Cela va faire déjà 10 ans que la Chine a entamé son grand projet de stratégie diplomatique et économique : l’Initiative des Nouvelles Routes de la Soie. Ces routes n’ont cessé de s’étendre et de complexifier les liens qui unissent la Chine et de nombreux pays du monde, et notamment les pays d’Afrique qui bordent l’Océan Indien. Pour ces pays, répartis entre l’Afrique de l’Est, l’agriculture est une ressource clé. Elle permet de faire vivre une grande partie de la population et participe parfois de façon très importante à l’économie de l’Etat. Les grands pays d’Afrique orientale sont de gros exportateurs de produits agricoles vers la Chine ; et le pays met en place des projets commerciaux et scientifiques en vue de développer les filières agricoles du territoire.
La relance des routes commerciales le long de l’ancienne route de la soie reliant la Chine à l’Afrique de l’Est est présentée par les dirigeants chinois comme un symbole de l’engagement de la Chine envers l’Afrique. Selon Xi Jinping, l’Afrique devrait bénéficier de l’Initiative des Nouvelles Routes de la Soie car “l’insuffisance des infrastructures est le plus grand obstacle au développement de l’Afrique“, un point de vue partagé par de nombreux dirigeants africains. Les partisans de l’initiative la Ceinture et la Route soulignent également le potentiel des retombées, telles que l’augmentation des investissements privés chinois dans le tourisme, l’immobilier et l’agriculture, parallèlement aux projets d’infrastructure.
Les acteurs chinois, publics ou privés, se multiplient dans la région. Toutefois la présence de l’Etat Chinois semble inquiéter d’un côté, ravir de l’autre. De nombreux mythes entourent la présence chinoise en Afrique, surtout dans le milieu agricole. Ces inquiétudes peuvent être fondées, la Chine en effet a une vision de la coopération internationale bien différente de ce qui a été fait par l’Occident. Son statut de pays du Sud et de grande puissance économique lui confère auprès de nombreux pays Africains une place bien particulière, “le bon frère de l’Afrique” tel que Hu Jintao l’a déclaré auparavant. “ L’Afrique de l’Est, c’est une ouverture sur le reste de l’Afrique, sur le Moyen-Orient et sur l’Océan Indien” a rappelé Mourad Chouiqa, responsable régional Afrique de l’Est, Australe et Océan Indien de Bpifrance. La Chine semble l’avoir compris et favorise ses liens avec les pays de la zone.
Tout au long de ce dossier, nous analyserons les raisons et la stratégie de la Chine derrière ses investissements dans le secteur agricole de l’Afrique de l’Est, le commerce de produit d’un point à l’autre, analyser les actions des différents acteurs chinois et enfin voir comment cette coopération agricole cimente et fortifie les relations diplomatiques que la Chine cherche à établir avec les pays Afrique qui bordent l’Océan Indien.
Présence de la Chine dans le paysage agricole de l’Afrique de l’Est
Si les Initiatives des Nouvelles Routes de la Soie ont débuté en 2013, les investissements de la Chine sur le continent Africain ont débuté à partir de la libéralisation de la Chine mise en place par Deng Xiaoping et poursuivie par Jiang Zemin, à partir des années 1980. Depuis son intégration à l’OMC au début du XXIème siècle, la Chine a mis en place plusieurs mécanismes afin de favoriser le développement des pays Africains tel que le FOCAC (Forum sur la coopération sino-africaine). Le FOCAC est un mécanisme de dialogue politique et de coopération multilatérale entre la Chine et les pays africains. Il a été créé en octobre 2000 et est basé sur les principes de l’égalité, de la confiance mutuelle et des avantages réciproques et compte actuellement 53 pays membres. Depuis sa création, le FOCAC s’est réuni à sept reprises, dont quatre à Pékin, avec pour objectif le renforcement des investissements chinois pour moderniser les pays africains.
