Les nouvelles routes de la soie bousculent l’ordre établi, elles participent à la course à la technologie et usent de différents canaux pour définir de nouveaux standards, en particulier la nouvelle route de la soie numérique. Toutefois, l’ambition chinoise sur le contrôle des câbles sous-marins attise des tensions diplomatiques entre la Chine et les États-Unis. Le contrôle des câbles équivaut en réalité au contrôle de la transmission des informations à l’échelle internationale. Mais la Chine tient son rôle de bloc eurasiatique face à la périphérie américaine.

On retrouve donc sur l’échiquier mondial les champions industriels de la pose de câbles qui s’affrontent pour asseoir l’hégémonie des principales puissances mondiales. Etats-Unis et Chine en tête, mais aussi Russie et, très modestement, l’Europe : tous se livrent à des assauts répétés les uns contre les autres pour dominer le secteur. Les câbles se révèlent être un atout non négligeable pour mettre en marche une sino-mondialisation.

Comme le résume  Jean-Luc Vuillemin « Si demain matin tous les câbles sous-marins qui relient la Chine au reste du monde sont coupés, pour 99% de la population chinoise, il ne se passera rien du tout ».

Les câbles sous-marins représentent le système nerveux de l’infrastructure Internet. Ces derniers sont répartis au fond des océans et ils garantissent l’accès à internet aux différentes populations du globe. En effet, les 420 câbles disséminés à travers le globe qui font transiter 99% du trafic internet mondial, révèlent souvent des rivalités entre puissances étatiques concurrentes, afin d’assurer le contrôle d’infrastructures stratégiques. Les câbles sont ainsi un nouvel enjeu de puissance géostratégique pour les Etats. De ce fait, cette importance stratégique rend alors nécessaire l’étude de leurs enjeux et de leurs potentielles évolutions. Mais comprenons d’abord que si ces câbles sont aussi convoités aujourd’hui, c’est parce que pour les leaders du numérique, la vitesse de circulation des données revêt une importance cruciale. Leur mainmise sur les data, essentielle dans une économie de plus en plus numérisée, tend à se renforcer par la maîtrise de leurs voies d’acheminement. Par conséquent, la géopolitique des câbles sous-marins donne une nouvelle dimension à l’importance des espaces maritimes à l’heure de la globalisation. Ainsi, ils confortent les mers et les océans dans leur rôle d’interfaces.

Les Objectifs

Il est important de noter que la route de la soie numérique n’est pas simplement une initiative de politique étrangère chinoise, mais également une politique intérieure du gouvernement. Sur le plan intérieur, son objectif est notamment d’actualiser l’objectif “Made in China 2025” de Pékin, en développant des capacités dans les technologies existantes et émergentes telles que les technologies quantiques, les voitures sans conducteur et l’intelligence artificielle. Le système mondial de navigation par satellite BeiDou vient d’être rendu pleinement opérationnel et offre une précision de l’ordre du millimètre avec des données post-traitement. Le programme lié à la route de la soie numérique soutient un objectif clé, à savoir faire de la Chine une superpuissance technologique et d’accroître son prestige international et ainsi renforcer sa puissance économique et ses capacités politiques et militaires. Pour ce faire, la Chine devra acquérir une plus grande autonomie technologique par rapport à ses rivaux géopolitiques, notamment les États-Unis.

La route de la soie numérique répond à plusieurs objectifs :

  • Faire de la Chine un leader mondial dans la fourniture de connectivité numérique d’infrastructure et faciliter son expansion mondiale,
  • Créer une infrastructure de connectivité numérique asiatique et mondiale davantage centrée sur la Chine.
  • Permettre à la Chine d’exercer une plus grande influence dans la définition des normes technologiques mondiales, notamment les cybernormes,
  • Développer le commerce électronique et les technologies financières orientés vers la Chine et d’influencer le discours mondial,
  • Permettre aux entreprises et aux autorités chinoises d’accéder à de vastes réservoirs de données étrangères.
Initiative de ville intelligente (orange) et les centre de données (vert)

Câbles sous-marins et stratégies politiques chinoises

La Chine a très vite saisi son importance en convoitant largement les câbles sous-marins dans le cadre de la route de la soie numérique. En premier lieu par la construction de réseaux de fibre optique sur le territoire des pays ayant rejoint l’initiative. Le développement des échanges engendre un développement des infrastructures terrestres et maritimes et de facto permet le développement de la sécurisation des ressources transportées, qu’elles soient matérielles ou immatérielles. Cette sécurisation passe par un accroissement de tous les domaines numériques supplantant les nouvelles routes de la soie.

En offrant un accès internet par le biais de son fournisseur officiel Huawei, la Chine entend ainsi connecter par ses propres moyens deux ou plusieurs ensembles géographiquement éloignés et assurer l’expansion de son projet. Le caractère technique de sa mise en place permet de retracer et comprendre l’enjeu sous-jacent de cette dernière quant à sa volonté de puissance.

Mais l’intérêt sous-entendu est aussi celui d’une politique de contournement face aux Etats qui cherchent à freiner les dynamismes chinois. La Chine contourne en effet son grand voisin Indien en faisant passer son projet par le Pakistan, lui permettant ainsi un accès à la mer par l’Ouest. Comme pour le détroit de Malacca, sa politique du contournement lui permet une capacité d’action plus large et une flexibilité face aux mutations qui l’entourent.

La Chine apparait dans de nombreux consortiums transpacifiques de câbles sous-marins reliant l’Afrique à l’Asie, on la retrouve par exemple sur le West Africa Coast System (WACS), Sea Me-We 3 ou encore SAFE.

