Cet article est la première partie du dossier Birmanie – L’intégration de la Birmanie au sein des Nouvelles Routes de la Soie : retour sur la relation sino-birmane depuis 1949

La visite de Xi Jinping en Birmanie en janvier 2020 a symboliquement entériné l’intégration de cette dernière au sein des Nouvelles Routes de la Soie. Pays stratégique, la Birmanie entretient avec la Chine des relations ayant connu des difficultés notables. Nées par la reconnaissance de la République populaire de Chine en 1949, les relations bilatérales sont dès le début froides, mais se réchauffent en 1954 sous le principe du Pauk Phaw (fraternité). Malgré le soutien de la Chine à certains groupes ethniques armés dans le nord de la Birmanie et la peur du piège de la dette, la Chine reste le principal partenaire commercial du pays. Les dirigeants birmans de la junte ou du gouvernement démocratique ont dû faire le choix de la Chine pour des raisons économiques et politiques, et ce en dépit d’un sentiment anti-chinois au sein de la population. En résulte une relation complexe et asymétrique qui a dû s’adapter aux différents bouleversements politiques qu’a connu le « pays aux mille pagodes ».

L’établissement des relations bilatérales

L’année 1949 marque le début des relations sino-birmanes. Le ministre des affaires étrangères birman de l’époque annonce que son pays reconnaîtra la République populaire. Il s’agit alors du premier pays d’Asie du Sud-Est non communiste à le faire (1). Mais ce début de relation demeure sans engagement et froid. Une méfiance existait entre les deux parties durant la période 1949-1953. Pékin voyait la Birmanie comme un subalterne des pays occidentaux tandis que Rangoune craignait d’être envahie par la Chine (2).

Les relations ont commencé à se réchauffer en 1954 lorsque les Premiers ministres Zhou Enlai et U Nu se sont mutuellement rendus visite et ont signé l’accord d’amitié et de non agression entre les deux pays (3) sous le principe de  du Pauk Phaw (affinité ou fraternité en birman)

Mais en 1957, les tensions entre les deux pays s’intensifient avec l’entrée des forces chinoises dans la région de Wa (nord-est de la Birmanie) dans le but de combattre les Nationalistes chinois ayant fui la Chine dans les années 1950 après la guerre civile. Ce fut finalement l’accord frontalier de 1960 entre Pékin et Rangoune qui régla cette question (4). De plus, les émeutes anti-chinoises de 1967 en Birmanie et l’expulsion de communautés chinoises du pays vont envenimer les tensions. Cela pousse Pékin à accroître son soutien au parti communiste birman. Il faudra attendre les années 1970 et l’arrivée de Deng Xiaoping au pouvoir pour une amélioration des relations. Ce dernier réduit son soutien au Parti communiste birman, signe un accord commercial avec la Birmanie et apporte  une aide militaire et économique à la junte birmane.

Premier Zhou Enlai and Prime Minister U Nu in Myanmar, June 1954
Premier Zhou Enlai and Prime Minister U Nu in Myanmar, June 1954, Global Times, https://www.globaltimes.cn/page/202106/1225991.shtml

En 1988, la Birmanie connaît des manifestations pro-démocratie qui seront réprimées. La communauté internationale condamne Rangoune et impose des sanctions isolant le pays. Pékin se présente alors comme un acteur essentiel pour contrer cet isolement (5). Jusqu’en 2010, la République populaire a fourni un soutien économique et matériel à la junte. Pas moins de 60 % de l’armement de l’armée birmane et 42 % des investissements directs étrangers (IDE) provenaient de Chine (6).

Au niveau des investissements, les IDE chinois en Birmanie s’élevaient de 20 millions de dollars US en 2004 pour atteindre 2 milliards en 2010 (7). Encouragée par la politique chinoise du Go Global lancée en 1999, la Birmanie était à l’époque le deuxième récepteur d’investissements chinois au sein de l’ASEAN après Singapour. Ces investissements portaient essentiellement sur des projets d’extraction de ressources gazières ou pétrolières ou encore hydroélectriques. Ils étaient encadrés par des entreprises d’État chinoises comme la China Wanbao Mining company dans le projet minier de Letpadaung ou encore la China Power investment Corporation pour le projet de barrage d’Irrawaddy.

