacifique sud sont particulièrement vulnérables à la montée des eaux et au réchauffement climatique. Frank Bainimarama, le Premier Ministre fidjien a rappelé les répercussions du changement climatique sur la vie des habitants des îles du Pacifique : « Cela ne signifie rien pour quiconque qui est menacé par la montée des eaux, qui a perdu son emploi en raison de la pandémie ou dont la famille est touchée par la hausse des prix des produits de première nécessité ». Dans la mesure où la plupart des îles du Pacifique ne s’élèvent guère au-dessus du niveau de la mer, elles sont particulièrement vulnérables à la montée des eaux causée par le changement climatique. C’est pourquoi l’annonce d’Anthony Albanese est fondamentale. Les nations du Pacifique  ont donc accueilli « très positivement » le « ré-engagement » de Canberra dans la région diffusée alors que Wang Yi était aux Fidji pour rencontrer le dirigeant de l’archipel et le ministre des Affaires étrangères du Pacifique. Comme l’Australie, les Etats-Unis s’opposent au projet régional Chinois. Ned Price, porte-parole du département d’État américain a conseillé aux Pays du Pacifique Sud de « se méfier de l’accord obscur avec la Chine ». Il témoigne sa préoccupation à l’égard des accords qui seraient négociés lors d’un processus « précipité et non transparent ». De même, la première ministre néo-zélandaise, Jacinda Ardern a exprimé sa considération pour les États du « Pacifique [qui sont comme] leur famille, donc, lorsque leurs besoins [de sécurité] existent, [la Nouvelle Zélande est] prête et disposée à répondre à l’appel ». Enfin, le président des États fédérés de Micronésie, David Panuelo, a mis en garde les pays du Pacifique Sud contre un accord « attrayant » à première vue, mais susceptible de donner à la  Chine les moyens « d’acquérir l’accès et le contrôle sur la région ». Dans une lettre adressée à ses collègues du Pacifique Sud, il qualifie les propositions de « non sincères » et susceptibles de « garantir une influence chinoise au sein du gouvernement », un « contrôle économique » chinois sur certaines industries clé ainsi « qu’une surveillance de masse », des appels téléphoniques et messages électroniques locaux. David Panuelo rappelle que la Chine entend servir son objectif à long terme de « prendre Taïwan, pacifiquement si possible, par la guerre si nécessaire ». C’est pourquoi la Micronésie, fédération constituée de quatre pays formés de plus de 600 îles et atolls sur la ligne de l’Équateur, reste proche des Etats-Unis depuis les années 1980. Elle bénéficie, en effet, d’une coopération dans le domaine du développement et d’une protection militaire.

Un accord rejeté

Finalement, les 10 Nations ont rejeté l’accord à Fidji face à la crainte de tomber dans le giron de Pékin. A l’issue de la réunion, les dirigeants ont fait des déclarations plus modérées, déclarant ne pas accepter la vision commune de développement proposée par Pékin en raison de l’absence de consensus régional. Soroi Eoe, Ministre des Affaires Étrangères de Papouasie-Nouvelle-Guinée a souligné son inquiétude à l’égard d’un pacte régional.

Wang Yi en compagnie de Soroi Eoe, MAE de Papouasie-Nouvelle-Guinée

A l’issue de la réunion, qui s’est tenue à huis clos, le Ministre des Affaires étrangères de la Chine a appelé à ne pas s’inquiéter. Il a affirmé que les pays concernés « continueront à avoir des discussions et des consultations continues et approfondies afin de dégager un consensus plus large sur la coopération ». Wang Yi a aussi annoncé que les dix Nations du Pacifique Sud ont conclu des protocoles d’accord avec la Chine dans le cadre de l’initiative la Ceinture et la Route.

Il convient néanmoins de souligner qu’il s’agit d’un échec en demi-teinte pour la Chine car de nombreux petits accords ont pu être signés dans le cadre de la tournée chinoise. Le Ministre des Affaires Étrangères Wang Yi et le Premier Ministre des Fidji, Frank Bainimarama, ont parlé 30 minutes puis les discussions ont fini de manière abrupte mais de nombreux fidjiens voient l’intérêt d’obtenir des financements étrangers, peu importe leur origine pourvu qu’ils élèvent le peuple.


Ludivine Dauvergne, Analyste au sein du Pôle Pacifique-Océanie