En 2022, à l’occasion de la COP27, se tenant à Charm El-Cheikh, en Egypte, plusieurs pays, notamment la Norvège, ont demandé à l’Organisation maritime internationale d’être davantage ambitieuse en termes de régulation environnementale, en rappelant que « si le transport maritime était un pays, il se classerait parmi les 10 plus grands émetteurs mondiaux » de CO2.
Actuellement, le transport maritime est le mode de transport le plus efficace pour faire transiter des marchandises longues distances. Il est utilisé pour près de 90% des flux de marchandises en volume du commerce international. Entre 1990 et 2020, les échanges maritimes ont été multipliés par quatre, et la capacité des plus gros porte-conteneurs a été multiplié par cinq.

La République populaire de Chine a entamé dès 1978 une politique d’ouverture en matière commerciale, et a désormais une activité maritime à l’évolution spectaculaire. En 2012, l’ensemble des ports chinois a vu transiter 10,8 Milliards de tonnes de marchandises, soit le quadruple par rapport à 2002. Cela représente 2,5 fois le trafic de l’ensemble du continent européen, Russie et Turquie incluses. Avec l’annonce du projet des nouvelles routes de la soie maritime en 2013 par le Président chinois Xi Jinping, la dimension maritime du commerce en provenance de Chine est renforcée, ce projet incluant 68 pays dans le monde et déployant à terme six corridors, allant jusqu’à certaines parties de l’Europe et de l’Afrique de l’Est. L’ensemble de ces éléments témoignent de la puissance industrielle et commerciale de la Chine.
Cependant, le transport maritime est à l’origine de nombreuses formes de pollutions ayant un impact considérable sur l’environnement marin et l’homme, qui nécessitent d’être pris en compte par les Etats et les organisations internationales: déversement d’hydrocarbures, pollution plastique, pollution atmosphérique, pollution du littoral…D’après le rapport du GIEC de 2022, le transport maritime émet entre 600 et 1100 millions de tonnes de CO2 par an, et le programme des Nations unies pour l’environnement a rappelé la même année que si le secteur du transport maritime veut respecter ses engagements en matière environnementale, il faudrait changer l’ensemble de ses pratiques, notamment l’énergie utilisée pour faire avancer les navires.
La diversité des formes de pollution, affectant, tantôt, les mers territoriales ou les ports, tantôt la haute mer et sa diversité biologique et marine, ont donné naissance à une réglementation à géométrie variable. Cette dernière peut être établie de manière locale et unilatérale, pour préserver les espaces relevant de la souveraineté des Etats. Mais elle peut également faire l’objet de conventions internationales pour organiser l’ensemble de l’activité traversant la haute mer, qui est régie par le principe de liberté de navigation.
Cependant, à propos du transport maritime, la mise en place d’une réglementation est limitée par l’importance prise par le commerce international. La régulation du transport maritime, organisée au sein de l’OMI, reste souple, témoignant de la difficulté d’adopter un compromis en faveur de l’environnement, dans un monde où le droit international et sa communauté sont en perpétuelle concurrence avec la souveraineté des Etats et l’activité économique.

Aujourd’hui, du fait d’une interdépendance croissante dans les domaines politiques, économiques, écologiques et bien d’autres, les Etats sont contraints de coopérer. Toutefois, les facteurs poussant à cette solidarité entre les Etats se heurtent à une persistance du phénomène souverain, même si le droit international est construit par les Etats agissant collectivement, du fait d’un système de valeurs communes et des nombreuses interdépendances. Le droit devient dès lors un enjeu de politique internationale, le premier étant l’instrument de réalisation du second.
