Depuis son lancement en 2013, l’initiative des Nouvelles Routes de la Soie suscite l’intérêt de nombreux pays à travers le monde, dont la Serbie, où la Chine s’implante depuis des années maintenant.
Que ce soit en Afrique de l’Est avec une forte présence dans le secteur des infrastructures ferroviaires comme au Kenya, en Tanzanie ou en Éthiopie ; au Moyen-Orient par d’importants flux d’importations énergétiques ou encore en Asie du Sud-Est par le biais d’investissements stratégiques dans les infrastructures portuaires, l’Empire du Milieu poursuit son expansion économique à l’international.
A la recherche de nouveaux marchés pour écouler sa production, la Chine est aux portes de l’Europe. Au sein du Vieux Continent, la présence du dragon chinois est plus contrastée. Entre une Europe Occidentale relativement prudente à l’égard de la Chine et une Europe du Sud plus ouverte aux investissements, le “label économique” des Nouvelles Routes de la Soie est plus difficile à percevoir.
La Serbie, située en plein centre de l’Europe de l’Est, est au cœur de la stratégie européenne de la Chine. Petit pays de 8,7 millions d’habitants ne faisant pas partie de l’Union Européenne, la Serbie a déjà tendu la main au gouvernement chinois depuis maintenant quelques années. Mais qu’en est-il réellement de la coopération économique & commerciale sino-serbe ? Quelles sont les firmes chinoises implantées ? Après une analyse de cette coopération bilatérale, voyons ensemble les accords passés entre les deux pays et les projets en cours dans le cadre des Nouvelles Routes de la Soie.
La venue des Chinois en 2016, premier pion placé pour une coopération durable
La Chine s’intéresse réellement à la Serbie depuis 2009. Cette année-là avait été signé un partenariat stratégique global entre les deux parties concernées.
Durant la décennie 2010, les échanges économiques et commerciaux sino-serbes ont progressé de manière constante. Cependant, ce n’est qu’en 2016 que cette coopération commerciale connaît un souffle nouveau. Le 19 juin 2016, le président chinois Xi Jinping se rendait en Serbie dans le cadre d’une visite officielle. Dans les relations diplomatiques sino-serbes, cet événement ne s’était pas produit depuis 30 ans.
Par cette occasion, Pékin officialise son rapprochement avec l’ancien état yougoslave. Dans le cadre d’une relation diplomatique fortement attachée aux symboles et aux valeurs et basée sur les principes de l’amitié et la réciprocité, la Chine envoie ainsi un message fort aux pays européens.
Engagée à investir massivement en Serbie, la première puissance économique mondiale signe plus de 30 contrats de partenariats économiques, notamment dans le secteur des énergies, des infrastructures et des techniques agricoles.
Ce jour, Xi Jinping recevait le grand collier de l’ordre républicain de Serbie, plus haute distinction nationale remise par le Président de la République de Serbie, Tomislav Nikolić (2012-2017).

La Chine saisit les opportunités de développement en comblant le manque d’infrastructures serbes
Légèrement moins riche que la Chine en PIB (PPA) par habitant, la Serbie est un pays d’Europe de l’Est en pleine croissance, à la situation macroéconomique tout de même fragile. Avec des taux de croissance de plus de 4% ces dernières années, la Serbie a entamé un vaste programme d’industrialisation et de modernisation de ses infrastructures. Dotée d’une base industrielle solide et dynamique, elle produit de nombreux biens manufacturés et équipements de transport qu’elle exporte majoritairement à destination de l’Europe (voitures, fils, moteurs électriques…). Ses échanges avec la Chine s’intensifient et la présence chinoise en Serbie est de plus en visible depuis le lancement de l’Initiative Ceinture et Route.