L’agriculture fait partie des priorités du FOCAC depuis 2006. En termes de chiffres, seulement 5% des projets financés et réalisés sont axés sur l’agriculture et la pêche, mais la thématique est portée avec une attention particulière entre la Chine et les pays Africains[1]. La Chine réalise plusieurs types d’investissements dans le secteur agricole d’Afrique de l’Est. Il peut s’agir d’investissements directs dans les exploitations agricoles, d’investissement dans les infrastructures agricoles, afin de favoriser la modernisation des outils. La Chine investit dans la recherche et le développement de techniques, en poursuivant des programmes de recherches, des échanges scientifiques, etc.

Qui sont les acteurs chinois ?
On entend souvent parler de « la Chine », en Afrique, de « l’Empire du Milieu » qui étend son influence en Afrique de l’Ouest. Mais de quelle Chine parle-t-on concrètement dans le secteur agricole de l’Afrique de l’Est et Australe ? Auparavant, avant la libéralisation de la Chine dans les années 80, le pays menait déjà des projets d’aide au développement sur le continent[2]. « La Chine » désignait alors le gouvernement et les organismes publics mis en place par la Chine dans cette optique. L’agriculture en lien avec l’Afrique et la Chine peut être retracée à partir des années 1950, où la Chine justement commencé une aide agricole pour le continent. A partir des années 1990, on assiste à un mélange des investissements agricole chinois, avec un apport de plus en plus significatif d’entreprises agricoles détenues par l’Etat Chinois, un mix entre aide agricole et investissement privé. Quelques particuliers ont aussi investi mais l’ampleur des investissements est toutefois resté faible. C’est pour cette raison qu’en 2006, le gouvernement a lancé un nouveau plan à mi-chemin entre aide au développement et investissements privés, visant à soutenir les entreprises privées qui viennent en soutien des centres de démonstrations agricoles africains soutenus par le gouvernement Chinois[3]. Actuellement, la façade visible de la diplomatie agricole de la Chine en Afrique reste l’ensemble des groupes privés chinois présents dans la région, qui bénéficient d’aide au financement chinois.
Les activités de la Chine dans le secteur agricole africain s’inscrivent dans une dynamique visant à instaurer un climat de compréhension, à accéder à des matières premières stratégiques telles que le pétrole, les minerais et le bois, et à démontrer l’engagement de la Chine en faveur de la coopération internationale et de la sécurité alimentaire mondiale[4].
Les formes de la présence chinoise
La Chine est aussi présente sur les marchés d’Afrique de l’Est grâce aux flux de produits issus de l’agriculture, tels que le thé, où le Kenya est récemment devenu le plus grand exportateur du monde, le café, les agrumes et les avocats, pour ne citer que les principaux produits. Selon les données des autorités chinoises, c’est justement en Afrique de l’Est que sont comptabilisés certains des plus grands exportateurs vers la Chine : le Kenya, l’Ouganda ainsi que l’Ethiopie. Le commerce agricole entre la Chine et l’Afrique de l’Est est en nette augmentation depuis quelques années. Il a atteint 58,6 milliards de yuans en 2022 contre trois 33,3 milliards de yuans en 2012. Cette hausse pourrait être d’autant plus importante avec les nouvelles mesures accordées au pays africains de cette coopération.
Le gouvernement chinois parle depuis l’an dernier d’un projet de « canal vert », ayant pour but de favoriser les échanges entre les deux continents. Bien que cette expression énoncée par Wang Wenbin[5], hormis les médias, rien n’atteste de l’officialisation de ce projet. Toutefois, la Chine cherche à favoriser les échanges commerciaux en ouvrant davantage son marché aux produits extérieurs. Le 29 juin dernier a été organisé un forum de coopération sanitaire et phytosanitaire pour renforcer les échanges et la coopération entre la Chine et les pays africains. L’objectif est d’optimiser les procédures d’évaluation de l’accès au marché pour les produits agroalimentaires africains exportés vers la Chine, tout en assouplissant les règles sanitaires et phytosanitaires du côté chinois. Cette démarche vise à soutenir le développement global et de haute qualité du commerce sino-africain, ainsi qu’à favoriser la stabilité des chaînes industrielles et d’approvisionnement.