Mais l’ordre juridique international connaît une constante expansion, tant de son champ d’application, que de la complexification des techniques de sa mise en oeuvre, posant un problème pour le maintien de son unité. Cela se traduit par la multiplication des organismes internationaux ou régionaux, mais aussi l’émergence de nouvelles branches du droit international au sein de la communauté, qui affectent de plus en plus les souverainetés des Etats. Les défis contemporains que posent le droit international de l’environnement en sont un exemple. En effet, le droit international de l’environnement et des espaces demeure imparfaitement appliqué en raison des contraintes de droit et de fait qu’il fait peser sur l’exercice des compétences de chaque Etat souverain.
Les règles relatives aux espaces maritimes et leur utilisation sont constituées de sources variées, coutumières ou conventionnelles, dont la principale est la convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM), conclue à Montego Bay le 10 décembre 1982, après neuf années de négociations.

Pour rappel, le droit international maritime est né avec les 14 points du Président Wilson, prononcé devant le congrès américain en 1918 : « une absolue liberté de navigation sur les mers, en dehors des eaux territoriales en temps de paix, aussi bien qu’en temps de guerre, sauf si les mers doivent être partie ou totalement fermées afin de permettre l’application d’alliances internationales ». La Convention des Nations unies sur le droit de la mer est entrée en vigueur le 16 novembre 1994, après la ratification ou l’adhésion de 60 Etats. En 2023, 157 Etats ont signé la convention. Les non-signataires sont quelques Etats d’Amérique latine enclavés, les Etats-Unis, Israël et la Turquie.
L’application de ce texte est renforcée avec la création du TIDM, ayant une compétence à la fois contentieuse et consultative, et composée de 21 juges, élus pour 9 ans. Le texte prévoit notamment, la création des ZEE et ses droits d’exploitation (article 60)[1], la liberté en haute mer (article 87). La convention fait de la haute mer un patrimoine commun de l’humanité et créé l’autorité internationale des fonds marins.
La Convention des Nations unies sur le droit de la mer est le cadre général de l’utilisation des espaces maritimes. Son caractère est quasi-universel, conduisant certains à la nommer « la Constitution pour les océans » (Tommy T.B Koh, président de la 3e conférence des Nations unies sur le droit de la mer). La CNUDM privilégie une approche globale pour régir les enjeux des espaces maritimes. Par exemple, son préambule met en évidence que « les problèmes des espaces marins sont étroitement liés entre eux et doivent être envisagés dans leur ensemble », ce qui nécessite de définir « un ordre juridique pour les mers et les océans qui facilite les communications internationales et favorise les utilisations pacifiques des mers et des océans, l’utilisation équitable et efficace de leurs ressources, la conservation de leurs ressources biologique et l’étude, la protection et la préservation du milieu marin ».
Bien que la convention ne constitue pas un traité environnemental, c’est la première fois que des règles à ce sujet sont applicables aux espaces maritimes, dans la partie XII consacrée à la protection et la préservation du milieu marin.
Les dispositions générales sont conçues essentiellement pour préciser les droits et obligations des Etats et sont sujettes à interprétations, notamment à l’occasion d’un règlement pacifique des différends. Cela permet d’interpréter les dispositions de la CNUDM au sujet de la protection de l’environnement marin mais aussi à interpréter les dispositions générales du droit international de la mer, qui ne sont pas, en premier ressort, destinée à répondre aux enjeux environnementaux. Le rôle du TIDM, du juge international mais aussi des organisations multilatérales et des Etats est alors d’adapter le droit et d’interpréter les règles énoncées dans la convention dans une logique de bonne gouvernance des espaces maritimes.
