Par Julien Buffet, Journaliste à La Chine au présent.

Article faisant suite au déplacement de Pascal Cagni, Business France, en Chine.

Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, la stratégie de développement de la France est portée par le volontarisme de l’État et des milieux d’affaires, caractérisé par l’approfondissement de la coopération avec la Chine à la fois sur le sol national et dans une dimension européenne renouvelée. C’est le message envoyé par le président de Business France en Chine lors de son déplacement en Chine en septembre 2018, véritable événement qui n’a pas échappé ni à l’œil des caméras ni à la plume des médias chinois. Mais plus encore, les investissements chinois en Europe contribuent à la réflexion sur le multilatéralisme de demain souhaité par l’Union européenne.

Construire un destin commun entre l’Asie et l’Europe

Lorsque la Chine a lancé l’initiative « la Ceinture et la Route » le 19 septembre 2013, elle a proposé aux pays et différents blocs régionaux du monde une intégration des flux économiques et humains en créant des infrastructures interopérables, sans restriction d’accès ni de mise en œuvre, fondées sur le concept de connectivité qui englobe : les transports, les échanges humains, l’énergie et le numérique. Dans sa nouvelle stratégie visant à relier l’Europe à l’Asie présentée le 19 septembre 2018, Federica Mogherini déclare à ce propos : « La connectivité est la voie de l’avenir. Plus nous sommes connectés, plus grandes sont nos possibilités de parvenir à des solutions politiques communes et d’apporter la prospérité économique […] au profit des citoyens tant en Europe qu’en Asie »[1].

Dans ces domaines, l’expérience chinoise repose sur une longue histoire qui s’est tout d’abord développée dans le cadre de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), véritable modèle en matière de connectivité. La dernière illustration en date est l’implantation en Malaisie du géant chinois Alibaba pour faire de ce pays la plate-forme du e-commerce affranchi des tarifs douaniers de la zone Asie-Pacifique en 2017 avec une mise en service prévue en 2019. Sous l’action de Xi Jinping, la connectivité a changé d’échelle dans une accélération du processus global qui a surpris les pays occidentaux tant elle surpasse la première initiative du genre lancée par les Nations Unies : le réseau routier asiatique initié en 1959. Prenant acte du nouvel état du monde après la chute de l’Union soviétique, le président chinois a orienté la connexion Chine-Europe à travers un dialogue à la fois avec la Russie et l’Europe.

Dans l’approche chinoise, Vladimir Poutine est un partenaire stratégique incontournable pour étendre la connectivité asiatique à l’Europe. Directement, car la dimension eurasiatique de la Russie en fait le premier voisin de type européen pour la Chine avec une frontière commune longue de 4 000 km. Il en va ainsi de la création des Routes de la steppe en 2015, où le potentiel énergétique et le réseau de transport de la Mongolie doivent être valorisés pour augmenter le volume des échanges entre la Chine et la Russie mais où l’Europe est aussi concernée. Un projet où des études de faisabilité sur les nouvelles autoroutes de l’énergie sont à l’œuvre avec la participation du français EDF. Indirectement ensuite à travers les négociations entre la Chine et la Russie sur le passage des nouvelles Routes de la Soie dans les pays d’Asie centrale, qui est la voie la plus directe pour rallier le marché de l’Union européenne. Mais il aura fallu attendre l’arrivée des investissements chinois dans les industries de hautes technologies d’Europe de l’Ouest et dans les infrastructures critiques des pays d’Europe centrale et orientale et de la zone méditerranéenne pour que la connectivité européenne commence à proposer les termes d’un terrain d’entente conjointement avec la connectivité asiatique impulsée par la Chine.

Le succès du plan d’investissement Juncker (2015-2018), attirant 335 milliards d’euros d’investissements aux deux tiers privés soit un niveau comparable avant la crise de 2008, a largement contribué à l’élaboration d’une réponse crédible et constructive de l’UE face à la Chine. La contribution de cette dernière au plan avait été négociée en 2016 à hauteur de 10 milliards d’euros via le fonds souverain Route de la soie vers le Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS)[2]. À titre de comparaison, les investissements chinois dans l’UE ont été estimés à 318 milliards de dollars sur une période de dix ans (2008-2018) selon une étude de Bloomberg publiée en avril 2018[3]. Toutefois, le flux des investissements annuels agrégés chinois en Europe s’est énormément accéléré en passant de moins de 1 milliards d’euros en 2008 à plus de 35 milliards en 2017. En conséquence, la réponse de l’UE était donc attendue et elle devrait prendre encore plus d’ampleur avec le relais du plan Juncker pris par InvestEU qui vise l’objectif de 500 milliards d’euros à l’horizon 2020.