En août dernier, le Kenya a pu ouvrir l’exportation de ses avocats vers la Chine. Ce fut un véritable évènement pour les deux pays et 7000 tonnes d’avocats ont été exportées vers la Chine, rapportant donc l’équivalent de 64 millions de dollars au Kenya. Mais l’exportation de l’avocat Kényan vers la Chine fut très compliquée à mettre en place, en raison des exigences des autorités sanitaires chinoises. Pour les entreprises agricoles africains, obtenir le « feu-vert » du KEPHIS, Service d’inspection phytosanitaire, est le sésame qui ouvre la porte vers le marché chinois, difficile à atteindre, mais d’une grande importance stratégique. Plusieurs explications peuvent être apportées pour comprendre la stratégie agricole de la Chine en Afrique de l’Est. D’après le PCC, l’agriculture représente pour eux un moyen de renforcer la sécurité alimentaire en Afrique et de lutter contre la pauvreté. Il s’agit donc aussi de stabiliser dans le même temps des relations diplomatiques avec des pays qui ont accès privilégiés sur l’Océan Indien.
Situé en bordure de l’Océan Indien, l’intérêt que la Chine porte à l’Afrique de l’Est n’est plus à démontrer. La Communauté des pays d’Afrique de l’Est, ainsi que plusieurs pays d’Afrique australe se trouvent à proximité d’une route maritime vitale pour le commerce mondial et donc du marché chinois. Il est très important pour le gouvernement chinois de conserver de bonnes relations avec les pays environnants, et notamment dans le domaine agricole, qui est un secteur attractif dans la région.
Etudes de cas – La riziculture nourrit le lien Madagascar-Chine
La Chine et Madagascar entretiennent des relations diplomatiques et commerciales depuis 1972. Les deux pays ont établi de nombreux accords commerciaux, tels que l’Accord Commercial de 1974 ou bien l’accord sur la Promotion et la Protection Réciproques des Investissements en 2005. Le pays est d’ailleurs l’un des premiers pays africains avoir signé en document de coopération avec la Chine sur son projet des nouvelles routes de la soie, en 2017. La coopération agricole entre les deux pays fait partie des grands projets de coopération sud-Sud et d’aide au développement Chinoise à Madagascar. Le 6 novembre 2022 s’est tenu le « 50e anniversaire des relations diplomatiques Chine-Madagascar », à l’ambassade de Chine de la Grande île. Cette cérémonie fut une occasion pour les différents intervenants d’évoquer les grandes réussites de cette relation bilatérale, sur le plan économique, sanitaire, scolaire mais aussi agricole.

Madagascar compte environ 25 millions d’habitants, dont plus de 80 % sont engagés dans la production agricole. Le riz y est la principale culture. Sur plus de 2,9 millions d’hectares de cultures, le riz occupe à lui seul une superficie de 1,5 million d’hectares, soit près de la moitié. Cependant, la production de riz n’était pas élevée et près de 2 millions de personnes étaient toujours menacées par la famine.
En 2007 est signé un projet de coopération sur la technologie du riz hybride. Grande île aux multiples climats, les semences de riz doivent s’adapter à une variété d’environnement écologiques et les intempéries climatiques que subisse la région. Yuan Longping, professeur agronome, crée une nouvelle variété de riz hybride qui va grandement changer les relations entre la Chine et les pays Africains, soucieux d’améliorer leurs rendements agricoles et de renforcer leur sécurité alimentaire. Le riz hybride présente généralement une augmentation des capacités des variétés utilisées pour créer la nouvelle souche, appelée phénomène d’hétérosis. Cultivé dans les mêmes conditions que les variétés de riz à rendement élevé comparable mais de souche pure, il peut produire des rendements jusqu’à 30 % supérieurs. La culture du riz hybride par les villageois permet non seulement de pourvoir à leur consommation personnelle mais il y a aussi un surplus à vendre : à Mahitsy, une petite ville de Madagascar, une famille a eu assez d’argent pour se nourrir mais aussi pour construire une nouvelle maison et éduquer trois collégiens[6].