Néanmoins, la CNUDM est l’aboutissement d’une longue négociation, basée sur des compromis, entre des intérêts divergents. C’est toute la complexité du droit international public. La recherche d’un équilibre entre les intérêts de la communauté et la souveraineté des Etats implique, à côté de la prise en compte des intérêts environnementaux, les préoccupations économiques, politiques ou sociales. Cet équilibrisme entre des intérêts parfois contradictoires apparaît comme un frein à la prise en compte de certains enjeux environnementaux. Trouver des intérêts communs aux parties devient complexe, tant l’établissement d’un ordre juridique pour les mers et océans apparaît compromis. L’interprétation juridictionnelle est limitée, par des contraintes d’ordre matériel et d’un point de vue fonctionnel: en effet, il est difficile pour un juge international d’avoir une interprétation dépassant le cadre général du texte et d’imposer aux Etats des exigences environnementales, quand bien même ces dernières pourraient contribuer à l’évolution du droit de la mer et de l’environnement marin. Ce dernier n’a pas le pouvoir ni la légitimité de transformer le texte conventionnel, adopté par les Etats, et d’aller au delà de leur souveraineté. Les lacunes en matière environnementale existant dans le droit international de la mer ne peuvent être comblées que par les Etats et leur bonne volonté.
Ainsi, la problématique de la protection de la haute mer reste entière. Cet espace privilégié du commerce maritime international échappe au contrôle des Etats côtier du fait de l’affirmation de la liberté en haute-mer, ce qui met en lumière les difficultés rencontrées pour élaborer une réglementation internationale efficace du transport maritime et l’appliquer, en dépit des règles adoptées au sein de l’OMI. Ces dernières sont insuffisamment respectées, la primauté étant accordée au commerce international. L’une des questions centrales pour l’avenir de la protection de l’environnement est l’harmonisation des rapports entre régulation environnementale et organisation du commerce international. Par exemple, bien que la déclaration de Doha de l’OMC (2001) ait réaffirmé l’engagement de ses Etats membres en faveur du développement durable, les négociations restent bloquées et l’OMC s’en tient à la primauté du commerce sur l’environnement.
L’ensemble de ces mécanismes et de ces contraintes fragilisent l’efficacité du droit international de l’environnement, malgré sa nécessité.
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Néanmoins, considérer que la concurrence entre les intérêts de la communauté internationale et ceux des Etats revendiquant leur souveraineté soit un frein inéluctable est réducteur. Les formes de pollution issues du transport maritime, aussi variées qu’elles soient, ont fait l’objet d’un intérêt croissant, tant au sein des Nations unies qu’à l’Organisation maritime internationale.
La pollution émise par les navires est de plus en plus préoccupante, du fait de l’augmentation du nombre de tonnes de marchandises transportées par voie maritime, s’élevant à 9Md de tonnes en 2017, et 48200 navires commerciaux, dont près de 40% sont des pétroliers.
Ainsi la pollution émise est variée, et deux types peuvent être définis: tout d’abord, la pollution affectant la faune et la flore marine, et d’autre part, les pollutions affectant les hommes.
La déversement d’hydrocarbure dans les espaces maritimes provenant de la cargaison d’un navire ou de son réservoir de carburants a des conséquences durables et particulièrement destructrices sur l’environnement marin. En effet, cette pollution peut provoquer l’asphyxie de l’écosystème marin, perturber le développement des espèces, contaminer les produits de la pêche et dégrader les paysages.
Un second type de pollution est tiré du déversement des déchets des navires, notamment les eaux usées, ou les eaux de cales, qui contiennent des substances polluantes qui s’accumulent dans l’environnement sans pouvoir s’éliminer.
Les navires sont aussi à l’origine d’une pollution plastique importante, certains scientifiques préviennent par exemple que d’ici 2050 la quantité des matières plastiques dans les océans sera supérieure à celle des poissons. Les navires peut aussi rejeter des déchets toxiques ou des ordures, mais aussi des eaux de ballast.
La pollution affecte enfin les littoraux, par une nuisance visuelle et une pollution de l’environnement aux impacts multiples.
Afin de prévenir et réduire cette pollution, plusieurs organe, existent et adoptent des réglementations: il s’agit d’une part de l’ONU, avec l’adoption de la CNUDM, et de l’OMI, en mesure de mettre en place des réglementations et conventions plus ciblées sur le transport maritime.