Les élections contestées de 2011 en Birmanie voient l’arrivée au pouvoir de Thein Sein et d’un gouvernement civil marquant un signe d’ouverture et de libéralisation, même si ce gouvernement comprend encore des militaires. Thein Sein voulait « un gouvernement propre, une bonne gouvernance » avec l’objectif de montrer que son administration pouvait mener des réformes allant à contre-courant de ce que la junte avait mené jusque là. Le but était également d’ouvrir de nouvelles perspectives diplomatiques et économiques à l’international afin de garantir l’autonomie du pays.

Car pour de nombreux Birmans, la Chine s’est trop étendue dans le pays. Des protestations anti-chinoises avaient éclaté contre les projets miniers, pétroliers et hydroélectriques mettant au défi la politique de bonne gouvernance de Thein Sein. La dépendance à la Chine a été jugée trop importante et la recherche de légitimité au niveau international vise à réduire l’isolement birman et les sanctions des pays occidentaux afin de précisément réduire cette dépendance envers Pékin.

La place de la Chine dans la Birmanie d’Aung San Suu Kyi

La victoire de la Ligue Nationale pour la Démocratie (National League for Democracy, NLD) et l’arrivée au pouvoir d’Aung San Suu Kyi après les élections de 2015 marque un tournant dans une Birmanie faisant face à de nombreux défis. L’un de ces défis est économique, un aspect qui redonnera une place importante à Pékin dans l’espace politique et économique birman. Ce soutien sera moindre que celui qu’a connu la Birmanie de 1988 à 2010 (8) mais sera cependant celui de l’ancrage du pays au sein des Nouvelles Routes de la Soie.

Le président chinois Xi Jinping et la conseillère d’État du Myanmar, Aung San Suu Kyi, se serrent la main au palais présidentiel de Naypyitaw, au Myanmar, le 17 janvier. Crédit photo : Reuters

En effet, la NLD a maintenu de bonnes relations avec Pékin malgré le sentiment anti-chinois au sein de la population. Aung San Suu Kyi a ainsi assisté au forum de la BRI en 2017 et 2019, et Xi Jinping a visité la Birmanie en 2020. L’objectif est avant tout économique puisque le gouvernement birman a fait du développement des infrastructures un des ses principaux objectifs (9). Ce besoin en infrastructures, ainsi que les liens entre Pékin et Naypyidaw, a amené à la signature du Corridor Économique Sino-Birman (China Myanmar Economic Corridor, CMEC) en 2018 (10). Naypyidaw privilégie alors le partenariat public-privée avec des entreprises chinoises et birmanes pour le développement des infrastructures dans le pays.

Mais le sentiment anti-chinois persiste au sein de la population. Les oppositions aux projets chinois restent fortes et des renégociations de projets ont eu lieu. Les préoccupations de la Birmanie portent surtout sur la question de la dette, du foncier et de l’environnement.

La relation Pékin-Naypyidaw depuis le coup d’État de février 2021

Peu de temps après la visite de Xi Jinping en Birmanie en 2020, la pandémie de Covid-19 a entraîné la fermeture de la frontière sino-birmane. 13 mois plus tard, le 1 février 2021, la Birmanie connaît un coup d’État, Aung San Suu Kyi est arrêtée et une guerre civile démarre. Dans les premiers jours qui ont suivi ce coup, Pékin prend ses distances avec Naypyidaw.

Ayant beaucoup investi dans sa relation avec la Birmanie d’Aung San Suu Kyi, il est clair que le coup d’État a mis à mal des années de relations diplomatiques. L’ambassadeur chinois en Chine a dû démentir les accusations d’implications chinoises dans ce coup d’État en affirmant qu’elle n’y avait aucun intérêt et que la situation politique actuelle n’était « absolument pas ce que la Chine voulait voir ». Face à ce bouleversement politique, Pékin a dû recalibrer son approche afin de préserver ses intérêts dans le pays.

La Chine fait alors le choix du pragmatisme en se rangeant derrière la junte afin de continuer à alimenter le CMEC en investissements (11). Ainsi, à l’ONU, la Chine refuse de sanctionner la junte. S’ensuit un réchauffement des relations, bien que les deux parties fassent profil bas. Cette reprise est marquée par une rencontre entre Wang Yi, le ministre des affaires étrangères chinois et son homologue birman en juin 2021. En avril 2022, Wang Yi déclara que, quelle que soit l’évolution de la situation, la Chine soutiendra la Birmanie, signe d’un retour définitif à la normale.