La société Yuan Longping Agricultural high-tech, fondée en mémoire de l’agronome et de ses travaux, a mis en place 179 programmes de formations et d’aide au développement du riz hybride dans le monde depuis 1995, dont 24 en Afrique, depuis 2020. Des experts chinois sont envoyés sur place afin de s’y installer et de travailler avec les populations locales pour développer et apprendre les techniques de production du riz hybride. Le gouvernement malgache est fier de cette coopération avec la Chine. De nombreux articles de presse de journaux nationaux dépeignent les bienfaits de leur relation et la Chine semblent, du point de vue étatique, être un partenaire de choix.

Depuis 2015, la Chine est le 1ᵉʳ partenaire commercial de Madagascar et sa première source d’importation, D’après les chiffres de la douane malgaches, le commerce bilatéral de marchandises a atteint 3,5 trillions d’Ariarys soit 930 Millions de dollars en 2020, dont des matières premières, des minéraux et du riz. D’après les chiffres de 2021, elle est la 3ᵉ destinations des exportations de Madagascar. Malgré le nombre croissant d’importations provenant de la Chine, le conseiller de l’ambassade de Chine à Madagascar, Monsieur Zhang Wei, tient à souligner que le volume d’exportation de Madagascar augmente lui aussi, attestant donc selon lui du développement du pays. La Chine continue de mettre en place le programme de Tarif préférentiel Spécial qu’elle applique aux pays bénéficiaires et d’élargir l’importation de produits agricoles avantageux pour Madagascar.
En 2019, sous l’égide de la FAO, la Chine et Madagascar ont signé un accord sur la riziculture, l’élevage et l’agrobusiness pour la rentabilité agricole. Ces projets de coopération viennent se poser dans le projet de coopération sud -sud voulu par la Chine. C’est en effet pour elle un moyen efficace de parvenir à un « monde libéré de la faim » et de faire reculer la pauvreté, le tout dans la promotion d’un échange mutuel de solution et de développement stratégique.
L’agriculture malgache est principalement une agriculture familiale, avec des exploitations agricoles avec peu de capitaux productifs, un faible niveau de mécanisation et d’utilisation de phytosanitaires. Les rendements sont assez faibles et majoritairement tournés vers l’autoconsommation. D’après l’Institut National de la Statistique de Madagascar (INSTAT), en 2021, 80,7% des habitants vivent en milieu rural et 8 ménages sur 10 exercent une activité agricole. La place de la Chine dans ce paysage économique est visible et en constante évolution. En dehors de la mise avant du riz hybride, qui ont marqué la relation entre les 2 pays, les entreprises chinoises sont actives et présentes dans tous les secteurs économiques de l’Île dont l’agriculture où les opérateurs chinois ont tissé un solide réseau de collecte pour l’exportation vers la Chine : vanille, girofle, café, cacao, bois… et distribuent des matériels agricoles fabriqués en Chine. Les grands groupes chinois sont aussi présentes dans le secteur de la pêche : la China National Fisheries Corp, CNFC, a racheté il y a 10 ans le groupe Somapêche, qui appartenait au Japonais Maruha Group depuis quarante ans.
Alors qu’après 2009 (crise politique et affaire Daewoo), beaucoup d’entreprises étrangères ont diminué leurs activités à Madagascar, c’est toutefois l’effet inverse qui est observé pour la Chine, notamment pour les entreprises dans la production de coton du sud-ouest du pays tels que Tianli agri, installé dans la région d’Atsimo Andrefana, ou dans d’autres secteurs de l’agriculture et de l’aquaculture du pays.