L’ONU, à travers l’adoption de la CNUDM, a défini la pollution du milieu marin, cette dernière étant l’introduction directe ou indirecte par l’homme de substances ou d’énergie dans le milieu marin. Cette dernière détaille ainsi le régime juridique applicable à l’établissement de normes, qui visent à prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin à l’égard de navires étrangers et de navires immatriculés par l’Etat côtier ou battant son pavillon. Ces règles s’ajoutent aux normes internationales et des lois et règlements peuvent être adoptés par l’Etat côtier à l’égard de sa mer territoriale ou de sa ZEE.
Par ailleurs, l’OMI, une institution spécialisée de l’ONU, est spécialisée sur les questions relatives à la navigation. Elle a été créée en 1948, et organise la collaboration entre les Etats membres dans le domaine de la réglementation maritime, adopte des normes de sécurité et a pour but de prévenir les pollutions du milieu marin par les navires. A l’origine, l’OMI avait pour mission de garantir la sécurité maritime, mais a rapidement assumé la responsabilité des questions de pollution et a adopté des mesures visant à la prévenir, la maîtriser et atténuer les effets des dommages susceptibles d’être provoqué par les activités maritimes. A ce jour, l’OMI est composée de 174 membres et a adopté 21 instruments conventionnels liés à l’environnement.
L’OMI est à l’origine d’un certain nombre de conventions, dès 1972, notamment la Convention de Londres sur la prévention de la pollution des mers résultant de l’immersion des déchets, entrée en vigueur en 1975 et la convention MARPOL, pour la prévention de la pollution par les navires, entrée en vigueur en 1983.
La convention de Londres et son protocole de 1996, sur la prévention de la pollution résultant de l’immersion des déchets, permet mettre en place un régime restrictif et de favoriser une gestion rationnelle des déchets pour éviter que la mer ne serve de décharge.
La convention MARPOL est la convention phare en matière de protection contre les pollutions provenant des navires, et est composée de six annexes traitant chacune un type particulier de pollution (hydrocarbures, produits chimiques en vrac, matières dangereuses en colis, pollutions par les eaux usées, pollution par les ordures, pollution de l’atmosphère).

Enfin l’OMI a adopté une réglementation en 2001 imposant une réduction des émissions d’oxyde de soufre à 0,5%, les rejets de soufre ayant des conséquences sur les émissions de CO2 et sur la santé humaine.

L’adoption de ces conventions, en apparence, est une avancée considérable pour rendre le transport maritime plus propre et respectueux de l’environnement, une contribution nécessaire mais en réalité, difficile à contrôler. Les conférences de parties, sont l’occasion pour les Etats ou la société civile de s’emparer des problématiques environnementales, mais dont les protocoles ou mesures adoptées ont un rôle essentiellement symbolique ou général. Mais elles ont récemment mis en lumière le manque d’implication du secteur du transport maritime dans la réduction des émissions de CO2, nécessaire pour amoindrir l’impact du changement climatique. Un rapport de l’OCDE datant de 2018 a montré qu’il était possible de décarboner le secteur dès 2035, mais cet objectif s’oppose à la résistance de nombreux Etats, comme le Brésil, l’Arabie saoudite, l’Inde, l’Argentine, le Japon et le Panama, s’opposant à l’encadrement des émissions en raison du préjudice causé sur le commerce, même si en 2017, lors du One Planet Summit, les Etats parties ont préconisé la compatibilité du secteur maritime avec les accords de Paris.
Enfin, en Novembre 2022, à l’occasion de la COP27 à Charm El-Cheikh, les Etats-Unis et la Norvège ont demandé à l’OMI de revoir son objectif de réduction des émissions de CO2 et de viser le zéro carbone, plutôt que la diminution de moitié des émissions d’ici à 2050. En effet, en 2022 la flotte mondiale compte plus de 100 000 navires, dont la moitié sont des navires marchands: les porte-conteneurs, pétroliers, chimiquiers et gaziers sont, d’après le rapport annuel du PNUE, responsable des trois-quart des émissions liées au transport maritime international. Ces derniers utilisent un des carburants les plus sales au monde, un résidu visqueux du pétrole qui émet des émissions de gaze à effet de serre à base de CO2, méthane et protoxyde d’azote. La COP27 a mis en évidence que les solutions techniques pour décarboner le transport maritime n’ont pas émergé et que si le secteur n’entame pas de changements, les émissions pourraient s’élever à 17% (contre 3% des émissions de GES actuellement) d’ici 2050.
