Par Adrien Mugnier
Pour la Chine, l’un des plus gros investisseurs sur le continent africain, Maurice est un modèle de développement qui peut être dupliqué ailleurs en Afrique, selon Rajiv Servansingh, ancien président d’Airports Terminal Operations de Maurice.
“Le cas de Maurice est particulièrement intéressant pour elle, car c’est un pays où la diaspora chinoise a prospéré“, avait-il confié fin juillet à la presse locale à l’occasion de la visite amicale du président chinois Xi Jinping dans l’archipel.
Pour Amédée Darga, directeur de StraConsult et membre de l’Africa Business Club, “le flux d’argent, d’investissements, de marchandises et de pétrole entre la Chine, l’Inde, le Moyen-Orient et l’Afrique est en train de faire de l’océan Indien un ‘hub’ important de l’économie mondiale“.
M. Darga pense que la Chine n’a pas besoin de Maurice pour entrer en Afrique, où elle est déjà présente depuis longtemps. Toutefois, le pays offre tout de même quelques avantages aux Chinois.
“Notre juridiction offre une bonne sécurité pour la domiciliation des entreprises chinoises. Ces derniers peuvent donc domicilier leurs entreprises ici en toute sécurité et opérer en Afrique“, a-t-il expliqué.
La Chine est le premier pays parmi les économies émergentes à investir à Maurice. Ces cinq dernières années, les fonds chinois ont totalisé 250 millions de dollars, selon les derniers chiffres publiés par la Banque de Maurice.
La présence chinoise est visible dans la construction d’écoles primaires, d’hôpitaux, de villes intelligentes, d’un terminal d’aéroport, de projets immobiliers. Et la liste des investissements et constructions chinois est longue.
Parmi les projets de coopération qui devraient bientôt se concrétiser : le complexe sportif polyvalent de Moka, le projet Jinfei Smart City ou encore la mise sur pied d’une académie chinoise des sciences médicales. Quant aux bâtiments qui ont déjà bénéficié d’un apport chinois, on retrouve l’emblématique Stade Anjalay, construit en 1990, les écoles primaires de Belle Mare et d’Albion ou encore l’extension de l’hôpital de Flacq, en 1995, pour n’en citer que quelques-uns.
D’autre part, avec l’accord de libre-échange bilatéral attendu par les deux parties, de nouvelles voies d’échanges commerciaux et d’investissements devraient émerger et conforter la position stratégique de Maurice dans le couloir Chine-Afrique, indique-t-on au ministère mauricien des Affaires étrangères.
Sur le plan financier, la Bank of China (BoC) a ouvert une succursale à Maurice en septembre 2016. Elle couvrira non seulement l’économie mauricienne mais aussi d’autres pays d’Afrique. Maurice est également une plateforme importante pour les pays africains qui souhaitent investir en Chine.
L’édition 2018 du Sommet du Forum sur la Coopération sino-africaine (FCSA) aura lieu début septembre à Pékin. De nombreux dirigeants africains y sont attendus, dont le Premier ministre mauricien Pravind Jugnauth.
L’Ile Maurice est aussi une terre d’influence de l’Inde, qui joue des coudes avec la Chine, mais l’ïle Maurice est-elle suffisamment armée pour imposer sa voie face à ces deux mastodontes ?
Les ambitions mauriciennes en tant que centre financier impliquent à la fois l’Inde et la Chine jouant un grand rôle dans son avenir. En se réinventant en tant que plate-forme de lancement active pour les investisseurs en Afrique – avant d’être avant tout un lieu de stockage de la richesse offshore – Maurice souhaite approfondir ses liens existants avec l’Inde tout en en cultivant de nouveaux avec la Chine.
“Nous n’avons pas à faire de choix – nous voulons être amis“, a déclaré Rama Sithanen, président du groupe de services financiers local IFS et ancien ministre des finances. “On ne nous a jamais demandé de faire ces choix.”
