Par Madina Tsoroeva,

Une des priorités de l’initiative chinoise des nouvelles routes de la soie est le renforcement de la coopération internationale, la Chine développe la coopération multilatérale à travers plusieurs voies et l’enseignement supérieur n’est pas une exception. Il est devenu un des outils de la diplomatie culturelle chinoise.

Une coopération importante se fait avec les 5 pays de l’Asie Centrale. Ces pays réagissent de façon différente face à cette initiative notamment le Kazakhstan semble le plus engagé avec son programme d’Etat « Nurly Zhol– Voie vers l’avenir »[1] directement lié à l’initiative des nouvelles routes de la soie, le Turkménistan et l’Ouzbékistan sont les moins impliqués cependant dans le domaine de l’enseignement supérieur, l’initiative chinoise a joué et joue un rôle important dans l’ensemble de la zone.

Ainsi, la Chine propose un grand nombre de bourses dans les différentes universités chinoises. En Asie Centrale, ces bourses ont été proposées dès les années 1990 lorsque les républiques ont obtenu leur indépendance, mais avec l’expansion de la Belt and Road Initiative (BRI) la coopération universitaire se renforce. Les bourses peuvent être délivrées aux étudiants, doctorants et professeurs par le gouvernement à travers les Instituts Confucius qui deviennent un outil clé de la mobilité étudiante entre l’Asie Centrale et la Chine.

Les Instituts Confucius : outil du soft power chinois

Les Instituts Confucius (en chinois 孔子学院 kǒngzǐ xuéyuàn), dont le siège principal se trouve à Pékin et coordonné par le Hanban (le Bureau national pour l’enseignement du chinois langue étrangère, rattaché au ministère de l’éducation de la Chine) sont des établissements publics à but non lucratif (similaires aux alliances françaises et instituts français). La Chine commence à les implanter dans plusieurs villes du monde à partir de 2004, ils sont rattachés aux universités des villes où ils se situent. Les instituts sont mis en place par le gouvernement chinois. Néanmoins, ils sont soumis à la loi et sont sous la surveillance du ministère de l’éducation du pays où ils se trouvent. Les instituts disposent des cours de chinois de différents niveaux, délivrent les diplômes de langue HSK[2], organisent des voyages en Chine pour ses adhérents, participent dans la promotion de la culture chinoise, notamment en organisant les réceptions dans les mairies et autres lieux publics. La nature des activités dépend des villes et universités ou sont implantés les instituts ainsi que de la taille et des ressources de l’institut, cependant l’objectif principal reste le même, la promotion de la langue et de la culture chinoise.

Aujourd’hui, on compte 548 Instituts dans le monde, dont 17 en France. Un total de 47 000 enseignants à temps plein et à temps partiel et 1,86 million d’étudiants de différents niveaux de langue chinoise. Ces instituts deviennent un intermédiaire dans l’avancement de la BRI, cela touche certainement les pays d’Asie Centrale qui sont l’objet de cet article.

La coopération en matière d’enseignement avec les pays de l’Asie Centrale

Actuellement, il existe 12 instituts en Asie Centrale, à l’exception du Turkménistan. Le plus grand nombre d’instituts se trouve au Kazakhstan, comme il a été évoqué dans nos articles précédents, Kazakhstan est le pays phare de l’initiative des nouvelles routes de la soie en Asie Centrale.

Kazakhstan

À l’heure actuelle, on compte 5 Instituts Confucius au Kazakhstan, bénéficiant ainsi le plus des bourses proposées par le gouvernement chinois.

Apprendre et utiliser le chinois au Kazakhstan est en train de devenir une tendance, 14 000 kazakhs étudient en Chine, ce chiffre est en hausse chaque année. Cependant, les universités chinoises ne sont pas le premier choix de mobilité étudiante pour le moment compte tenu de la barrière linguistique. Ce sont les universités russes qui sont privilégiées par les étudiants de l’Asie Centrale, le russe est parlé alors que la langue chinoise reste une langue difficile à maîtriser. En revanche le coût des études est plus élevé en Russie ce qui constitue un facteur de choix de mobilité important, alors qu’en Chine, en passant un niveau de langue, les étudiants peuvent bénéficier d’une bourse et étudier sans payer les frais de scolarité. De plus le président du Kazakhstan a encouragé les jeunes à apprendre la langue du pays voisin. Depuis l’établissement des relations diplomatiques, la confiance politique mutuelle s’est renforcée, la coopération commerciale et économique est en pleine expansion, la Chine est devenue le deuxième partenaire commercial du Kazakhstan.

Plus l’initiative chinoise prend de l’ampleur et se développe sur le territoire du Kazakhstan plus ce dernier a besoin des cadres qui maîtrisent le mandarin. L’intérêt pour la Chine se renforce au Kazakhstan, notamment à travers la volonté d’étudier la langue. La langue est porteuse de la culture, en franchissant cette barrière, les affaires se font plus facilement, la confiance s’installe, et les relations sont plus facilement établies.

