Cet article a pour but d’analyser les relations économiques et financières polyformes entre la Chine et les pays d’Asie centrale, ainsi que les spécificités régionales.

I. « La diplomatie des infrastructures de la Chine », une dépendance accrue vis-à-vis de la Chine en Asie centrale

A. Etat des relations économiques entre la Chine et l’Asie centrale

Selon le ministère du Commerce chinois, depuis 2013, date de lancement des Nouvelles Routes de la Soie, 304,9milliards de dollars de contrats ont été signés entre la Chine et les pays d’Asie centrale (avril 2017). La Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB), banque d’investissement multilatérale, finance entre 10 et20% des projets de la BRI. Cela signifie que jusqu’à 90% des financements proviennent de banques privées chinoises.Par conséquent, la plupart des investissements proviennent de banques d’État ou de banques provinciales (banques chinoises de développement, banques d’import-export chinoises, Fonds des routes de la soie) et non d’institutions multilatérales. Il y a 30 projets dans la liste des projets en cours de l’AIIB, et pour tous à l’exception de six, la Chine est en partenariat avec d’autres organisations internationales. Parmi ces 6 projets, 4 d’entre eux se situent dans la région du Golfe pour les technologies de la ville intelligente (smart city), l’un est un projet routier en Inde et l’un concerne la pollution à Pékin.

Les investissements directs à l’étranger (IDE) chinois en Asie centrale

Selon le ministère kirghize de l’Économie, en 2016, les IDE s’élevaient à 814 millions de dollars, soit une baisse de 42,3% par rapport à 2015. Les IDE en provenance de Chine représentaient 37% de l’investissement étranger total (soit 301,3 millions de dollars), et la Chine est devenue le plus grand investisseur d’IDE au Kirghizistan (tableau 1).

Selon la Banque nationale du Kazakhstan, les IDE s’élevaient à 21 006 millions de dollars en 2016 et les IDE chinois à 961 millions de dollars. Il ne représente que 5% des entrées d’IDE au Kazakhstan en 2016, et entre 3 et 9% sur la période 2010-2016.

En effet, l’économie kazakh est plus forte et le pays est plus attractif donc même si le montant des IDE est plus élevé qu’au Kirghizistan, la dépendance envers la Chine est moins importante. Au Tadjikistan, les IDE chinois s’élevaient à 1 milliard USD en 2016. La Chine est le premier investisseur du pays. Le Tadjikistan et le Kirghizistan sont les économies les plus faibles d’Asie centrale et les moins attractives pour les investisseurs occidentaux, c’est donc là que l’empreinte chinoise est la plus forte.

En 2018, les IDE chinois dans les cinq pays d’Asie centrale s’élevaient à 14,7 milliards de dollars américains, soit 1,2% du total des investissements de Pékin en Asie. On constate donc une différence d’échelle notable, entre le niveau d’investissement chinois et ce qu’ils représentent dans les pays d’Asie centrale.