Les groupes chinois Huawei, ZTE, China Telecom, China Unicom et China Mobile ont obtenu des contrats pour en bâtir en Birmanie, au Bangladesh, au Cambodge, au Kirghizistan, au Népal, en Ouganda et en Equateur. Au Pakistan. Par ailleurs, Huawei a récemment inauguré un réseau de 820 kilomètres à Islamabad, pour un coût de 44 millions de $, dont les 85% avaient été fournis par Exim Bank of China, une institution affiliée à l’Etat. Malgré que le Français ASN, l’Américain TE SubCom et le Japonais NEC dominent un marché de construction de câbles estimé à 2 milliards d’euros, la Chine compte également faire monter en puissance son propre champion, grâce au récent rapprochement entre Huawei Marine Networks et Hengtong Optic-Electric.

Carte des câbles sous-marins – TeleGeography 2021

Le cable PEACE

La Chine tisse sa propre toile au fond des océans, le symbole le plus marquant est le câble PEACE, financé par des acteurs chinois et lancé en 2018. Il contourne l’Inde, grande rivale, pour connecter l’allié pakistanais au reste de l’Europe depuis Marseille, et dessert aussi le Kenya. Le Pakistan & East Africa Connecting Europe, long de 12 000 km vise à rendre les services plus rapides pour les entreprises chinoises commerçant avec l’Europe et l’Afrique.

Ce système ouvert de faible latence offre la route la plus directe et à plus grande capacité d’Asie vers l’Europe. Son emplacement stratégique au cœur de la Méditerranée fait de la cité phocéenne une véritable porte d’accès numérique entre l’Europe, l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie. C’est également le centre d’interconnexion qui connaît la plus forte croissance en Europe.

Les conséquences de la Route de la Soie numérique

La route de la soie numérique a permis à la Chine de bien se positionner en Asie pour exploiter l’infrastructure de connectivité numérique et d’atteindre une plus grande autonomie et influence technologiques qui étaient indispensables aux objectifs fixés par son gouvernement.

Jusqu’à présent, l’épine dorsale de cette infrastructure numérique est constituée de :

  •  Câbles à fibres optiques sous-marins et terrestres
  •  Réseaux cellulaires de nouvelle génération
  • Systèmes satellitaires nouvelles générations.

Grâce au soutien du gouvernement, à l’ingéniosité humaine et un immense marché intérieur, les entreprises chinoises ont progressé rapidement en matière de technologie et d’innovation, de production et d’exploitation dans ces trois domaines.

Le fait de relier la Chine à l’Europe et à l’Afrique orientale par le biais de ces lignes de communication, qu’elles soient routières, ferroviaires ou maritimes permet de favoriser en premier lieu les échanges entre les différents pays. Il apparait aussi que ce projet s’inscrirait davantage dans une vision du long terme avec pour but l’imprégnation de l’idéologie chinoise dans les pays concernés, en réponse au libéralisme américain. En effet, les routes de la soie induisent une imbrication et un enchainement de structures et d’actions favorisant l’émergence d’une nouvelle route de la soie digitale.

Le développement des échanges engendre un développement des infrastructures terrestres et maritimes et de facto permet le développement de la sécurisation des ressources transportées qu’elles soient matérielles ou immatérielles. Cette sécurisation passe par un accroissement de tous les domaines numériques supplantant les nouvelles routes de la soie.

Le « grand projet chinois » répond avant tout à un besoin de connectivité de la Chine au reste du monde. Pour se connecter et rentrer dans une politique d’ouverture extérieure, elle a donc la nécessité de fluidifier les nouveaux investissements, de sécuriser ses corridors commerciaux et d’apporter une modernisation des infrastructures dans lesquels passent les nouvelles routes de la soie. C’est notamment sur ce pari là qu’elle use du « bilatéralisme de masse », notamment au niveau des pays d’Afrique.

En offrant un accès internet par le biais de son fournisseur officiel Huawei, la Chine entend ainsi connecter par ses propres moyens deux ou plusieurs ensembles géographiquement éloignés et assurer l’expansion de son projet. Le caractère technique de sa mise en place permet de retracer et comprendre l’enjeu sous-jacent de cette dernière quant à sa volonté de puissance.

La participation potentielle d’entreprises chinoises au déploiement de câbles de télécommunications dans le Pacifique suscite l’inquiétude de Washington et de Canberra. La montée en puissance de la Chine dans le Pacifique préoccupe. L’Australie, ayant refusé en décembre 2018 la pose d’un câble sous-marin chinois sur son territoire, ce qui a été un signal. De l’autre côté, Américains et Chinois rivalisent de dépenses pour contrôler ces très stratégiques tuyaux de fibre optique. Ainsi pour protéger leurs câbles, les Etats-Unis se posent la question de créer des corridors à l’aide de barrières soniques. En conséquence de quoi, les tensions s’enveniment de plus en plus entre Pékin et Washington, dans laquelle chacun se dirige vers une fermeture de son marché aux technologies de son rival.

Derrière de simples câbles sous-marins se cachent de réelles préoccupations géopolitiques pour les États, qui perçoivent de plus en plus l’espace numérique, et ses infrastructures physiques, comme un nouveau lieu d’affrontement, de concurrences et de menaces inter-étatiques. En quelques années, le système câblier mondial s’est donc considérablement complexifié, sans pour le moment que n’émerge une véritable gouvernance mondiale concertée sur cette question. En effet, compte tenu de l’importance économique, politique et sociale que représente la connexion pour un État, ces infrastructures sont utilisées comme des instruments de puissance et d’influence par les acteurs qui les mettent en place, que ce soient des groupes privés ou des États.


Rania Salah – Analyste stagiaire auprès de l’OFNRS en 2021 – Etudiante en deuxième année de relations internationales à l’ILERI ( Institut Libre des Relations internationales ). Elle s’intéresse à la géopolitique et à la cybersécurité.