D’après les données de la Chambre de Commerce Chinoise (MOFCOM), le nombre d’entreprises agricoles chinoise est bas. Il est important de souligner que l’organisme ne prend en compte que les grands groupes chinois implantés en Chine, et laisse donc de compté les PME. Sur les 22 firmes que MOFCOM comptabilise à Madagascar, 7 d’entre elles sont catégorisées comme impliquées dans des activités agricoles. Les 15 autres entreprises sont issues du secteur minier en majorité et du développement d’infrastructures locales. En parallèle, les données de l’INSTAT comptabilisent 54 entités économiques agissant dans le milieu agricole. Cette liste prend en compte les entreprises originaires de la République de Chine mais aussi celles de Hong Kong mais aussi les firmes détenues par des malgaches d’origines chinoises qui n’ont pas forcément de lien régulier avec la Chine.
Plusieurs grands groupes chinois travaillent et investissent différents secteurs de l’agriculture et de l’agro-industrie malgache. Le riz est la culture de base la plus importante à Madagascar et a un grand potentiel de producteur de riz. Toutefois, sa production a peu de rendement et est très sensible aux chocs climatiques. C’est donc sans surprise que la Chine a investi dans le domaine à travers différents programmes de recherche et organisme scientifiques comme la société Yuan Longping Agricultural high-tech ou bien Hunan Agri dans le même domaine. En parallèle de la riziculture, un grand groupe chinois a gagné en influence dans la culture de la canne à sucre sur l’Île, SUCOMA, qui gère les plantations du Nord et de l’Ouest du pays. Un petit groupe d’entreprises ils sont aussi impliqués dans la production de coton On parle ici de Tianli Agri, la plus importante dans le secteur, de Chimad et de MSG. En ce qui concerne l’aquaculture, 2 grands groupes chinois sont dans la liste le MOFCOM et tout particulièrement dans la production et l’export de crustacés : SOMAQUA et Longfei, actifs dans le Nord de Madagascar.
Bien que le nombre d’entreprises chinoises varient en fonction d’une source, plus d’un millier d’entreprises chinoises seraient implantées sur le territoire d’après l’Economic Development Board of Madagascar. Et de façon générale en 2017, sur les 883 nouvelles entreprises crées dans le premier semestre de l’années 2017, environ 17% d’entre elles sont chinoises, ce qui démontre la force du lien que Madagascar entretient avec son homologue Chinois.
De tous les partenaires diplomatiques chinois ayant signé un accord d’adhésion à l’Initiative des Nouvelles Route de la Soie, Madagascar est un bénéficiaire mineur des projets financés par la Chine et se distingue des autres pays de l’Océan Indien en termes de remboursement de prêts.

Actuellement, 20 pays du continent africain, tel que le Burundi ou le Mozambique, cultivent des semences de riz hybride chinois sur leur territoire. Et la Chine continue d’apporter son soutien au pays et régions qui le souhaitent afin de renforcer leur capacité de production et d’assurer la sécurité alimentaire en Afrique.
D’après Diodone Ndayirukiye, directeur général chargé de l’aménagement du territoire, de l’irrigation et de la protection du patrimoine au ministère de l’Environnement, de l’agriculture et de l’élevage burundais, la production de riz a triplé grâce à la production et la technologie chinoise. En 2018, des experts chinois ont réalisé des tests sur 134 ménages burundais et les villages à cultiver 10 à 11 tonnes de riz par hectare, alors que la production de riz local permettait de produire trois à quatre tonnes par hectare. La variété de riz hybride chinoise ne cesse de faire ses preuves et de nombreux pays africains utilisent de plus en plus. Aujourd’hui, Madagascar est le premier pays africain avoir réalisé le développement de toute la chaîne industrielle du riz hybride, de la sélection des semences à la transformation puis la vente du produit. D’après les données du ministère de l’Agriculture, de l’élevage et de la pêche malgache, la moitié des 22 régions malgaches cultivent de façon intensive du riz hybride. Madagascar a importé 113 299 tonnes de riz pendant les 2 premiers mois de l’année 2022. Bien que le pays soit un producteur de riz, le pays a importé 629 000 tonnes de riz sur l’année 2021 à la Chine pour combler ses besoins rizicoles et parvenir à une autosuffisance alimentaire. Le volume d’importation de riz est d’ailleurs en constante augmentation. D’après l’Observatoire du riz, le volume d’importation a été estimé à 151 322 tonnes, soit une augmentation de 34%.