Par ailleurs, des possibilités d’approfondissement de ces dispositions générales sont possibles, à l’initiative d’organisations régionales ou de la part des Etats au sein de leur mer territoriale ou zone économique exclusive. Cela se justifie par la particularité de certaines aires géographiques, comme la Méditerranée, qui concentre 25% du volume mondial de transport maritime et 30% du trafic mondial pétrolier, en faisant une des voies les plus fréquentées au monde.

Un exemple significatif est la convention de Barcelone relative à la lutte contre la pollution de la mer par des hydrocarbures et autres substances dangereuses (1976) renommée en 1995 « convention pour la protection du milieu marin et du littoral de la Méditerranée »[2]. Cette convention constitue une avancée et un exemple d’approfondissement important de la coopération pour limiter la pollution. Mais ce cadre juridique multilatéral est sans égal. Il fait partie du programme des mers régionales du PNUE et constitue une expérience pilote mettant en coopération les Etats riverains, une institution internationale – le PNUE – et une institution régionale – l’Union européenne. L’expérience régionale permet de mettre en oeuvre une coopération stricte pour prévenir les accidents de pollution, dans le cas de la Convention de Barcelone, à l’aide d’un centre opérationnel de contrôle des opérations maritimes, le REMPEC, à Malte. Le centre assure la coordination entre les Etats riverains pour maximiser les efforts de lutte. Ainsi, la convention a mis en place différents protocoles englobant l’ensemble des formes de pollution dans le cadre du transport de marchandises : les opérations d’immersion par les navires (Dumping Protocol), la pollution par les hydrocarbures (Emergency Protocol), la pollution d’origine tellurique (Land-Based Sources Protocol).

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Toutefois, la mise en oeuvre d’une réglementation pour réduire la pollution provoquée par le transport maritime se heurte à plusieurs limites, dont certaines induites par le droit international. Mettre en place une régulation environnementale pérenne dans un espace internationalisé nécessite un engagement de la part de l’ensemble de la communauté internationale. Mais face aux divergences entre les Etats, notamment les Etats en développement ou dépendant du commerce international, soucieux de préserver les enjeux économiques, mettre en oeuvre la transition verte pour le transport maritime est loin d’être une tâche aisée. Ainsi, l’ONU, à travers la CNUDM, ne donne qu’une définition générale de la pollution, démontrant de la complexité à trouver un consensus. De la même manière, les règles élaborées par l’OMI, à l’image de la l’annexe VI de la Convention MARPOL qui prévoit la limitation à 0,5% de la teneur en soufre dans le carburant utilisé, est perçue comme étant insuffisante. A l’échelle internationale, les instruments de protection ne sont pas suffisamment contraignants et approfondis afin de laisser une marge de manoeuvre aux Etats dépendant des carburants les plus polluants et du transport maritime.