Commerce entre la Chine et les pays d’Asie centrale

Le commerce avec la Chine représente une part importante du commerce total des quatre pays : 28% pour le Kirghizistan (principal partenaire commercial), 16% pour le Kazakhstan, 23% pour le Tadjikistan et 17% pour l’Ouzbékistan en 2016 (tableau 2). Par ailleurs, la balance commerciale connaît un grave déséquilibre pour le Tadjikistan (les exportations vers la Chine ne représentent que 5% du commerce total avec la Chine) et le Kirghizistan (les exportations vers la Chine ne représentent que 5,2% du commerce total avec la Chine). Au contraire, le Kazakhstan est le seul pays à avoir une balance commerciale positive. La relation commerciale entre la Chine et les quatre pays d’Asie centrale reproduit le modèle asymétrique soviétique. Les anciennes républiques socialistes soviétiques fournissent des matières premières et des ressources énergétiques et importent des produits manufacturés. En effet, la Chine exporte 38% des produits finis, 25% des produits manufacturés et importe des ressources énergétiques principalement du gaz 67% et des produits chimiques 12%. Le Kazakhstan a l’économie la plus tournée vers l’exportation. Cependant, elle est fortement dépendante du pétrole et des produits connexes (73% des exportations). En 2016, les exportations du Kazakhstan vers la Chine ont totalisé 4,2 milliards USD (tableau 2), dont 24% de pétrole, de combustibles minéraux et 14% de fer et d’acier. Les importations du Kazakhstan en provenance de Chine ont totalisé 3,7 milliards USD, y compris les machines, les réacteurs nucléaires 24% et l’électronique 19%. Les exportations du Kirghizistan vers la Chine sont principalement des métaux précieux bruts (53%), des produits alimentaires (16%) et du cuir (9%). Ce sont des produits à faible valeur ajoutée. Il importe de la Chine principalement des équipements de machines (26%) et du textile (45%). En raison de son emplacement et de ses itinéraires de transit, le Kirghizistan est devenu un important centre régional de commerce et de réexportation pour les biens de consommation chinois. C’est le seul pays d’Asie centrale membre de l’Organisation mondiale du commerce. Les deux pays ont abaissé les barrières de protection commerciale. Par conséquent, le Kirghizistan est désormais inondé de produits chinois. La Chine est le seul importateur de gaz turkmène depuis 2016. En effet, la Russie et l’Iran ont arrêté leurs importations. La Chine achète environ 80% des exportations du Turkménistan, intensifiant la dépendance du pays par rapport à Pékin. Le Turkménistan fourni à la Chine 4,4 milliards de dollars de gaz naturel au premier semestre 2019 soit un nouveau record.

Dans un contexte de commerce facilité et de faibles barrières douanières, les avantages comparatifs des entreprises chinoises détruisent la compétitivité des entreprises locales et créent une demande accrue d’importations chinoises en Asie centrale. Les pays d’Asie centrale ne sont pas homogènes en termes de relations commerciales avec la Chine et de niveau de dépendance.

Projets chinois en Asie centrale

Les prêts de la Chine représentaient 40% du total pour le Kirghizistan en 2016 et 41% en 2017. Le Kirghizistan a désormais une dette extérieure totale d’environ 3,8 milliards de dollars, dont 1,7 milliard de dollars empruntés à l’Export-Import Bank of China (Eximbank) soit 44%, selon le ministère des Finances (2019). La servitude pour dettes est déjà une véritable préoccupation pour le Tadjikistan, qui avait une dette extérieure totale d’environ 2,9 milliards de dollars au début du second semestre 2019, dont environ 48% sont dus à la Chine, selon le ministre tadjik des Finances Faiziddin Kakhkhorzoda. Au printemps 2018, le pays a cédé à la Chine la mine d’or d’Upper Kumarg dans la province de Sughd, avec 50 tonnes de réserves d’or, pour régler une dette de 330 millions de dollars contractée pour moderniser la centrale électrique de Douchanbé. (Kanat Altynbayev, Caravansérail, 2019)

Cependant, les prêts de la Chine ne représentaient que 8% du total pour le Kazakhstan en 2016 et 7% en 2017 même si les montants sont nettement plus élevés. Comme mentionné, le Kazakhstan est plus développé et plus attrayant pour les étrangers, il est donc plus facile de se diversifier. On note que les montants investis dans des projets ont plus que doublé en Asie centrale en 5 ans : 1,907 million USD en 2011 et 4,183 millions en 2015 . Mais les montants sont très hétérogènes, ceux investis au Kazakhstan sont au moins 4 fois plus élevés que ceux investis dans les autres pays.

La Chine est consciente que ses investissements en Asie centrale sont risqués. Afin de garantir ses propres investissements, la Chine a mis en œuvre un programme de prêts adossés à des ressources appelé « modèle angolais ». Cela signifie que si le pays ne peut pas rembourser en espèces, il doit rembourser avec des ressources naturelles. Par exemple, en 2009, la Chine a accordé un prêt de 10 milliards USD au Kazakhstan, dont 5 milliards USD fournis par la CNPC pour des investissements dans le secteur énergétique, en échange d’un accès à ses ressources pétrolières et gazières. Le contrat a permis à la Chine de contrôler directement plus de 15% de la production totale de pétrole kazakh. En 2009, la Chine a accordé un prêt de 4 milliards de dollars au Turkménistan en échange des droits d’exploitation de South Yolotan, l’un des plus grands gisements de gaz naturel au monde. L’accord de 30 ans permet à la Chine d’accéder chaque année à 50 milliards de mètres cubes de gaz. En 2006, la Chine a accordé un crédit de 1,2 milliard USD au Kirghizistan en échange de l’accès aux ressources minérales.