Une coopération économique globale avec la Chine – un pacte gagnant-gagnant de plus en plus visible
La Serbie occupe une place stratégique aux yeux des chinois. Idéalement située en Europe Orientale, elle fait partie de la stratégie chinoise d’implantation en Europe. Regroupant la moitié des pays européens dans le cadre de l’initiative “17+1”, la Chine a réussi à créer une union économique allant de l’Estonie, pays balte le plus au nord à la Grèce, véritable porte d’entrée vers l’Europe via la mer Méditerranée, comme en témoigne l’intégration du port du Pirée dans la route maritime commerciale. Celle-ci ne comprend aucun pays d’Europe Occidentale, avec qui la Chine préfère négocier de manière bilatérale. Appuyant fortement sur les divisions européennes, elle bénéfice d’un rapport de force largement en sa faveur. Cette supériorité dans les relations économiques lui permet de mettre en œuvre ses grands projets commerciaux de la façon dont elle le souhaite.
En intégrant la Serbie à sa stratégie européenne, l’Empire du Milieu mobilise les surcapacités de ses entreprises d’Etats (Soe – State-Owned-Entreprises) ayant acquis un avantage comparatif en matière d’infrastructures terrestres, ferroviaires, portuaires et aéroportuaires.
Par le maillage territorial qu’elle propose et la création d’un vaste réseau de télécommunications, la Chine contribue à développer une véritable chaîne de valeur jusqu’en Europe. La Serbie, à l’image des Balkans, manque d’infrastructures terrestres et ferroviaires. La Chine apparaît donc comme un candidat favorable à la construction et à la modernisation des infrastructures serbes. En outre, l’acquisition d’actifs dans le secteur des énergies et des matières premières fait partie intégrante de la stratégie chinoise d’expansion et de puissance.


Comme le montre le document ci-dessus, la majorité des produits serbes sont à destination de l’Europe : l’Allemagne ou l’Italie, puissances économiques de premier plan parfaitement insérées dans la mondialisation et les pays frontaliers d’Europe Orientale (Roumanie, Bosnie, Monténégro, Hongrie, Macédoine…). La Chine ne figure pas parmi les principaux clients de la Serbie. Cependant, elle est son troisième fournisseur, comptant pour près de 10% de ses importations. La Chine fournit beaucoup de machines et équipements électriques et technologiques à la Serbie tels que des enregistreurs, ordinateurs, moteurs électriques, machines de bureau, écrans, valves, imprimantes. Dans un second temps, la Chine exporte des métaux (fer, aluminium, étain), des vêtements, du plastique ainsi que des produits chimiques (pesticides, produits de beauté, produits dentaires, encre).

En effet, l’initiative des Nouvelles Routes de la Soie a permis de stimuler le commerce extérieur serbe. Chaque année, la Chine devient un fournisseur de premier plan de plus en plus important pour la Serbie. Depuis, 2013, les exportations chinoises vers la Serbie ont progressé de plus de 72%. Les machines venant de Chine ont également connu une importante augmentation (11% en 8 ans).


Pour résumer, la Serbie exporte 4 types de produits vers la Chine :
– bois (bois scié et bois brut)
– métaux précieux (zinc, ferroalliages, plomb, fer)
– tabac
– machines (équipements d’éclairage, réfrigérateurs, moteurs électriques, pompes, alarmes)
Ces 4 types de produits représentent la majorité des exportations serbes vers la Chine. Ils sont en volume très variable d’une année à l’autre, à la différence des importations serbes de produits chinois, qui en plus d’être en constante augmentation depuis 10 ans, regroupent principalement les mêmes types de produits d’une année à l’autre (machines en majorité, puis métaux et textiles).
Ainsi, la Serbie rééquilibre sa balance commerciale en augmentant son volume d’exportations à destination de la Chine. Ayant passé la barre des 100 millions USD en 2015, les exportations serbes vers la Chine sont en nette progression depuis 2016. En 2019, celles-ci représentaient 401 millions USD, soit plus du double de l’année précédente.