Tout comme la Chine a pu exploser économiquement grâce à l’augmentation d’investissement étrangers, Madagascar est aussi une destination pertinente pour l’investissement agricole.
Le commerce florissant entre le Kenya et la Chine
Le gouvernement chinois a depuis longtemps conservé des règles commerciales et douanières très contraignantes, ce qui freinait les exportations de produits agricoles africains vers la Chine. Le pays revient toutefois sur certaines de ces mesures et accorde des accès à son marché à plusieurs grands pays exportateurs d’Afrique de l’Est et Australe, tels que le Kenya, l’Afrique du Sud ou la Tanzanie.
En 2022, ces pays ont signé des accords leur permettant de commercialiser le fruit de leur production agricole. L’Afrique du Sud a par exemple expédié sont premier lot de 100 000 citrons en Chine et souhaite poursuivre avec l’exportation de poires. L’actualité agricole de l’année dernière a été marqué par l’arrivé de l’avocat kenyan sur le marché chinois. L’avocat kenyan a été le symbole de cette ouverture du marché chinois aux produits agricoles Africains, mais d’autres pays kényans ont pu profiter des nouveaux accords commerciaux chinois, c’est notamment le cas du thé.

Le Kenya est l’un des plus grands producteurs mondiaux du thé, en l’occurrence de thé noir. Le thé représente environ 23 % du total des recettes extérieures du Kenya selon la direction du thé de l’autorité de l’agriculture et de l’alimentation du Kenya. D’après le Comité de l’industrie du thé de l’Association chinoise pour la promotion de la coopération agricole internationale, le Kenya a exporté environ 1,4 million de kilogrammes de thé vers la Chine en 2022. Selon Peris Mudida, chef de la direction du thé de l’Autorité de l’agriculture et de l’alimentation du Kenya, cela revêt d’une importance significative pour l’industrie du thé, car selon lui, le Kenya est en mesure de répondre facilement aux besoins actuels et futurs de la Chine en matière de thé. Le gouvernement Kenyan cherche à renforcer son lien commercial avec la Chine pour augmenter les recettes de la vente du thé. En parallèle, des entreprises chinoises sont aussi intéressées par les variétés kényanes pour étendre et diversifier leur production. C’est notamment le cas de Song Ai, fondatrice de la marque Chinya. En 2018, Madame Song, une importante productrice de thé, s’est rendue au Kenya. Elle a été conquise par le climat et le sol fertile du pays et a décidé de fonder sa marque, une « combinaison parfaite de la Chine et du Kenya ». Le thé a une importance stratégique pour le Kenya. En effet, le pays est le 3e exportateur mondial, et le 1er en termes de volume. Ce sous-secteur de l’agriculture kényane participe depuis longtemps au développement du pays et fait vivre des millions de kenyans. Sur les 6,8 milliards de dollars de produits échangés sur l’année 2021, 17,7% des recettes venaient de l’exportation du thé.
Toutefois, en raison de la concurrence mondiale et de son approche marketing, ce secteur est en baisse de dynamisme. La Chine joue un rôle significatif dans la stratégie de développement visant à améliorer la valorisation des exportations de thé du Kenya. Récemment, le gouvernement a conclu un protocole d’accord avec une entreprise chinoise visant à renforcer la capacité de fabrication des usines de thé du pays et à accroître leur accès au marché mondial. Cet accord s’ajoute aux récents protocoles d’accord de coopération entre les deux pays, renforçant leurs relations bilatérales.
La Chine est devenue en peu de temps un partenaire de choix pour le Kenya. En effet, le pays asiatique est sa première source d’investissements directs étrangers l’un de ses principaux partenaires commerciaux. Les ressources naturelles sont structurantes dans les relations que la Chine entretient avec le continent Africain, et notamment l’Afrique de l’Est. Les relations diplomatiques entre le Kenya et la Chine ont pris leur essor en 1978, lors des réformes de Deng Xiaoping pour favoriser l’ouverture de la Chine. En raison de sa position géographique, sa stabilité politique et économique, le Kenya est considéré comme l’un des pays majeurs du projet des Nouvelles Routes de la Soie en Afrique. Les relations entre les deux pays ont été d’autant plus fortes à partir des années 2000[7].