Jusqu’en 2008, les prêts chinois représentaient une part négligeable de la dette d’Asie centrale. Selon le président Gurbanguly Berdimuhamedov, le Turkménistan était libre de la dette extérieure jusqu’en 2009. Cependant, la situation a changé et le pays a contracté d’importants emprunts chinois au montant inconnu. En 2009, la société chinoise TBEA (Tebian Electric Apparatus) a dépensé 400 millions USD sur un projet électrique au Tadjikistan. En 2011, Pékin a annulé la dette du Tadjikistan, mais cela n’a pas été gratuit. Douchanbé a dû perdre 1 158 kilomètres carrés de son territoire « contesté » au profit de la Chine. En 2014, TBEA a construit une centrale électrique pour 350 millions USD à Douchanbe. La Chine a négocié deux mines d’or en paiement de la centrale électrique et de la ligne de transmission électrique construites dans le pays. Selon les données officielles, les entreprises chinoises détiennent 60% des parts de 50% des mines d’or du Tadjikistan.

Les entreprises chinoises produisent déjà environ 20 % du pétrole du Kazakhstan. Plus de 80 % des gisements d’or du Tadjikistan sont exploités par des sociétés détenues en partie par des Chinois, tandis que plus de 700 sociétés ouzbeks sont financées par des prêts bancaires chinois. Le plus gros investissement de la Chine dans la région est le projet de 8 milliards de dollars prévoyant le développement du gisement de gaz de Galkynych au Turkménistan et du pipeline menant à la Chine à travers l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Kirghizistan. La Chine représente désormais environ 55 % du commerce total de l’Asie centrale, contre moins de 10 % en 2008.

B. Aide conditionnelle de la Chine

La Chine se positionne comme une alternative au modèle d’aide occidental. En effet, les pays occidentaux et les organisations multilatérales demandent toujours des contreparties en matière de droits de l’homme, de démocratie, de liberté et de respect de l’environnement. A l’inverse, les principes fondamentaux de l’aide chinoise sont « l’égalité de traitement, le respect de la souveraineté, la non-ingérence, les avantages mutuels et le co-développement ». Ils ont été introduits pour la première fois en 1964 par le Premier ministre Zhou Enlai « Huit principes pour l’aide économique et la coopération technique à d’autres pays ». La Chine a une politique d’aide pragmatiste et de non-ingérence. En effet, son discours officiel souligne le fait qu’il s’agissait d’un pays opprimé par l’ingérence occidentale et par conséquent son modèle est différent. Selon le « Livre blanc sur l’aide étrangère de la Chine », du Bureau d’information du Conseil d’État de la RPC 2011, il existe de trois types différents d’outils financiers pour l’aide : les subventions, les prêts sans intérêt et les prêts concessionnels. Tout d’abord, les subventions sont réservées aux petits et moyens projets de protection sociale, afin de faciliter la coopération au développement des ressources humaines, la coopération technique, l’assistance en nature et l’aide humanitaire d’urgence. Ensuite, les prêts sans intérêt sont destinés aux établissements publics. Ces prêts sont des prêts de 20 ans décomposés en 5 ans d’utilisation, 5 ans de grâce et 10 ans de remboursement. Troisièmement, les prêts concessionnels sont réservés aux grands projets d’infrastructure. Dans les projets des Nouvelles Routes de la Soie, les prêts sont principalement des prêts concessionnels. Le taux d’intérêt est compris entre 2% et 3% avec une période de remboursement de 15 à 20 ans. Certains de ces prêts ont des conditions d’endettement, par exemple l’accès aux ressources. Selon Mattlin et Nojonen, dans La conditionnalité des prêts bilatéraux chinois, les prêts sont souvent accordés en échange de l’accès aux ressources. Il s’agit d’une « aide prédatrice » et la Chine renforce sa position de partenaire dominant car ce mécanisme a enfermé les pays d’Asie centrale dans le rôle d’exportateurs de matières premières, à faible valeur ajoutée et sans diversification de leurs économies. Les responsables chinois soulignent toujours que la Chine est encore un pays en développement et ne doit pas être comparée aux donateurs traditionnels. Selon le Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE, l’aide publique au développement (APD) est définie comme « des transferts de ressources d’un gouvernement à un autre, qui peuvent consister en une aide technique, des subventions officielles ou des prêts favorisant le développement économique et le bien-être ». La Chine n’étant pas membre de l’OCDE, elle n’a pas à respecter les lignes directrices du CAD pour l’aide étrangère. L’aide de la Chine est difficile à estimer car il n’existe pas de rapports de financement, de décisions concernant l’aide étrangère ou d’agence nationale de l’aide étrangère. L’absence de conditions politiques sur l’aide est critiquée au niveau international, la Chine est considérée comme un « donateur voyou », une puissance irresponsable, indifférente aux droits de l’homme par les pays occidentaux. En outre, l’aide chinoise s’accompagne malgré tout de certaines conditions politiques : être fidèle à la politique d’une seule Chine, ce qui signifie aucun soutien à la cause ouïghoure, des relations limitées avec Taiwan, le silence sur la question tibétaine. En outre, les prêts concessionnels pour les projets d’infrastructure stipulent qu’au moins 50% des équipements, technologies, services et matériaux achetés doivent être chinois (Kassenova, 2009) et une autre condition est la participation d’entreprises chinoises.

