Le 9 août 2017, le premier coup de pelle était donné sur le chantier du plus important projet d’infrastructure de Malaisie ; l’East Coast Rail Link (ECRL). Cette liaison ferroviaire reliera la côte Ouest et Est de la Malaisie péninsulaire. Le premier ministre malaisien de l’époque, Najib Razak, a ainsi déclaré que l’ECRL sera achevé en 2024 et apportera un changement considérable pour le pays. La présence du conseiller d’État chinois Wang Yang ce jour-là rappelle également que ce projet est une composante essentielle des Nouvelles Routes de la Soie. Liant deux zones géographiques hautement stratégiques, à savoir le Port Klang (face au détroit de Malacca) à Kuantan et Kota Baru (faisant face à la mer de Chine Méridionale), cette ligne de 665 kilomètres réduira à 4 heures le temps de trajet entre ces deux parties de Malaisie contre 7 heures aujourd’hui.
Le pays a pour ambition de devenir un hub commercial et logistique capable de concurrencer Singapour. Mais alors quelle est la portée de ce projet pour la Chine, la Malaisie et l’ASEAN ? Et en quoi fait-il de la Malaisie un acteur de premier plan dans le cadre des Nouvelles Routes de la Soie en Asie du Sud-Est ?
Présentation du projet
L’East Coast Rail Link est un projet ferroviaire à double voie conçu pour améliorer la connectivité entre les États de la côte ouest et est de la Malaisie péninsulaire pour le transport de voyageurs et de marchandises. À l’extrémité ouest de ce chemin de fer se trouve le port de Klang situé non loin de Kuala Lumpur. Il s’agit du premier port de Malaisie et du deuxième d’Asie du Sud-Est en termes de volume. À l’extrémité est du tracé, la ville de Kota Bharu au nord-est du pays non loin de la frontière thaïlandaise.
Composé de 20 gares dont 1 gare de voyageurs, 5 gares mixtes voyageurs et fret et 1 gare de fret, il dessert la côte est du pays avec notamment le port de Kuantan et sa zone industrielle. Sur le trajet de Kota Bharu, à Port Klang, le trajet prendra moins de quatre heures contre sept heures par la route. D’ici 2030, le tonnage de fret à bord de l’ECRL est estimé à 53 millions de tonnes, tandis que 5,4 millions de voyageurs devraient être transportés chaque année pour un ratio de 70 : 30 de fret par passager.
Avec un coût estimé à 13 milliards de dollars en 2016, le projet est principalement financé par un prêt de la Export-Import Bank of China (EXIM) à hauteur de 85%. La durée de ce prêt est de 20 ans avec un taux d’intérêt de 3,25%. Les 15 % restants sont financés par un programme sukuk (dans le droit musulman c’est un certificat d’investissement conforme à la loi islamique) géré par des banques d’investissement locales.
Le propriétaire de cette liaison ferroviaire est la Malaysia Rail Link Sdn Bhd (MRL) entièrement détenue par le ministère des Finances malaisien. L’exploitation et l’entretien seront effectués par la coentreprise MRL et la China Communications Construction Company (CCCC) à hauteur de 50% chacune.

Chronologie du projet
Ce projet fait partie des 30 accords bilatéraux signés par les gouvernements et entreprises de Malaisie et de Chine en 2016. Cette signature fait suite à l’adoption du protocole d’accord des Nouvelles Routes de la Soie par la Malaisie en 2015.
C’est donc en juillet 2016 que le gouvernement malaisien annonce que la CCCC a remporté le contrat de construction de l’ECRL. Au moment de l’annonce initiale du projet sous le Premier ministre Najib Razak, le coût du projet était de 13 milliards de dollars. Les travaux ont ainsi débuté en août 2017.

