Il y a presque 3 ans, le 23 mars 2019, les gouvernements italiens et chinois signaient un memorandum d’entente suite à la visite officielle du Président chinois Xi Jinping à Rome quelques jours plus tôt. Cet accord a posé le cadre pour les futures relations bilatérales entre les deux pays, dans le contexte des Nouvelle Routes de la Soie en Europe. Depuis cette date, donc, l’Italie est officiellement partie prenante de l’initiative chinoise une ceinture une route. Néanmoins, après les élections parlementaires italiennes de 2022, et la nomination de Giorgia Meloni à la tête du gouvernement, l’Italie pourrait être le premier pays à rompre avec l’initiative chinoise. Pourquoi un tel revirement ? l’objectif de cet article est d’offrir quelques éléments de réponses.

D’abord, il convient de revenir sur l’ampleur de cet accord. Celui-ci promeut une coopération entre les deux pays autour de six différents aspects.

Mémorandum entre la Chine et l’Italie, dans le cadre des nouvelles routes de la soie

Cet accord est donc général et veut servir de base pour de futures associations plus spécifiques. L’objectif majeur pour la Chine est en outre de promouvoir sa politique étrangère au sein des pays d’europe de l’ouest et d’accéder aux marchée européens. L’Italie fut ainsi le premier membre du G7, et membre important de l’OTAN à rejoindre l’initiative chinoise, sous les yeux quelque peu inquiets de ses partenaires historiques. Néanmoins, Rome l’a affirmé, cette participation à cette initiative ne remet pas en cause ses alliances passées, hautement symbolique, cette signature n’est pas une signature de Traité, celle-ci n’a donc pas de valeur légale et n’est donc pas juridiquement contraignante.

De plus, la collaboration entre Rome et Pékin n’est pas nouvelle. Sans se référer aux anciennes routes de la Soie et aux relations entre l’Empire Romain et la Dynastie Han, déjà en 2015, l’Italie commençait à observer de loin la possibilité de s’engager au sein de l’initiative chinoise, qui on le rappelle, fut lancée en 2013. Le 15 mai 2017, Paolo Gentiloni, alors Premier ministre italien participe à Pékin au premier “Belt and Road Forum for International Cooperation”. Aussi en mai 2017. Les premiers ministres italiens et Chinois, Paolo Gentiloni et Li Keqiang ont remis à jour un plan d’action dont le but est d’améliorer et de promouvoir la collaboration sino-italienne dans le commerce, la recherche ou encore le tourisme.

L’objectif et les attentes de l’Italie quant à l’adhésion officielle aux nouvelles routes de la soie sont de stimuler son économie domestique, de devenir un partenaire commercial majeur de la Chine et d’attirer les investissements chinois. Au total, pas moins de 29 différents accords d’une valeur qui s’élève à 2.8 milliards de dollars ont été signé par des investisseurs chinois. Les exemples les plus notables sont la signature de deux accords de coopération entre les ports et de Trieste et de Gènes avec la compagnie chinoise China Communication Construction Company. Les accords couvrent aussi une collaboration entre entreprises italiennes et chinoises dans des pays tiers. Par exemple, la compagnie italienne a signé un accord avec la compagnie China Industry International pour fournir des équipements techniques et une assistance technique pour un complexe de production d’acier en Azerbaïdjan. Dans le cadre des nouvelles routes de la soie, la collaboration prend aussi une tournure culturelle. Les deux pays occupent les deux premières classes du classement du patrimoine mondial de L’UNESCO, 58 sites sont reconnus en Italie, 56 en Chine. Avant la Crise Covid, en 2018, l’Italie était la destination européenne préférée des Chinois et un accord (suspendu, Cause Covid) entre l’authorité de l’aviation civile italienne et son équivalent chinois avait pour projet d’augmenter le nombre de routes aériennes entre les deux pays. De plus, les deux pays collaborent autour d’exhibitions dans différents musées et pour la restauration d’oeuvre d’arts, en 2020 a par ailleurs eu lieu l’année de la culture et du tourisme Chine-Italie. Au niveau du commerce entre les deux pays, en 2021, l’Italie a exporté pour 18.4 milliards de marchandise à la Chine, soit 3.06 % de ses exports. Bien que ce volume soit inférieur que celui exporté vers ces partenaires historiques, la tendance est à l’augmentation.

