Un pont aérien entre la Chine et l’Afrique vient de démarrer, pour amener les premières doses de vaccins chinois aux pays africains.

À l’heure actuelle, le nombre de doses de vaccins ne reflète pas la demande mondiale réelle. Pfizer/BioNTech, Moderna ou AstraZeneca ont une chose en commun : ils sont trop peu nombreux. Les vaccins sont largement accessibles et distribués dans les pays riches. L’organisation non-gouvernementale, la People’s Vaccine Alliance, montre que les pays riches, qui ne représentent que 14 % de la population mondiale, ont réservé 53 % des vaccins les plus prometteurs jusqu’à présent.

L’Afrique est en retard : l’Economist Intelligence Unit estime que la plupart des pays africains n’auront pas accès aux vaccins avant avril 2022.

À ce jour, l’Afrique a réservé environ 900 millions de doses de vaccins pour le continent. Les Centres Africains de Contrôle et de Prévention des Maladies (CDC Afrique) prévoient que le continent aura besoin d’au moins 1,5 milliard de doses de vaccins pour pouvoir vacciner 60% de la population. La mise en place d’un système de distribution peut nécessiter jusqu’à 10 milliards de dollars.

Cela a provoqué une grande déception. Au cours d’une interview avec Deutsche Welle, le ministre de la Santé Kényan, a déclaré que le Kenya et l’Afrique devaient sortir de la trop grande dépendance du continent vis-à-vis des vaccins et des médicaments. « Il est insensé de faire confiance à la médecine occidentale. Nous ne voulons pas être constamment les derniers de la classe », a-t-il ajouté.

L’ancienne ministre de la Santé du Rwanda, Agnes Binagwaho, a également réagi. Selon elle, l’Europe doit cesser de « mentir » sur les promesses de dons de vaccins contre la Covid-19 aux pays africains. “ Soyez franc et dites mes gens d’abord. Ne mentez pas en disant nous sommes égaux ”, a-t-elle souligné.

L’Afrique du Sud a reçu la semaine dernière un million de doses du vaccin AstraZeneca fabriquées en Inde. Le Rwanda a commandé un million de doses de vaccins américains Pfizer et Moderna dont le premier lot doit arriver dans le mois. L’Ouganda attend avec intérêt les premiers vaccins Moderna, Pfizer et AstraZeneca en avril.

Le dispositif COVAX pour garantir aux pays à revenu faible ou intermédiaire l’accès au futur vaccin contre la Covid-19, espère également qu’au moins 1,3 milliard de doses de vaccins seront distribuées à 92 pays pauvres d’ici la fin de l’année. Cette initiative, présentée conjointement par l’OMS et l’Alliance mondiale pour les vaccins et la vaccination (GAVI), vise à assurer une répartition équitable des nouveaux vaccins dans les pays pauvres. L’OMS doit donner son feu vert pour que ces vaccins soient déployés à l’échelle mondiale par l’intermédiaire du Mécanisme COVAX. Mais jusqu’à présent, seul l’ingrédient actif de Pfizer / BioNTech a reçu l’approbation d’urgence de l’OMS pour le monde entier.

Certains pays préfèrent jouer la carte du bilatéralisme plutôt que d’attendre. « Les pays tentent de jouer leur propre carte en misant sur la situation géopolitique. Des pays proches de la Chine négocient avec elle pour avoir le vaccin Sinopharm. D’autres, plus proches de la Russie, tentent de faire de même avec le vaccin Spoutnik-V », note Mamady Traoré, médecin et référent vaccination et réponses aux épidémies chez Médecins Sans Frontières, joint par France 24. Le petit archipel des Seychelles a donné le coup d’envoi, dimanche 10 janvier, en devenant le premier pays africain à commencer à vacciner sa population. Le gouvernement local ambitionne de protéger ses 95 000 citoyens avec le vaccin chinois Sinopharm.

Eric Olander, co-fondateur du China Africa Project, a déclaré que, par mesure de prudence, certains pays africains n’ont pas encore donné la priorité au vaccin chinois. D’après Mamady Traoré de MSF, même si les vaccins Pfizer/BioNTech, se retrouvaient soudainement suffisamment disponibles, ils ne seraient pas adaptés au contexte africain. Vu les problèmes d’infrastructures en Afrique, il est impossible de stocker les vaccins aux températures requises. Eric Olander a affirmé que ces vaccins ne sont pas adaptés au contexte des pays en développement. Des contraintes importantes de stockage, de transport et utilisation liées aux caractéristiques du vaccin sont à rencontrer.

La Chine et la Russie soulignent que leurs vaccins sont prêts à être utilisés et stockés dans des congélateurs ordinaires, ce qui est très pratique. En mai dernier, le Président Xi Jinping a promis que la Chine accorderait la priorité à la fourniture de vaccins aux pays de l’hémisphère Sud. Le scientifique africain Robert Kappel de l’Université de Leipzig de Deutsche Welle a déclaré :

« L’Europe et les Etats-Unis se concentrent sur eux-mêmes, et la Chine est intervenue et a beaucoup investi pour pénétrer le marché africain de la vaccination »

Par conséquent, l’influence de la Chine en Afrique s’étendra. L’Empire du milieu a financé un large éventail de projets d’infrastructure dans plusieurs pays africains. Au fil des ans, la Chine et l’Occident se sont livrés à une lutte d’influence politique et économique sur le continent Afrique.

Les pays occidentaux accusent la Chine d’être principalement intéressée par les ressources minérales du continent. Dans certains pays africains, il y a aussi un sentiment de mécontentement face à l’influence croissante de la Chine. Il est possible que cela change.

« Si la Chine parvient à fournir des vaccins et à sauver une grande partie de l’Afrique, pensez-vous que les Africains auraient encore une perception négative de la Chine ? », a déclaré l’ancienne ministre de la Santé du Rwanda, Agnes Binagwaho.

L’Europe et les Etats-Unis brillent par leur absence, la Chine y voit une fenêtre d’opportunité idéale. Conscient du besoin, Pékin saisit donc sa chance. « Dans ce contexte, si les Chinois parviennent à combler ce vide, ils seront très bien reçus, et cela va probablement dynamiser leur force de frappe diplomatique. Les gains pourraient être énormes », indique Eric Olander de China Africa Project.

Le fait est que, contrairement aux Européens, la Chine, l’Inde ou la Russie ont la capacité de produire et de fournir des vaccins à une échelle qu’elles ne peuvent pas concurrencer. Et en fin de compte, ils ont répondu à la demande, alors que d’autres pays ne l’ont pas fait. Cependant, l’efficacité du vaccin chinois n’a pas encore été démontrée par des études scientifiques indépendantes. Le Gouvernement chinois a déclaré que son taux d’efficacité était de 79%.

D’après Eric Olander, les événements de cette crise sanitaire marqueront l’Afrique, ce qui sera profitable à la Chine et renforcera son ancrage stratégique. « Un jour, les Européens reviendront en Afrique et diront : « Nous sommes un meilleur partenaire pour vous que les Chinois”, a-t-il déclaré. “ Et les Africains diront: ‘Où étiez-vous quand nous avions besoin de vous ? ».