Par ailleurs, les relations avec New Delhi et Pékin semblent entraîner Maurice dans différentes directions. L’île vise à maintenir des liens politiques et de sécurité avec l’Inde et à faire en sorte que la Chine joue un rôle très important dans les plans visant à réorienter le rôle de Maurice en tant que centre financier vers l’Afrique.
L’Inde a dominé les flux d’investissements vers Maurice depuis son ouverture en tant que centre offshore il ya 30 ans. Une modification récente de l’imposition des gains en capital dans la convention fiscale des deux pays pourrait quelque peu diminuer ces flux à l’avenir. Dans le même temps, une clause dite de «droits acquis» dans le traité signifie que le capital indien peut toujours avoir un intérêt substantiel dans l’île.
L’élite politique mauricienne a des liens historiques puissants avec l’Inde. Nombreux sont les “girmityas” , descendants de travailleurs indiens sous contrat qui sont venus travailler dans les plantations de canne à sucre sous la domination britannique sur l’île.
Les relations entre Narendra Modi, le Premier ministre indien, sont si proches que Maurice est surnommée “la petite Inde“. L’influence de New Delhi sur l’île n’a pas toujours été aussi discrète. Dans les années 1980, le gouvernement d’Indira Gandhi a brièvement envisagé d’envahir Maurice lorsqu’il est apparu qu’un gouvernement favorable à l’Inde risquait d’être renversé. En mai, Pravind Jugnauth , Premier ministre mauricien, et Modi ont signé un accord sur la sécurité maritime deux semaines seulement après un sommet chinois à Pékin, impliquant des dirigeants nationaux tels que Vladimir Poutine et le Premier ministre pakistanais Nawaz Sharif. Soi-disant relatif à “l’initiative de la ceinture et de la route” – l’effort à grande échelle de la Chine pour stimuler son commerce par le biais de programmes de construction d’infrastructures à l’étranger.
L’accord Maurice / Inde a été renforcé par une ligne de crédit de 500 millions de dollars du gouvernement indien. Cela a montré à quel point New Delhi peut, comme Pékin, assouplir ses muscles financiers pour soutenir des projets d’infrastructure et défendre une sphère d’influence.
Metro Express, un réseau ferroviaire léger destiné à réduire la congestion routière sur l’île, est construit par une multinationale indienne et financé à hauteur de 300 millions de dollars par New Delhi. Si l’influence politique de l’Inde dans la capitale mauricienne, Port Louis, semble assurée – notamment par le biais de liens historiques – la Chine se profile à grands pas.
Récemment, par exemple, Maurice a signé des accords avec des gouvernements au Sénégal, au Ghana, en Côte d’Ivoire et à Madagascar afin de faciliter la création de parcs d’affaires et de zones économiques spéciales. C’est le type d’infrastructure qui pourrait bientôt être important pour les investisseurs chinois cherchant à exploiter les marchés locaux. En effet, comme le dit lui-même M. Jugnauth, “Maurice a invité le gouvernement chinois à établir des partenariats pour investir dans ces entreprises“, ajoute-t-il. “Les deux pays reconnaissent l’énorme potentiel de coopération future.”
Enfin, Bank of China a obtenu une licence à Maurice l’année dernière et Huawei, le plus grand fabricant de smartphones de Chine, étend sa présence locale. À long terme, “les Chinois aimeraient trouver une base sur laquelle ils peuvent accéder à une expertise“, note M. Law Min, notamment pour comprendre comment exploiter les changements démographiques sur le continent.
La hausse des salaires et le vieillissement de la population à domicile vont pousser les entreprises chinoises à “vouloir venir en Afrique pour accéder à cette main-d’œuvre moins chère et plus jeune“, dit-il. “Nous pensons que le corridor entre la Chine et l’Afrique, en termes de commerce et d’investissement, augmentera de manière significative“, a déclaré M. Sithanen. ” De même, nous avons de la place pour que des sociétés indiennes viennent investir à Maurice “, ajoute-t-il.
En concluant par ses mots : ” La Chine va gagner, l’Inde va gagner “.