De plus, l’approfondissement à l’échelle régionale ou unilatérale, comme cela a été produit au sujet de la mer Méditerranée, peut rendre les règles en matière de contrôle de la pollution plus difficile à établir. Par exemple, dans le cadre de la Convention de Barcelone précédemment citée. Par exemple, en 2019, la France a proposé la mise en oeuvre d’une zone de contrôle des émissions atmosphériques (zone ECA), rendue possible par la Convention MARPOL, en Mer Méditerranée. En 2021, lors de la 22e réunion des parties contractantes à la convention pour la protection du milieu marin et du littoral de la Méditerranée, les Etats parties se sont accordés pour la création d’une zone SECA, permettant un contrôle similaire à la zone proposée par la France. Ce type de zone permet de mettre en place l’obligation pour les navires entrant en Méditerranée d’utiliser un combustible dont la teneur en soufre ne dépasse pas les 0,1% en masse, un fuel 5 fois moins polluant que la norme internationale hors zones SECA. Cette dernière a été approuvée en juin 2022, à l’occasion du 78e comité de protection du milieu marin de l’OMI, et entrera en vigueur juridiquement en 2024. Néanmoins, du fait de la nécessité de se coordonner avec l’ensemble des Etats riverains de la Méditerranée, les objectifs présentés par la France ont été revus à la baisse pour des raisons économiques, le fuel peu lourd en soufre coûtant plus cher que le fuel classique. En outre, les différents canaux par lesquels doit passer la réglementation pour entrer en vigueur sont lents, puisqu’après avoir été négociée et validée par les parties contractantes à la convention régionale, elle doit être soumise au comité de la protection du milieu marin de l’OMI, qui statue sur l’entrée en vigueur. Ce cheminement complexe peut retarder la mise en place de la régulation environnementale du transport maritime.
Enfin, les problématiques liées au caractère international des espaces maritimes démontrent qu’il est difficile de développer une régulation environnementale du transport maritime dans les zones se situant en dehors de celles sous souveraineté de l’Etat côtier. La réglementation va également dépendre de l’immatriculation du navire: en haute mer, un navire transportant des marchandises sous un pavillon de complaisance, c’est-à-dire un Etat à la réglementation plus souple, ne sera pas inquiété par ses activités, quand bien même ces dernières seraient à l’origine d’une forte pollution affectant durablement le milieu marin.
L’ensemble de ces difficultés fait dire aux ONG de défense de l’environnement, comme l’ONG Bruxelloise Transport et Environnement, que l’OMI est inefficace pour décarbonater le transport maritime. Assurément, cette dernière a tenté de faire pression sur l’UE, les USA et la Chine pour contraindre le secteur du transport maritime à diminuer ses émissions, à l’occasion de la COP27 à Charm el-Cheïkh. L’ONG met en avant le fait que la « nécessité d’un consensus au niveau mondial ne nous a mené nulle part », et enjoint ces grandes puissances à réglementer ce secteur de manière unilatérale. En effet, 84% de la flotte mondiale transite dans leurs ports, et même si à eux trois ils représentent moins de 40% des émissions du transport maritime, ils disposent de la puissance nécessaire pour mettre en place des mesures telles que le marché du carbone, la taxe sur la pollution et les objectifs d’efficacité énergétique des carburants zéro-émission.
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La Chine est une puissance maritime de grande ampleur. Son économie est dépendante du transport maritime et sa place grandissante dans ce secteur va de pair avec son ouverture sur le monde, débutée en 1978. Depuis les années 1980, la Chine est passée de la 10e à la 2e place au sein de l’économie mondiale. La Chine adhère à l’OMC en 2001, et prend depuis une place éminente dans le commerce maritime. Ainsi, le bilan portuaire chinois affirme qu’en 2012, l’ensemble des ports chinois a vu transiter 10,8 Milliards de tonnes de marchandises, deux fois plus qu’en 2005 et quatre fois plus par rapport à 2002. Cela représente 2,5 fois le trafic de l’ensemble du continent européen. L’armateur COSCO Shiping est le quatrième transporteur mondial, derrière MSC (Suisse), Maersk (Danemark) et CMA-CGM (France).

De plus, son statut de puissance dans le domaine maritime s’illustre au travers des nouvelles routes de la soie, un gigantesque projet d’équipements en infrastructures, concernant 67% de la population mondiale, permettant à l’économie chinoise de monter en gamme. Ces éléments sont des illustrations de la puissance de la Chine et de sa capacité à influencer l’économie et la communauté internationales.