Statistiques des exportations de l’Italie vers la Chine

En termes d’import, en 2021, la Chine est le troisième partenaire de l’Italie qui importe de la Chine pour 45.63 milliards de marchandise en 2021 soit 8.1% du total de ses imports en 2021. Cette relation commerciale compte beaucoup pour Rome qui espérait réduire son déficit commercial avec Pékin en rejoignant l’initiative chinoise.

Concernant le contexte global dans lequel a eu lieu la signature de cet accord, il convient de noter que la même année, 2019, la Commission européenne publie un document dans lequel elle qualifie la Chine de rival systémique. Cette signature a de fait accélérer la construction d’une approche européenne commune vis-à-vis de la Chine, quelques jours après la visite du président chinois en Italie, Emmanuel Macron a invité Angela Merkel et Jean-Claude Junker afin d’organiser une rencontre à Paris avec Xi Jinping. En tant que membre de l’OTAN, l’appareil militaire et stratégique italien est fortement inséré dans la stratégie globale de Washington en Méditerrannée. Le gouvernement américain avait par ailleurs indiqué à l’Italie que son association aux nouvelles routes de la Soie endommagerait sa réputation internationale.

Par ailleurs, il est important de prendre en compte le contexte domestique au sein duquel s’est déroulé la signature de cet accord. Celui-ci a été signé par un gouvernement de coalition entre le Mouvement 5 étoiles et la parti Lega per Salvini Premier. Ce gouvernement, bien que dirigé formellement par le Premier ministre Giuseppe Conte, était essentiellement influencé par les deux vice-premiers ministre Matteo Salvini (Lega) et Luigi Di Maio (5 étoiles). Alors que Salvini se montrait sceptique vis-à-vis d’un approfondissement des relations avec la Chine, Di Maio pris l’initiative de lancer les discussions avec la Chine. Cette signature a donc eu lieu malgré des divergences profondes au sein même de la coalition italienne. Néanmoins, cette coalition ne résista pas à l’épreuve du temps. En aout 2019, la liga décide de se retirer de la coalition, mettant le gouvernement en minorité. Le Premier ministre Comte se voit contraint de donner sa démission. En septembre, une nouvelle coalition se forme, Comte est nommé Premier ministre. Néanmoins, le 13 janvier 2021, suite à une nouvelle crise parlementaire, la coalition se dissout, Comte est contraint de démissionner de nouveau le 26 janvier. Le 18 février, un nouveau gouvernement de coalition se forme, avec Mario Draghi, ancien président de la banque européenne, à sa tête. Au cours de l’année 2021, l’Italie de Mario Draghi semble s’éloigner quelque peu de la Chine et renoue avec ses alliés européens. Le gouvernement italien reste pragmatique et continue de coopérer avec la Chine, mais autour d’une approche globale centrée autour des interets européens.

Depuis octobre 2022, Giorgia Meloni est la nouvelle première ministre italienne, à la tête d’une coalition de droite et d’extrême droite. Aux commandes d’un parti élu sur des positions anti-immigration et, ce serait un euphémisme de le dire, eurosceptique, le nouveau gouvernement italien veut dire non à la finance internationale et non aux bureaucrates de Bruxelles.

Alors que cet accord entre l’Italie et la Chine est censé se renouveler automatiquement en mars 2024, le gouvernement italien a toujours la possibilité de le révoquer entre-temps

Lors de sa campagne électorale, la candidate du “Made in Italy” a tenu une position sceptique vis-à-vis de la Chine. Elle a pris part à une interview avec la Central News Agency, principale agence de presse taïwanaise, et considère comme une grosse erreur diplomatique la signature en 2019 du memorandum avec la Chine. Malgré la rencontre entre Xi Jinping et Giorgia Meloni à Bali lors du sommet du G7, la dirigeante italienne n’est pas enthousiaste à l’idée de poursuivre l’engagement de l’Italie au sein des nouvelles routes de la soie. Alors que cet accord entre l’Italie et la Chine est censé se renouveler automatiquement en mars 2024, le gouvernement italien a toujours la possibilité de le révoquer entre-temps.

Tandis que l’Italie s’engage sur une voie de protectionnisme économique et semble méfiante à tout nouvel investissement chinois, Giorgia Meloni, malgré elle, emprunte le chemin ouvert par Mario Draghi et renoue plus que jamais avec ses partenaires européens mais aussi avec Washington. La première ministre a déclaré que l’Italie faisait pleinement partie de l’Union européenne et a l’intention d’utiliser les fonds du programme REPowerEU afin de rénover et de perfectionner son infrastructure gazière. A termes, l’Italie a pour ambition de devenir le nouveau hub gazier européen, servant de pont entre l’Afrique et l’Europe. Autour du bassin méditerranéen, Meloni veut developper les infrastructures gazières, c’est ainsi qu’en décembre dernier, la première ministre a présenté lors du sommet Rome MED 2022 son plan Mattei pour l’Afrique.