Vente d’outils technologiques et militaires – Huawei à la conquête de nouveaux marchés pour vanter le modèle chinois
La coopération sino-serbe s’étend bien au-delà des échanges commerciaux de machines et matières premières. L’entreprise privée de télécommunications Huawei renforce sa présence en Serbie. Sur fond de tensions relatives au leadership et à la propriété intellectuelle avec le rival américain et de boycott des pays anglo-saxons (États-Unis, Royaume-Uni, Australie, Nouvelle-Zélande…), la Chine poursuit la promotion de son propre modèle technologique faisant fi des menaces occidentales, notamment par l’implantation rapide de son fleuron informatique, Huawei. Afin de réduire le taux de délinquance en Serbie, près de 1000 caméras ont été installées dans la capitale dans 800 endroits. Exportant le modèle de safe-city asiatique (Singapour, Tokyo, Pékin) jusque Belgrade, la Chine accroît ainsi l’influence de son leader technologique en pénétrant les marchés européens en fort besoin d’infrastructures technologiques. Huawei propose également le déploiement de réseaux 5G sur le territoire serbe à l’avenir.
Du côté militaire, la Serbie fait le choix de la coopération avec la Chine et la Russie. La Serbie est le seul pays européen à disposer de drones chinois. De plus, Aleksandar Vučić, le président serbe, a passé un contrat d’armement avec la Chine à hauteur de 3 milliards USD, notamment l’achat d’un système de missiles chinois assurant la défense aérienne de son pays. Ce matériel militaire de dernière génération va permettre à la Serbie d’effectuer une lutte contre la contrebande et le terrorisme et de surveiller ses frontières. Toujours dans une logique d’industrialisation, les composants du matériel militaire viennent de Chine et l’assemblage est réalisé en Serbie.
Les Etats Unis pratiquent une politique d’ingérence dans les affaires militaires de la Serbie, en l’accusant de coopérer avec la Chine sur le plan de la défense nationale et en lui rappelant le coût et le risque que peuvent représenter cette assistance, perçue par les américains comme un enjeu primordial de souveraineté.
Le choix de la technologie chinoise par les autorités serbes illustre l’expansion à grande vitesse du savoir-faire chinois en matière militaire et la baisse relative de la domination politique et militaire des Etats-Unis, résultat de leur façonnement du monde suite à la Seconde Guerre Mondiale (1939-1945).


Les projets de la Chine en Serbie réalisés, témoignage d’une amitié “dure comme fer”
1) HBIS rachète l’aciérie de Smederovo
En 2016, l’entreprise sidérurgique Hebei Iron and Steel (HBIS) a racheté l’usine de Smederovo qui employait plus de 5 000 travailleurs pour 52 millions USD et a fondé HBIS Group, Serbia Iron & Steel. Cette opération commerciale chinoise a permis de relancer l’industrie de l’acier en Serbie, notamment en faisant venir des experts chinois et en employant la main d’œuvre locale. Anciennement laissée à l’abandon, fruit d’une mauvaise gestion et d’un sous-investissement, l’aciérie a été relancée et la production est largement repartie à la hausse.



2) Pont Mihajlo Pupin
La société China Road and Bridge Corporation (CRBC) a assuré la construction de ce pont reliant la municipalité de Zemun à la ville de Borča. La construction du pont a couté 170 millions d’euros, dont 25,5 millions ont été financés par le gouvernement de Serbie et 144,5 millions d’euros prêtés par la banque chinoise d’import-export Exim, avec une latence de trois ans, un taux d’intérêt fixe de 3 % par an et une période de remboursement de quinze ans. Il mesure 1 507 m de long, 29,1 m de large et 22,8 m de haut, avec six voies pour la circulation automobile et deux pistes pour les piétons et les cyclistes.


3) La première autoroute chinoise en Europe
Le 17 août 2019, en présence du président serbe a été inaugurée la toute première autoroute chinoise de Serbie et par extension d’Europe. Parfaitement inscrite au sein des Nouvelles Routes de la Soie, cette initiative réaffirme la place de la Chine dans son projet phare de connectivité entre l’Asie et l’Europe.
D’une longueur de 62,5 km et d’une largeur de 28,4 m, cette autoroute a été construite par le groupe Shandong Hi-speed, entreprise d’Etat leader dans la construction d’autoroutes.