Par conséquent, la majeure partie des fonds injectés par la Chine les économies d’Asie centrale ne quittent jamais le système chinois : le prêt chinois accordé par une banque chinoise est investi dans une entreprise chinoise qui emploie des ouvriers et des équipements chinois pour remplir le contrat. L’aide de la Chine est avant tout guidée par ses besoins de développement.

Durabilité des projets et stratégie à long terme

Les besoins des pays d’Asie centrale ne sont pas spécifiquement étudiés et par conséquent, les projets chinois n’apportent pas forcément de réponse à des problématiques pourtant nombreuses. Les projets chinois répondent d’abord aux besoins chinois. La Chine et le Kazakhstan développent les itinéraires de fret à travers l’Asie centrale vers l’Europe. En 2016, le nombre de services de transport a augmenté de 21% entre les deux pays (84% étant des services de fret). En février 2016, les premiers trains de marchandises ont traversé l’Asie centrale depuis la Chine via le Kazakhstan et le Turkménistan. Cependant, les infrastructures de transport ne sont pas toujours synonymes de développement et encore plus de développement durable (Laruelle, 2018). Les investissements chinois en eux-mêmes sont une opportunité s’ils sont utilisés et mis à profit correctement pour construire des infrastructures lucratives. En outre, les pays doivent utiliser le savoir-faire de la main-d’œuvre locale et investir dans la formation et les services. Les infrastructures, en particulier les routes, doivent être entretenues et remplacées tous les 10 à 15 ans. Sinon, elles se détériorent, surtout du fait des conditions climatiques extrêmes dans la région. En outre, les prêts sont souvent contractés sur une période plus longue de 20 ou 30 ans, ce qui signifie qu’il est nécessaire de financer à la fois l’entretien et le remplacement ainsi que le remboursement des prêts. Idéalement, les infrastructures devraient créer suffisamment de richesse pour s’autofinancer. Ou l’accès à ces infrastructures doit être taxé ou payé pour financer leur entretien et leur renouvellement. Cela suppose une organisation fiscale supplémentaire de la part des pays. L’absence d’un pouvoir fiscal suffisamment fort empêche la collecte de fonds auprès des États et donc le financement de projets publics. Par exemple, les investissements et les prêts chinois ont permis la construction des trois pipelines entre la Chine et le Turkménistan. Par conséquent, le Turkménistan doit rembourser la Chine et ne tire aucun profit des exportations car ce sont des remboursements en nature. Cela signifie que les investissements chinois maintiennent le Turkménistan dans un exportateur de matières premières et de gaz, des produits à faible valeur ajoutée et d’autre part, ce n’est pas un modèle durable. En outre, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan et le Kirghizistan profitent des frais de transit mais les perdront si la Chine construit un quatrième gazoduc, la ligne D du pipeline Turkménistan-Chine. Ainsi, les investissements chinois ne sont pas pensés dans leur globalité et il n’y a pas d’intégration régionale. La construction de la ligne D a été retardée à plusieurs reprises. En effet, la Chine pourrait faire face à un excédent de gaz annuel de 50 milliards de mètres cubes à partir de 2020 en raison des plans d’expansion du gazoduc et des contrats à long terme. La baisse de la demande chinoise réduira l’attractivité de ce type de projets et aura un impact négatif sur les pays exportateurs.