Lors de sa visite au Kazakhstan en 2017, le président chinois Xi Jinping a annoncé qu’au cours des cinq prochaines années, le gouvernement chinois augmentera le nombre de bourses accordées aux étudiants du Kazakhstan.  De plus, il est prévu premièrement d’augmenter le niveau d’éducation dans les Instituts Confucius et en augmenter le nombre afin d’améliorer la qualité de l’enseignement et de permettre à tous les sinologues kazakhs d’acquérir des connaissances solides. Deuxièmement, il est prévu d’améliorer les conditions d’enseignement du chinois dans les écoles locales. Ces dernières années, de plus en plus d’écoles ouvrent des classes de chinois au Kazakhstan, et le nombre d’élèves ne cesse de croître. Cependant, l’équipement technique de ces écoles et les manuels proposés ne sont pas encore à un niveau très élevé. L’ambassade de Chine s’implique et souhaite continuer d’œuvrer à l’amélioration des conditions d’apprentissage du chinois et à l’élaboration, en collaboration avec la partie kazakhe, d’un programme d’études adapté aux étudiants kazakhs.

Ouzbékistan

L’Ouzbékistan compte à présent 2 Instituts Confucius, le premier s’est ouvert en 2004 et le deuxième en 2014, avec un nombre d’élèves en hausse chaque année. L’institut de Tachkent élargi ses lieux, et à cette occasion l’ambassadrice de Chine en Ouzbékistan souligne que les échanges culturels et humanitaires entre les deux pays et peuples s’intensifient. Plus de 2 000 Ouzbeks apprennent le chinois, des cours de langue ouzbek sont désormais dispensés dans les universités de renom chinoises, ce qui montre la volonté d’une coopération mutuelle.

 Tadjikistan

Le premier Institut Confucius a été créé au Tadjikistan en 2008 auprès de l’Université d’Etat à Douchanbé. Au cours des dix dernières années, l’Institut s’est développé avec succès, des centaines d’enseignants chinois ont enseigné leur langue au Tadjikistan. Le nombre d’étudiants à l’Institut Confucius est passé de 200 à 4 000. Au cours de cette période, plus de 1 700 étudiants ont réussi les examens de qualification pour obtenir les bourses du gouvernement chinois selon l’ambassadeur chinois au Tadjikistan, Yue Bin. Les deux gouvernements décident d’agrandir l’Institut en créant un grand centre d’études de la culture chinoise. Ainsi, la construction du bâtiment pédagogique de l’Institut Confucius a débuté le 1 octobre 2018. Une cérémonie d’ouverture de la construction a eu lieu en présence de l’ambassadeur de la République populaire de Chine au Tadjikistan et du recteur de l’Université de l’Etat. Dans le nouveau bâtiment de deux étages, seront installés les salles de classe, une salle d’exposition, un musée, un amphithéâtre et d’autres objets dotés des équipements nécessaires à l’apprentissage du chinois.

Le deuxième institut Confucius a été ouvert en 2015 auprès de l’Institut minier et métallurgique du Tadjikistan (GMIT) dans la ville de Tchkalovsk.

Par ailleurs au cours de cette année scolaire 2018-2019, la Chine a attribué 350 places à la formation des citoyens tadjiks dans des établissements d’enseignement chinois. Selon le ministère de l’Éducation du Tadjikistan, actuellement plus de 3 000 étudiants tadjiks étudient dans 112 universités chinoises.

La Chine s’investit également dans la construction des établissements scolaires au Tadjikistan. Le 3 juillet 2018, un accord de construction de 3 établissements a été conclu entre le ministère de l’Éducation du Tadjikistan et la société chinoise Power China (une entreprise chinoise de construction), le coût total de ce projet s’élèvera à environ 3,5 millions de dollars. Selon cet accord, 3 écoles pour un total de 2 560 élèves seront construites à Danghara, Bokhtar et Levakant. Ces projets ne sont pas une nouveauté, car des entreprises chinoises ont déjà construit auparavant 7 écoles au Tadjikistan à destination de 12 000 enfants.

En octobre dernier, la Chine a proposé de créer une université internationale pour 40 000 étudiants au Tadjikistan, avec 42 départements différents. Ce projet est prévu pour intégrer des candidats non seulement du Tadjikistan, mais du monde entier, y compris des 4 pays voisins.

Kirghizistan

Afin de renforcer la coopération dans le domaine de l’éducation entre la Chine et le Kirghizistan et conformément à la décision prise par les deux chefs d’État lors du sommet de Bichkek et grâce aux efforts conjoints de l’Université du Xinjiang (Chine) et de l’Université de Bichkek le 15 juin 2008 l’Institut Confucius ouvre ses portes pour les étudiants kirghizes. En mai 2018, l’Université de sciences humaines de Bichkek organise un événement culturel en présence des représentants de l’ambassade de la République populaire de Chine au Kirghizistan, du ministère de l’Éducation kirghize, de célèbres universitaires chinois et kirghizes, ainsi que des représentants du monde des affaires et de la culture. Cet évènement a pour but de commémorer les 10 ans du lancement de l’Institut en dressant un bilan de ses activités.