Toutefois, plus de trente ans de développement économique porté par l’industrialisation lourde ont engendré un niveau de pollution qui représente aujourd’hui un frein à la croissance, même si la Chine, premier pollueur au monde, est aussi le premier investisseur dans les énergies renouvelables. Pour accentuer ses investissements en énergies renouvelables et remplir les conditions énoncées dans l’accord de Paris, signé en 2015, le plan quinquennal de 2016-2020 porte les dépenses de recherche à 2,5% du PIB et ambitionne de réduire de 18% les émissions de CO2 du pays. Par ailleurs, la Chine a démarré la modification structurelle de son économie pour se tourner vers un modèle de développement équilibré, respectant des engagements environnementaux. Le pays a des capacités d’investissement importantes, qu’il mène à bien à travers l’initiative des nouvelles routes de la soie. Le plan quinquennal de 2021-2025 place le projet au centre des préoccupations, pour faire du développement durable un objectif partagé et mené à bien dans les accords bilatéraux parallèle aux nouvelles routes de la soie, sous forme d’avantages mutuels.
Avant toute chose, réduire la consommation de carburant lourd sans investir massivement dans les énergies renouvelables et ralentir le commerce international semble difficile à évaluer. Les réglementations adoptées par l’OMI, à l’image du celle sur les émissions d’oxyde de soufre, impactent les plus petits armateurs, sans inquiéter les leaders mondiaux à l’image de COSCO. L’industrie du conteneurs sera touché avec des coûts supplémentaires d’environ 10 milliards de dollars et la pression sur les flux pourrait pousser certaines entreprises à quitter le marché.
Afin de mieux cibler ce que les Etats ou entreprises doivent respectivement tenir dans le cadre de la régulation environnementale du transport maritime, il faudrait élaborer une évaluation environnementale du projet. Cela permettrait de s’assurer que les engagements environnementaux pris lors de la COP21 et la réglementation adoptée par l’OMI sur le taux de soufre dans le carburant, soient respectés. Par exemple, l’engagement dans la transition énergétique des armateurs chinois, notamment COSCO, doit pouvoir être accompagné et contrôlé.
A ce titre, une étude produite par le PNUD a montré que la question de l’harmonisation des normes environnementales de financement et d’investissement est un sujet de préoccupation pour la Chine, et des lignes directrices pour promouvoir les routes de la soie « vertes » avaient été publiées en 2017. La BRI International Green Development Coalition, lancée en 2019, avait pour objectif d’orienter les financements vers des investissements verts et en 2023, Ding Xiangming, vice-président du port de Shanghai, à l’issue d’un colloque avec les politiques et entrepreneurs français et chinois, avait déclaré que la Chine était sensible au programme de développement des ports verts: « nous voulons travailler sur le GNL pour réduire notre bilan carbone ».
La Chine intègre de plus en plus les normes écologiques dans sa vision du commerce international comme dans sa politique étrangère, mais les initiatives en faveur d’une réduction de la pollution due au transport maritime ne sont pas assez importantes. La cause est double : le manque d’investissement à l’échelle internationale est flagrant et la préoccupation principale reste la préservation des intérêts économiques, la mondialisation ayant placé la communauté internationale dans une situation de dépendance inégalée vis-à-vis des activités maritimes. Ainsi, les partenariats naissants s’établissent en faveur des énergies renouvelables, comme l’éolien ou les panneaux solaires, le développement de villes durables ou des transports routiers et ferroviaires plus durables, le transport maritime étant relégué en seconde zone.
La question reste désormais de savoir de quelle manière le modèle des nouvelles routes de la soie peut-il intégrer des prérogatives en faveur de la régulation environnementale du transport maritime et si les nouvelles routes de la soie « verte » sont à la hauteur des enjeux qu’impliquent la dé-carbonation du transport maritime.
Par Margaux Dick-Simon, Analyste secteur maritime à l’Observatoire Français des Nouvelles Routes de la Soie