Giorgia Meloni lors du sommet Rome MED 2022

Autour de ce plan de coopération, qui concerne l’Afrique du Nord en particulier, Giorgia Meloni affirme vouloir adopter une attitude non prédatrice à l’égard du marché africain et critique l’approche de certains pays européens, notamment celle de la France vis à vis du continent Africain. A travers ce plan, qui concerne avant tout l’énergie, l’Italie veut devenir la plaque tournante du gaz en Europe. Depuis, Giorgia Meloni a entamé différentes visites en Afrique du Nord, notamment en Algérie et en Libye. Le 22 janvier, le Premier ministre Algérien a rencontré Giorgia Meloni afin d’augmenter les livraisons de gaz vers l’Italie et pour discuter de contrats entre le secteur gazier algérien et la compagnie italienne ENI. Alors que l’Italie et la Chine aurait pu collaborer, dans le cadre des nouvelles routes de la soie, au développement d’infrastructure en Méditerranée, Rome semble vouloir donner priorité à la nouvelle stratégie européenne du Global Gateway (lien article à ce sujet).

Le besoin d’investissement en infrastructure reste immense, et malgré ses ambitions, après plus d’un an de Global Gateway, peu de projets concrets semble se matérialiser

Après l’effondrement en 2018 du viaduc de Genes, la lumière a été faite non seulement sur le vieillissement des infrastructures italiennes mais aussi sur l’écart de développement entre le Nord et le Sud de l’Italie. L’infrastructure fut un point clé de la campagne de Meloni et est actuellement un enjeu majeur, en particulier pour Salvini devenu ministre des infrastructures. Différents projets sont ainsi en cours, pour en citer quelques uns, depuis janvier 2023, une nouvelle ligne de train relie Milan et Rome et permet de parcourir les 565 kilomètres en environ 2h45, à Trento, des travaux sont en cours pour la construction d’une nouvelle ligne ferroviaire à double voie d’environ 13 kilomètres pour le contournement ferroviaire de la ville. Le projet de liaison entre Turin et Lyon est quant à lui toujours en suspens, du coté français des voix s’élèvent contre ce projet alors que Matteo Salvini pousse la concrétisation de ce projet. Déjà en 2019, alors vice premier ministre, Salvini considérait que cette ligne devait absolument être construite. D’autres projets d’infrastructure à portée européennes et soutenus par l’UE sont en cours, notamment une ligne Rome-Munich et une ligne Paris-Venise. Néanmoins, le besoin d’investissement en infrastructure reste immense, et malgré ses ambitions, après plus d’un an de Global Gateway, peu de projets concrets semble se matérialiser.

Projet de liaison Lyon-Turin, défendu par Salvini, symbole du corridor manquant au sud de l’Europe

Aussi, l’Italie revendique son rôle essentielle au sein de L’OTAN, la victoire électorale de Meloni en Italie a par ailleurs été encensé aux Etats-Unis par le Parti Républicain qui considère Rome comme un nouvel allié conservateur. Son fervent soutien à l’Ukraine le démontre une nouvelle fois.

C’est dans ce contexte que le 17 février dernier, Wang Yi, ancien ministre chinois des affaires étrangères et désormais directeur du bureau de la commission des affaires étrangères du Parti Communiste Chinois a rencontré Antonio Tajani, Ministre italien des Affaires étrangères ainsi que Sergi Mattarella Président italien. Lors de cette rencontre Wang Yi a indiqué l’importance de l’Italie pour la Chine et a apprécié les efforts Italien pour promouvoir le multi-latéralisme. Il a en outre encouragé les deux pays à relancer les échanges et la coopération dans divers domaines.

Jia Guide, nouvel ambassadeur chinois en Italie depuis janvier 2023, remettant ses lettres de créances ici auPrésident Mattarella

Néanmoins, Le scepticisme à l’égard de la Chine semble plus fort que son euroscepticisme, et malgré ses premières positions anti-européennes, le mandat de Meloni pourrait de fait renforcer les positions européennes contre la Chine et servir d’appui aux Etats-Unis en mer méditerranée, du moins jusqu’aux prochaines élections…


Par Théo Letsis, analyste au pôle europe de l’OFNRS