Ainsi, en 2017 seulement, plus de 2 000 personnes ont participé aux tests HSK, se classant au 11ème rang mondial selon le nombre de participants. En 2016, plus de 3 000 délégués de 140 pays et 500 instituts Confucius ont participé au 11ème Forum mondial des Instituts Confucius du monde, qui s’est tenu à Kunming en Chine. Le Forum a décerné des diplômes aux 20 meilleurs Instituts Confucius du monde, dont celui de Bichkek.

Un deuxième Institut s’ouvre en 2013 dans la ville d’Och au sud du Kirghizistan. En plus de la langue chinoise, l’Institut propose des cours sur la culture chinoise : le kung fu, la calligraphie, la peinture chinoise et l’instrument de musique traditionnel chinois. Och est une ville stratégique, elle se situe à la frontière avec l’ouest de la Chine, le long des anciennes routes de la Soie. Selon le président de la Chambre de commerce chinoise à Och, les étudiants des Instituts de Confucius en Asie Centrale parlent couramment le russe, le chinois et les langues locales par conséquent, ils jouent un rôle important dans le développement de la coopération entre la Chine et l’Asie Centrale, ainsi que dans la promotion de l’initiative des nouvelles routes de la soie.

Un troisième Institut est établi auprès de l’Université nationale kirghize. De plus, cette dernière dispose d’un département linguistique spécialisé dans l’apprentissage approfondie du mandarin avec actuellement 1 200 étudiants.

D’autre part, indépendamment des Instituts, le 1 septembre 2017 ouvre ses portes une première école sino-kirghize à Bichkek, construite avec des fonds du gouvernement chinois. L’école est conçue pour accueillir 1 310 étudiants. Les cours sont enseignés en kirghize et en russe et en outre les étudiants apprendront l’anglais et le chinois.

Turkménistan

Le Turkménistan est le seul pays qui n’a pas encore d’Instituts Confucius auprès de ses universités, mais malgré son absence l’apprentissage de la langue chinoise bat son plein. Les autorités du Turkménistan décident d’introduire l’apprentissage du chinois en tant que langue étrangère dans plusieurs régions du pays. Par ailleurs, la Chine alloue traditionnellement des bourses à la formation aux étudiants turkmènes dans les universités chinoises.

Depuis le lancement de l’initiative des nouvelles routes de la soie, de nouveaux instituts et établissements scolaires voient le jour. D’ici 2020, il est prévu d’augmenter le nombre d’Institutions Confucius jusqu’à 1 000. Dans les 51 pays situés le long des nouvelles routes de la soie 135 instituts sont désormais établis.

L’une des volontés de la politique nationale de la Chine est le développement de l’enseignement supérieur dans les régions de l’ouest du pays. La région Xinjiang joue un rôle important dans le développement des Instituts Confucius situés en Asie Centrale, 7 Instituts sur 12 cités précédemment ont des partenariats avec les universités du Xinjiang. Les étudiants de l’Asie Centrale choisissent souvent la région Xinjiang comme leur destination étudiante en raison de sa proximité géographique. Un faible coût de la vie, des frais de scolarité, et une qualité croissante des programmes éducatifs rendent cette région très attractive pour les étudiants. Le soutien politique ajoute également sa pierre à l’édifice dans l’accroissement du nombre d’étudiants d’Asie Centrale dans la région. Depuis 2008, le gouvernement accorde au Xinjiang 100 bourses dans le but d’attirer les étudiants étrangers, principalement de l’Asie Centrale. Ces bourses font partie du plan de réforme à moyen et long terme du développement de l’éducation dans la région autonome ouïgoure du Xinjiang pour la période 2010-2020. Fin 2013, environ 7 000 étudiants étrangers ont étudié au Xinjiang soit 3 fois plus qu’en 2010. En 2014, 80 % de l’ensemble des étudiants étrangers du Xinjiang étaient des citoyens des pays d’Asie Centrale.

Quels seront les impacts de l’initiative des nouvelles routes de la soie dans la coopération entre la Chine et les pays d’Asie Centrale dans le domaine de l’enseignement ?

Dans un premier temps, on constate dès maintenant une volonté assez forte et un intérêt croissant de l’apprentissage de la langue et de la culture chinoise dans les pays d’Asie Centrale, cela se traduit par un essor de la mobilité étudiante dans les universités chinoises. Ensuite, on note un développement des régions comme le Xinjiang dans la sphère de l’enseignement et cela va s’accroître dans les années à venir. Enfin, on remarque une présence chinoise de plus en plus conséquente que ce soit économique, culturelle ou linguistique en Asie Centrale, reste à voir si cette nouvelle culture deviendra la rivale et remplacera l’influence de la culture russe dans la zone.

Sources :

[1] Test d’évaluation de chinois de 6 niveaux organisé par le Hanban

[2] Un programme d’Etat dont l’objectif est de garantir une croissance économique à long-terme du Kazakhstan.

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