Sur le plan économique, d’après le site du Ministère chinois des Affaires Etrangères, environ 200 entreprises chinoises sont présentes au Kenya dont plusieurs entreprises dans le domaine de l’agriculture et de l’industrie agro-alimentaire. Une majorité de ces entreprises agissent dans le domaine du BTP et de la création d’infrastructures ferroviaire, la Chine est présente dans ce secteur depuis un moment déjà. En comparaison, l’investissement agricole est assez récent et sont donc plutôt faibles. Toutefois, le flux d’IDE vers les secteurs agricoles est passé de 2,08 millions de dollars en 2003 à 28,01 millions de dollars en 2015, une augmentation de 20 points. En comparaison, le niveau d’IDE dans le secteur de la manufacture, bien que plus important dès le départ, avec 32,21 millions de dollars a augmenté de 0,12 points.
Le climat tropical et les terres fertiles ont permis au Kenya de devenir à partir de 2015 une véritable puissance agricole, le secteur étant actuellement l’un des contributeurs principaux de l’économie nationale. Le pays est un grand producteur de fleurs, notamment de pyrèthre, qui ressemble à une petite marguerite. Deux entreprises chinoises se démarquent dans cette branche : Senju International et Yishan Agriculture. L’entreprise a commencé ses premières plantations de fleurs en 2013 sur 66 ha (hectares) de terres à l’Est du pays, dans l’Est du pays. En 2015, les exploitations s’élevaient à 100 ha et confiait des missions à plus de 300 foyers kényans. Grâce à sa notoriété dans la région, Yishan Agriculture a pu bénéficier d’investissements publiques de la Chine[8] afin d’étendre son activité.
Le 29 septembre dernier, une cargaison de 52kg d’anchois kenyans est arrivée dans la province de Hunan, zone de libre-échange pilote de Chine, en lien direct avec Le continent Africain. Cette première cargaison, arrivée par voie maritime depuis l’Océan Indien puis le fleuve Yangtsé est « le début de l’importation régulière et à grande échelle de ce petit poisson du pays d’Afrique de l’Est »[9]. De plus en plus de produits issus de l’agriculture africaine entrent sur le marché chinois après avoir reçu l’autorisation du KEPHIS. L’agriculture est un levier de développement pour les pays bordant l’Océan Indien et participent à la mise en place du projet des Nouvelles Routes de la Soie.

Cet été, du 29 juin au 2 juillet s’est tenu la 3e édition de l’Exposition économique et commerciale, organisée à Changsha dans la province de Hunan. L’exposition a d’ailleurs coïncide avec les 10 ans de l’Initiative des Nouvelles Routes de la Soie. Cet évènement offre aux différents Etats participants de mettre en avant leur stratégie de développement et vise à réduire les difficultés dans l’économie et le commerce sino-africain et se concentre globalement sur les produits agricoles. De nombreux entrepreneurs d’Afrique orientale et Australe étaient aussi sur place pour mettre en avant leurs activités et leurs produits. L’Exposition participe par exemple à la création d’un Centre de RMB transfrontalier Chine-Afrique », permettant de d’échanger au comptant, qui a été ouvert à plusieurs pays dont le Kenya, l’Afrique du Sud et la Zambie.
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A l’échelle régionale, la Chine continue d’étendre son influence et de protéger ses liens avec ses partenaires en Afrique orientale. Le pays s’engage à renforcer sa relation avec la Communauté d’Afrique de l’Est afin de faire fructifier les échanges commerciaux et le développement d’infrastructures. Lest Etats membres appellent d’ailleurs la Chine à plus d’investissement de la Chine. D’après Peter Mathuki, secrétaire du la CAE, « L’Initiative une Ceinture une Route vise à faire en sorte qu’à mesure vous développez, vous augmentez le commerce et sécurisez les routes commerciales, et rendez les pays interdépendants ». La Chine voue un intérêt particulier aux pays Africains, qu’elle considère comme des frères. Chaque année depuis 1991, le chef de la diplomatie chinoise dédie sa première visite à l’étranger.