4) Zijin Mining rachète la plus grande mine serbe
En 2018, l’entreprise Zijin Mining (groupe minier chinois) a choisi d’éteindre la dette de 200 millions USD de la plus grande mine de Serbie. Par cette occasion, elle permet de conserver les 5000 emplois locaux. Suite à une mauvaise gestion de l’entreprise et un faible intérêt des investisseurs étrangers à l’égard de la mine, la production de cuivre était restée au plus bas. Zijin Mining a racheté cette mine et a permis de relancer la production de matières premières en Serbie. L’année suivante, le géant chinois Zijing Mining a pris une part de 63% de RTB Bor, grande entreprise serbe d’extraction de cuivre.
Projets sino-serbes en cours de réalisation
1) Ligne de train Budapest-Belgrade
Une ligne ferroviaire vise à relier les capitales hongroise et serbe. Cette ligne Budapest-Belgrade sera achevée d’ici 2025. Le temps de trajet aura considérablement réduit (2h30). 60 kilomètres ont déjà été construits.

2) Métro de Belgrade
Les deux entreprises françaises que sont Alstom et Egis ont signé un accord de 5,5 milliards USD avec l’entreprise chinoise Power China pour la construction du métro serbe de Belgrade dès l’an prochain. Long de 22 km, celui-ci sera opérationnel d’ici fin 2028. Des négociations sont en cours pour la construction d’une seconde ligne de métro. Alstom et Egis fourniront le système électrique et les rames de métro tandis que Power China construira un tunnel géant via une machine de forage.

Le tourisme, élément crucial du soft power de la Chine en Serbie
Afin de légitimer sa présence économique en Serbie, la Chine met en place tous les instruments à sa disposition. Enjeu de soft power, le tourisme chinois à destination de la Serbie s’est accéléré ces dernières années. C’est un moyen pour Pékin de renforcer son influence, notamment dans les domaines économiques, dans ce petit état de 8,7 millions d’habitants.
Depuis peu, la Chine a adopté un régime sans visa vis à vis de la Serbie. Des restaurants chinois ont également fait leur apparition au sein de la capitale serbe. Le nombre de tour-opérateurs et d’agences de voyages chinoises à destination de la capitale serbe a rapidement augmenté. A Belgrade, il existe des zones de passage à signalétique chinoise et même d’encadrement de la population par des policiers chinois. Ces mesures font partie de la stratégie d’exportation de la main-d’œuvre chinoise à l’étranger.


Les entreprises chinoises présentes en Serbie
HBIS est le 2ème producteur mondial d’acier après ArcelorMittal. Extrêmement compétitive, cette entreprise d’Etat de sidérurgie est leader sur le marché chinois. Avec un chiffre d’affaires supérieur à 50 milliards USD, cette compagnie est membre du Fortune Global 500. Elle a racheté en 2016 l’aciérie de Smederovo.
China Railway Group Limited figure parmi les sociétés phares des Nouvelles Routes de la Soie. Société de construction établie au Fortune Global 500, elle réalise des projets d’infrastructures en Afrique et en Europe dans le cadre de la BRI (Belt & Road Initiative).
China Road and Bridge Corporation (CRBC) – Fondée en 1979, c’est une grande société chinoise de construction, également fortement impliquée dans les investissements des Nouvelles Routes de la Soie. Elle construit des infrastructures de transport (autoroutes, ponts, tunnels) ainsi que des ports et des aéroports.
Linglong Tire – Fabricants de pneus pour voitures, camions et bus depuis 1975, cette entreprise leader sur le marché chinois est très présente en Serbie. Elle dispose de 5 usines en Chine et une en Thaïlande.
Shandong Gaosu Société impliquée dans la construction de la première autoroute chinoise en Europe, cette entreprise d’Etat fondée en 1997. Disposant de plus de 25 filiales dans le monde, elle est une compagnie de premier plan au sein de la BRI.
Zijin Mining est une entreprise minière. 3ème entreprise de cuivre et 1ère entreprise d’or en Chine, elle est cotée aux bourses de Shanghai et Hong-Kong. Lancée dans un processus de rachat de mines à l’étranger, Zijin Mining opère sur plusieurs continents, notamment en Afrique (RDC) et en Océanie (Papouasie-Nouvelle-Guinée) où elle acquiert des parts importantes au sein des plus grands groupes du secteur minier.
AVIC est un groupe avionneur chinois fournissant du matériel militaire à la Serbie. Entreprise publique créée en 1993 et cotée à la bourse de Hong-Kong, elle promeut la route aérienne de la soie pour un développement du secteur aéronautique chinois à l’international.

Vincent Gallet – Analyste géopolitique à l’OFNRS