En tant que plus gros contributeur étranger du plan Juncker, la Chine peut se targuer, aujourd’hui, d’avoir participé à la création de 750 000 emplois et à la hausse du PIB en Europe de 0,6 %. La relance économique du plan Juncker a aussi braqué les projecteurs sur le dynamisme de la France qui, grâce à son réseau solide et innovant de PME et d’ETI, en a été la première bénéficiaire en chiffre absolu avec des projets subventionnés pour un total de 10,5 milliards d’euros ayant engendré 50,2 milliards d’euros d’investissement[4].

La France, une startup nation en devenir

Le nouvel esprit français repose sur un écosystème financier et économique innovant, dont le principal objectif est de développer son propre modèle de start-up nation avec la création d’événements autour de la Frenchtech et d’incubateurs : Vivatech, Station F. Grâce à la nouvelle politique de guichet unique, un entrepreneur chinois qui choisit la France peut désormais créer son entreprise en trois jours et demi alors qu’il lui en faudrait quatre ou cinq en Allemagne et au Royaume-Uni.

Les savoir-faire où la France excelle sont particulièrement ouverts à la Chine : la recherche et le développement (première destination avec 125 investissements mondiaux), les plates-formes logistiques (concentration de 18 % de tous les projets en Europe) et le manufacturing (un projet sur cinq vient en France et non en Allemagne). Pascal Cagni souligne avec force ce paradoxe : « La Chine ignore totalement la R&D et ignore trop la logistique. Il faut donc que les Chinois viennent en France car le e-commerce va passer, en Europe, de 8 % à plus de 15 % dans les trois années à venir. Et donc pour le e-commerce, avoir des plateformes logistiques bien positionnées est essentiel »[5]. De fait, la qualité des investissements chinois actuels porte davantage sur les sièges sociaux internationaux et moins sur les atouts économiques concrets de la France. Or il est temps d’en saisir les opportunités. Elles sont fondées sur une politique fiscale incitative, des talents scientifiques compétitifs et des infrastructures complètes qui font de la France une passerelle vers les 400 millions d’Africains et une porte d’entrée vers les 500 millions d’Européens.

Les relations économiques du XXIe siècle entre la France et la Chine restent à inventer. Mais le rôle de la France en tant que plate-forme du hub européen commence à se dessiner clairement dans l’industrie du financement de l’entreprenariat. Le fonds d’investissement franco-chinois Cathay Capital est désormais reconnu par Bpifrance et China Development Bank comme un acteur essentiel pour développer le secteur des PME grâce à sa capacité à attirer des investisseurs institutionnels français, chinois et internationaux[6]. Au sein de Station F et dans la région de Shanghai, la société franco-chinoise Ouicréa s’est spécialisée dans la recherche et l’accompagnement des projets unicorn, un domaine où la France à la capacité de briller avec la création nette de 500 000 entreprises par an et plus de 10 000 startups, ce qui la classe au second rang européen selon Pascal Cagni. Enfin la banque Société Générale participe au financement de projets chinois en Afrique. Ces exemples montrent le rôle particulier que la France veut jouer en Europe dans les transactions commerciales et financières en favorisant l’internationalisation du renminbi (RMB). Selon Pascal Cagni, Paris s’est substitué, depuis 2017, à Londres et devance Berlin avec une levée de capital plus importante.

Le président de Business France insiste d’ailleurs sur le fait que les savoir-faire technologiques globaux n’ont pas de frontière pourvu que la coopération avec la Chine soit équilibrée et réciproque.

Bienvenue aux investissements chinois

Le slogan incarné par Emmanuel Macron, France is back, en réponse au French bashing des médias anglo-saxons, s’adresse à tous les investisseurs étrangers. Parmi eux, la France concentre son attention sur les investisseurs chinois.

Comme tous les pays européens depuis la crise de 2008, les investissements chinois sont synonymes de croissance économique et d’opportunités partagées dont la France a bien conscience selon les mots du président de Business France Pascal Cagni : « On attend plus d’investisseurs chinois en France. On a compris qu’avoir des entreprises étrangères sur le sol national est essentiel. Moins de 1 % des entreprises sont étrangères mais elles représentent près de 11 % des emplois, près de 21 % des dépenses de R&D et enfin 1 dollars sur 3 est exporté. On invite nos amis chinois à la création de richesses nationales sur notre territoire, car on considère qu’à partir de notre territoire, ils vont pouvoir commercer et tirer parti des Routes de la Soie »[7].