Le chef militaire du Myanmar, le général Min Aung Hlaing, et le président chinois Xi Jinping se rencontrent à Pékin le 24 novembre 2015

Si lors de la décennie précédente Naypyidaw avait pu concilier sa relation avec la Chine et d’autres acteurs internationaux, le coup d’État de 2021 laisse une économie birmane en difficulté face à des IDE en chute libre. C’est alors Pékin qui détient désormais la plupart des cartes en Birmanie. La priorité demeure le CMEC et la sécurité frontalière. Le corridor économique est toujours à l’ordre du jour mais la trajectoire de la relation est modifiée par ces nouvelles dynamiques politiques et l’évolution des besoins stratégiques de Pékin et de Naypyidaw.

Cette relation s’axe également d’autres thématiques que celle des infrastructures, les  récents développements semblent en tout cas aller dans ce sens (12). Cela s’est d’abord manifesté par la diplomatie des vaccins de Pékin lors de la pandémie. Des transferts de technologies chinoises vers la Birmanie ont eu lieu pour permettre la production de vaccins sous la marque Myancopharm (13). Face à l’absence de concurrents sur le marché birman, la diplomatie des vaccins chinois a ouvert la voie à l’établissement d’entreprises chinoises sur le marché pharmaceutique birman qui est encore fortement dominé par des importations en provenance d’Inde (14).

Autre exemple au niveau des technologies, le renminbi numérique pourrait s’avérer utile pour la Birmanie. Depuis l’introduction du renminbi en tant que monnaie officielle de règlement pour les échanges transfrontaliers sino-birmans (15), la monnaie numérique permettrait une réduction de la dépendance de la Birmanie au dollar US, notamment dans ses échanges commerciaux, et d’atténuer les restrictions de son accès au système international SWIFT (16). Le règlement en renminbi numérique est une projection stratégique pour Naypyidaw et un avantage pour Pékin en termes d’efficacité commerciale et de financement des futurs projets.

Pourtant, à la fin du mois d’octobre 2023, Pékin semble reconsidérer ses intérêts face aux ravages de la guerre civile en cours. L’offensive menée en octobre par l’Alliance des trois confréries, une coalition de groupes ethniques armés s’opposant à la junte birmane au pouvoir, contre des installations de l’armée régulière birmane, semble à première vu exposer un double jeu de Pékin. Cette Alliance des trois confréries entretient des relations avec les services de sécurité chinois (17) et opère dans le nord du Myanmar, à la frontière chinoise, en s’emparant notamment de bases militaires et de quatre points de passage frontaliers essentiels pour le commerce entre la Chine et la Birmanie. L’Alliance a également annoncé que l’un de ses objectifs est l’éradication du réseau de cyber-escrocs s’étant développé le long de la frontière entre le Myanmar et la Chine, des opérations qui constituent un problème de sécurité majeur pour la Chine (18). Il faut cependant noter que c’est au côté de la junte que la Chine lutte contre cette cyber-escroquerie, elle ne s’oppose cependant pas aux agissements des groupes ethniques armés qui vont dans ce sens (19).  

Mais Pékin n’a pas changé de camp pour autant. Pour rassurer la junte, des exercices navals conjoints entre les deux armées ont été réalisés en décembre 2023 et Wang Yi a rencontré le vice-premier ministre du Myanmar, Than Swe, à Pékin. Cette approche de Pékin envers la junte, au premier abord contradictoire, distingue en fait les intérêts chinois à court et long terme. À court terme, Pékin s’inquiète pour sa sécurité, notamment les 2 000 km de frontière commune qui demeurent très peu contrôlés par Naypyidaw et de possible débordement du conflit sur son territoire. À long terme, la Chine craint pour ses intérêts économiques, ses investissements dans le CMEC. 

Il semble donc important de noter que ces groupes ethniques armés ne sont pas des proxys de Pékin et encore moins que la Chine s’immisce dans la guerre civile birmane. Ces groupes armés défendent leurs propres intérêts et Pékin a toujours mené une politique de non-ingérence dans les affaires intérieures de la Birmanie (20). La Chine craint donc que l’escalade du sentiment anti-chinois au Myanmar menace ses actifs stratégiques et économiques. Par conséquent, Pékin a, pour le moment, plutôt intérêt à ne pas s’immiscer dans la guerre civile pour éviter une vague de sentiments anti-chinois. 


Par Théo Banse, Chargé de Veille Asie du Sud-Est à l’OFNRS