En mai 2018, le bouleversement politique en Malaisie (à la suite de l’implication de Najib Razak dans des détournements de fonds liés à de nombreux projets dont l’ECRL), Mahathir Mohamad devient Premier ministre et prévoit d’annuler le projet. C’est finalement une renégociation qui a lieu avec une modification du tracé et une réduction des coûts à 10,6 milliards de dollars.
Après un second changement de pouvoir, et l’arrivée au pouvoir de Muhyiddin Yassin et la nouvelle administration Perikatan Nasional (PN), le projet est rétabli selon le plan initial en avril 2021. L’annonce la plus récente estime que la ligne de chemin de fer sera longue de 665 kilomètres. Le coût de construction estimé du projet est de 15,9 milliards de dollars depuis le début de l’année 2019. En mars 2021, 21,4% du projet aurait été achevé et la mise en service est prévue pour 2027.
L’intérêt du projet dans la relation sino-malaisienne
Pour la Malaise, l’intérêt est de désenclaver et développer économiquement la côte est du pays. Au cours de la dernière décennie, le gouvernement accorde plus d’intérêt au secteur ferroviaire. La Malaisie entame de nombreux projets afin de remplacer les voies ferroviaires unidirectionnelles actuelles en voies bidirectionnelles. Le but est de dynamiser l’ensemble du pays avec un réseau ferroviaire plus efficace et plus rapide. C’est donc dans cette logique que s’inscrit le projet de l’ECRL. Le ferroviaire sera amené à devenir un mode de transport privilégié dans un avenir proche, il est nécessaire d’assurer son développement. Car le secteur des transports est actuellement une infrastructure importante pour améliorer le développement économique de la Malaisie au niveau mondial, un système de transport public est essentiel à une économie comme la Malaisie.
Pour la Chine, le projet de l’ECRL s’avère curial. Il est un élément important pour la poursuite des projets ferroviaires chinois en Asie du Sud-Est continentale, il est essentiel à la constitution d’un réseau trans-asiatique reliant la Chine aux pays de l’ASEAN. De plus, la Malaisie s’avère être un acteur crucial dans le cadre de la BRI. Compte tenu de son emplacement stratégique entre le détroit de Malacca et la mer de Chine Méridionale, l’amélioration des connexions en Malaisie permet d’ouvrir d’autres perspectives au niveau du transport dans cette zone stratégique.
L’ECRL apparaît comme l’un des éléments pouvant permettre à la Malaisie de se constituer comme un hub commercial alternatif à Singapour et de devenir une porte d’entrée de l’ASEAN. À terme, en plus de transporter des voyageurs, l’ECRL a pour objectif de transférer des conteneurs du port de Klang, situé face au détroit de Malacca, au port de Kuantan face à la mer de Chine méridionale, offrant un tracé alternatif à la route maritime existante passant par Singapour. Ainsi en combinant la voie maritime avec l’ECRL, le temps de trajet peut être réduit de 30 heures (soit 18% de moins que le trajet maritime qui est de 165 heures). Mais le coût par conteneur est de surcroît plus important (13). Ce trajet alternatif plus rapide peut donc être utile pour le transport de marchandises périssables comme les produits bio-médicaux. Cependant, cette route pourrait contourner Singapour et offrir aux exportateurs de nouvelles options pour atteindre les marchés de l’Asie du Nord-Est. De même, les exportations de l’Asie du Nord-Est pourraient également atteindre le détroit de Malacca sans passer par Singapour.

Quels impacts pour l’économie et les populations locales ?
L’ECRL devrait ainsi considérablement changer le paysage économique des États de l’est de la Malaisie péninsulaire (Kelantan, Terengganu et Pahang). Cette région deviendrait alors un pôle commercial, une destination touristique et une nouvelle zone d’investissement dans le pays.
C’est également tout le corridor traversé par le chemin de fer qui connaîtra de nouvelles opportunités économiques avec création d’emplois et de centre de croissances dans les zones rurales. Le projet de l’ECRL a permis de construire plus de 300 sites sur la côte est, ce qui a augmenté les possibilités d’emplois et les revenus des résidents le long du tracé. Les écarts de développement entre la côte ouest et est pourront également être réduits du fait des nouveaux avantages et possibilités logistiques. Ce projet a également été pensé avec l’objectif de fournir au plus grand nombre de villes de l’est un meilleur accès aux débouchés commerciaux, non seulement en Malaisie, mais aussi en Asie du Sud-Est.

C’est également le commerce international qui sera à terme stimulé avec la connexion trans-asiatique en développement dans la région. Le développement de la logistique qu’offre l’ECRL laisse place à de nouvelles perspectives dans un pays relativement congestionné, déjà par le transport routier, mais aussi par l’augmentation d’usagers des transports ferroviaires. L’augmentation de la population se traduit nécessairement par un besoin de transport plus grand, d’autant que dans le cadre de l’ECRL cela s’accompagne d’un gain de temps
Cependant il est important de noter que ce projet a un impact important sur l’environnement. Bien qu’il permettra la réduction du trafic routier entre les côtes ouest et est de la Malaisie, son tracé a suscité des préoccupations. Il traverse en effet des zones forestières et des habitats naturels importants, notamment des zones humides et des zones protégées. Ces risques de perte de biodiversité ainsi que de pollution de l’eau ont fait l’objet de mesures de la part du gouvernement qui a mis en place des zones de conservation de la biodiversité le long de la voie.

Une liaison ferroviaire qui permettra de relier les côtes ouest et est de la Malaisie péninsulaire changera la donne en offrant des avantages logistiques et de transport nouveaux. Avec ce projet, c’est tout une nouvelle zone de croissance qui se dessine afin de réduire l’écart de développement entre les États de la Malaisie péninsulaire.
Une fois achevé, le projet de l’ECRL fera partie du réseau ferroviaire pan-asiatique qui augmentera considérablement la connectivité avec les pays de l’ASEAN. Favorisant le commerce, ce projet contribuera en moyenne à une croissance annuelle supplémentaire de 1,5 % du PIB dans la région de la côte est au cours des 50 prochaines années.
C’est en effet un projet entrepris avec l’objectif de permettre à un plus grand nombre de villes dans les quatre États de la côte est (Kelantan, Terengganu, Pahang et Selangor) d’avoir un meilleur accès aux débouchés commerciaux non seulement en Malaisie, mais aussi par les grandes régions d’Asie du Sud-Est et d’Asie.

Par Théo Banse, Analyste stagiaire Asie du Sud Est