En outre, il y a un début de concurrence entre les pays d’Asie centrale et le Xinjiang. Par exemple, le coton : en 2017, l’Ouzbékistan a exporté 1.000 tonnes de fil de coton vers la Chine avec les premiers trains de marchandises. L’objectif est d’atteindre 3.000 tonnes de coton par mois. Mais la Chine essaie de développer l’industrie cotonnière du Xinjiang. Par conséquent, il existe une contradiction directe entre les deux projets différents. La Chine a investi 3 milliards USD en subventions, avantages fiscaux et déchirures pour attirer les entreprises textiles au Xinjiang. L’objectif est de créer un million d’emplois dans l’industrie textile au Xinjiang d’ici 2023. Il existe également une concurrence directe pour l’exportation de produits alimentaires (principalement de céréales) entre le Kazakhstan et le Xinjiang.

Pour conclure, le développement des infrastructures peut être un catalyseur de la croissance économique et de la création d’emplois, mais cela nécessite des politiques fiscales et économiques de la part des États ainsi que des investissements dans le capital institutionnel, le capital humain et la formation des populations.

II. Pallier de réelles carences dans les pays centrasiatiques

Selon la Banque asiatique de développement (BAD), l’Asie est confrontée à un déficit de financement des infrastructures de 26 trillions USD jusqu’en 2030. L’Initiative chinoise de la Ceinture et de la Route est l’une des initiatives à développer les infrastructures de transport et d’énergie ainsi que la connectivité. Cependant, ce n’est pas la seule, il existe des initiatives régionales dirigées par le Programme de coopération économique (CAREC), le Programme de coopération dans la sous-région du Grand Mékong (GMS), le programme de coopération économique sous-régionale en Asie du Sud (SASEC), Association of South East Asian Initiative de connectivité nationale (ASEAN).

Les tableaux 5 et 6 et le graphique montrent que les pays d’Asie centrale sont confrontés à une corruption endémique, un environnement peu favorable aux affaires, des problèmes logistiques, une administration bureaucratique et fuite des cerveaux. Par conséquent, une partie des investissements est perdue en raison du dysfonctionnement administratif et du niveau élevé de corruption. Il y a un manque de coordination avec les autres bailleurs de fonds et les mécanismes financiers de la BRI sont peu intégrés à ceux des institutions financières régionales et mondiales. De plus, la plupart des investissements proviennent du secteur privé ou entreprises publiques chinoises ou banques chinoises. Il y a un manque de transparence dans les investissements, le processus et les aides. Les contrats ne sont pas transparents et certains ne sont pas respectés. De plus, la Chine ne fait pas partie de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). En 2009, Wikileaks a exprimé son scepticisme que le Tadjikistan rembourserait les prêts chinois. Par exemple, le chemin de fer qui traverse la Chine d’est en ouest est financé et subventionné par gouvernements, d’autant plus qu’ils doivent démontrer leur attachement à la vision du Parti qui parce que c’est une planification durable et financière. Et les banques chinoises n’étudient pas les risques des projets et leur durabilité. Le rapport Fitch Ratings de janvier 2017 mentionne qu’il y a un risque pour la Chine de non-solvabilité des pays d’Asie centrale. Chine doit également surveiller dans quelle devise les prêts sont libellés car si les devises des pays endettés s’effondrent, il leur sera plus compliqué de rembourser.