Ce climat de confiance repose sur une relation d’amitié sincère. La France est le haut lieu de la sinologie en Occident, avec la création de la première chaire permanente de chinois en 1843 à l’Ecole des langues orientales vivantes[8], elle est la première destination touristique des Chinois, 2,3 millions de touristes chinois ont rapporté un peu plus de 4 milliards d’euros en 2017, elle est aussi la terre d’accueil de la première communauté chinoise d’Europe, évaluée à 600 000 personnes. Emmanuel Macron a d’ailleurs rappelé cette profondeur des liens entre la France et la Chine lors de son passage à Beijing le 10 janvier 2018 : « Il n’y a pas que les sujets d’immédiateté, la diplomatie ou les sujets économiques. Il y a des histoires culturelles profondes enfouies dans nos imaginaires, qui continuent de dialoguer et que nous devons encore renforcer »[9].

Dans une Europe en proie à la montée de tous les nationalismes et du protectionnisme depuis le Brexit du 26 juin 2016 et l’arrivée au pouvoir de Matteo Salvini en Italie, la France est devenue un espace de stabilité qui profite d’un nouveau souffle entrepreneurial. Il est porté par une jeunesse entre 18 et 25 ans qui aspire à créer leur propre entreprise à 54 % alors que, six auparavant, ils n’étaient que 10 %. Et pourtant, Pascal Cagni déplore le manque d’attractivité de la France auprès des investisseurs chinois : « L’Amérique est le premier investisseur en France devant l’Allemagne. Mais la Chine est à moins de 8 % de tous nos investissements. […]. La Chine n’est que le 7ième investisseur en France. Or l’économie chinoise et américaine sont pratiquement à égalité. Il faut donc combler cet écart en termes de flux »[10].

Sur le terrain, les chiffres avancés par Pascal Cagni sont édifiants : les entreprises chinoises en France représentent 6 milliards d’euros de stock d’investissement et emploient 31 000 personnes, alors que les entreprises françaises en Chine ont un stock d’investissement de 19 milliards d’euros et emploient plus de 600 000 personnes. De ce point de vue, la culture des milieux d’affaires français fait qu’ils attendent une plus grande participation de la Chine dans leur économie. Le stock d’investissement de la Chine dans le monde reste en effet très marginal, pas plus de 10 % de son PIB, alors que le total de ces stocks pour la France représente 50 % de son PIB.

Le sentiment de défiance parfois exprimé par la classe politique française et européenne n’est donc pas lié aux investissements chinois en eux-mêmes mais plutôt à des acquisitions considérées comme hors normes ou symbolique de la nation[11].

Ces questions économiques autour de la capacité d’investissement de l’UE et de la Chine pour l’avenir sont aussi au cœur des interrogations sur les contours du multilatéralisme que la France et la Chine appellent de leurs vœux. L’ambassadeur de France en Chine, Jean-Maurice Ripert, rappelle ainsi que la nouveauté de la coopération commerciale contenue dans l’initiative « la Ceinture et la Route » est qu’elle englobe aussi un projet civilisationnel qui va définir partiellement l’avenir du multilatéralisme : « Le président de la république a proposé de tenir un séminaire en marge du Forum de la paix (11-13 novembre 2018 à Paris) sur la réforme de l’OMC. Nous souhaitons de tout cœur que la Chine participe, mais il faut être clair : nous voulons réformer le système multilatéral actuel, nous ne voulons pas le faire disparaître. Je crois qu’on y arrivera si on se parle beaucoup »[12].

Un souhait qui sera exaucé puisque, hasard du calendrier, des discussions sur ce sujet  se tiennent entre le 4 et 11 novembre 2018 à Shanghai en marge de l’Exposition internationale d’importation de Chine.

[1] http://europa.eu/rapid/press-release_IP-18-5803_fr.htm.

[2] https://www.euractiv.fr/section/euro-finances/news/brussels-clears-way-for-china-to-pour-billions-into-juncker-plan/.

[3] https://www.bloomberg.com/graphics/2018-china-business-in-europe/.

[4] https://www.lesechos.fr/monde/europe/0301995656603-europe-le-plan-juncker-a-depasse-ses-objectifs-2192995.php/https://www.caissedesdepotsdesterritoires.fr/cs/ContentServer?pagename=Territoires/Articles/Articles&cid=1250281593631.

[5] Conférence de presse à l’Ambassade de France à Pékin, 19 septembre 2018.

[6] https://presse.bpifrance.fr/bpifrance-china-development-bank-et-cathay-capital-lancent-le-fonds-sino-french-midcap-ii-de-12-milliard-deuros/.

[7] Conférence de presse à l’Ambassade de France à Pékin, 19 septembre 2018.

[8] https://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1995_num_139_4_15544.

[9] Conférence de presse à l’Ambassade de France à Pékin, 10 janvier 2018.

[10] Conférence de presse à l’Ambassade de France à Pékin, 19 septembre 2018.

[11] https://www.lesechos.fr/27/12/2017/lesechos.fr/0301029771747_l-irresistible-ascension-des-investissements-chinois-en-europe.htm.

[12] Conférence de presse à l’Ambassade de France à Pékin, 19 septembre 2018.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.