Les pays Africains qui bordent l’Océan Indien bénéficient d’un climat et de condition agricoles privilégiées. La modernisation de l’agriculture, l’investissement dans des systèmes et filières déjà existant est pilier de développement important pour le gouvernement chinois. Des projets très variés sont mis en place dans le domaine, avec l’aide d’entreprises privées implantées sur le continent Africain afin de remplir les objectifs que la Chine se fixe dans le cadre de l’Initiative « One Belt One Road ». Economiquement, la place de la Chine dans cette région ne cesse d’accroître et le secteur agricole, bien qu’il ne soit pas aussi important en termes d’investissement que le secteur minier ou de la manufacture par exemple, est un vecteur de clé de la diplomatie chinoise en Afrique. La Chine travaille actuellement avec l’Union Africaine pour accompagner le PDDAA, Programme Détaillé de Développement de l’Agriculture en Afrique, elle a annoncé la mise en place d’un « canal vert » visant à faciliter les échanges commerciaux de produits issus de l’agriculture africaine, elle renforce aussi ses investissements avec des entreprises privées du continent et ne cesse de travailler sur ses relations diplomatiques avec les pays d’Afrique de l’Est de d’Afrique Australe. La présence de la Chine n’est plus à démontrée mais gardons toutefois un œil sur l’avancée de ces divers projets et ses conséquences pour l’économie de ces pays.
La présence de la Chine dans la zone soulève toutefois d’autres questions, notamment sur la transparence de l’aide agricole au développement, sur l’acquisition des terres par la Chine et la stratégie interne chinoise d’autosuffisance alimentaire. Alors que de nombreuses rumeurs courent, il est toujours bon de garder un esprit critique et de rester attentif aux futures manœuvres de la Chine sur les questions agricoles en Afrique de l’Est et australe.

Par Chloé Lambert, Analyste Stagiaire sur le secteur agricole
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Xavier Aurégan, « Les centres de démonstration agricoles chinois en Afrique : étude de cas en Côte d’Ivoire », Les Cahiers d’Outre-Mer, 275 | 2017, 63-91. ↑
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Chaponnière, Jean-Raphaël. « L’aide chinoise à l’Afrique : origines, modalités et enjeux », L’Économie politique, vol. 38, no. 2, 2008, pp. 7-28. ↑
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South African Institute of International Affairs. (2022, août 12). Chinese Agricultural Investment in Africa : Motives, actors and modalities – SAIIA. SAIIA. https://saiia.org.za/research/chinese-agricultural-investment-in-africa-motives-actors-and-modalities/ ↑
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Ecofin, A. (s. d.). « La Chine reste un acteur discret dans l’agriculture africaine malgré les nombreuses polémiques » (Fred Gale). Agence Ecofin. https://www.agenceecofin.com/agro/0804-75546-la-chine-reste-un-acteur-discret-dans-l-agriculture-africaine-malgre-les-nombreuses-polemiques-fred-gale ↑
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Lors de la 8e Conférence ministérielle sur la Coopération Sino-Africaine, en aout 2022 ↑
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Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture : Le succès de la culture de riz hybride à Madagascar se profile | FAO in Madagascar, Comoros, Mauritius and Seychelles | Organización de las Naciones Unidas para la Alimentación y la Agricultura, s. d. ↑
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Entrée de la Chine à l’OMC et début du mandat en 2002 du Président kényan Mwai Kibaki ↑
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Hubei Province’s State Farm Agribusiness Bureau, lien vers le SAIS CAI work paper ↑
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https://french.xinhuanet.com/20230929/f7ca14572cda4581a0e8865db3edbd6b/c.html ↑