Selon Moody’s, les pays d’Asie centrale sont confrontés à des défis institutionnels et politiques susceptibles de ralentir la mise en œuvre et l’exécution des projets. L’AIIB a mis en œuvre une politique de bonne gouvernance. Il a adopté la liste des entreprises sanctionnées au titre de l’Accord pour l’exécution mutuelle des décisions d’exclusion. Selon la Banque asiatique de développement, “l’AIIB ne travaillera pas avec des entités interdites par cinq autres banques multilatérales de développement : la Banque africaine de développement, la Banque asiatique de développement, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), la Banque interaméricaine de développement et le Groupe de la Banque mondiale”. Selon les normes de l’Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE), les pays sont tenus de déclarer les politiques gouvernementales connexes et de divulguer des informations sur les contrats signés et les licences délivrées. Cependant, le Kazakhstan et le Tadjikistan n’ont divulgué aucune information sur les contrats et les licences. Le Kirghizistan n’a fourni des informations que sur un seul contrat, publié sur le site Internet du Parlement. Il y a un manque de transparence sur les contrats signés entre les pays d’Asie centrale et la Chine et par conséquent il est difficile d’en évaluer les montants et les impacts. La corruption est endémique en Asie centrale (Tableau 6) et un fléau. Par exemple, en Ouzbékistan, TeliaSonera, une société de télécommunications suédo-finlandaise, a versé 300 millions de dollars à la fille de l’ancien président Islam Karimov et l’affaire a été un scandale. Au Kazakhstan, Baker Hughes, une société américaine de services aux champs pétrolifères, a payé des fonctionnaires kazakhs pour un contrat de 219 millions USD à Karachaganak. En outre, les processus chinois d’investissement étranger ne répondent souvent pas aux attentes normatives de développement responsable. Selon le Global Corruption Report 2009 de Dieter Zinnbauer, Rebecca Dobson et Krina Despota, aucune loi n’interdit aux entreprises chinoises d’effectuer des paiements à (ou de s’engager dans des activités illicites avec) des entreprises étrangères et des fonctionnaires de gouvernements étrangers pour aider à obtenir ou conserver des contrats. Cependant, Xi Jinping a lancé une campagne contre la corruption dans l’administration chinoise en 2012. Entre 2012 et 2017, la campagne anti-corruption a mis en garde à vue 185 tigres (hauts fonctionnaires) et 1 714 mouches (cadres inférieurs).

En conclusion, les cinq pays d’Asie centrale ont des problématiques similaires concernant la corruption, la bureaucratie et un manque d’infrastructures. Cependant, du fait de leurs économies hétérogènes, leurs degrés de dépendance à la Chine sont variables. Les pays les plus fragiles économiquement, le Tadjikistan et le Kirghizistan sont très endettés et la Chine est de loin leur premier bailleur. De plus, on peut souligner un manque de cohérence en termes de politiques publiques. Pour que les investissements chinois en infrastructures soient un vrai levier de croissance et de désenclavement, les pays d’Asie centrale doivent avoir les moyens d’entretenir ces infrastructures et de les faire fonctionner, dans le meilleur des cas elles doivent s’autofinancer. Autrement, ils seront confrontés dans quelques années au double fardeau de rembourser les prêts chinois et de s’endetter pour entretenir des infrastructures qui coutent plus qu’elles ne rapportent. Les difficultés logistiques et institutionnelles font que ces pays sont peu attractifs pour les pays occidentaux, la Chine devenant de facto un partenaire privilégié.


Par Margaux Maurel – Diplômée de l’EDHEC, spécialiste des Nouvelles Routes de la Soie et de l’Asie centrale. Elle a travaillé pour la Commission Économique et Sociale pour l’Asie pacifique des Nations Unies, au bureau régionale pour l’Asie centrale et du Nord.