Les relations entre la Chine et le Sri Lanka sont anciennes et datent de bien avant l’ère moderne. Certains experts les remontent à la Dynastie Han (IIIe siècle av J-C) et elles se sont poursuivies jusqu’à aujourd’hui. Outre les échanges commerciaux, facilités par le caractère insulaire du Sri Lanka et son ancrage dans l’Océan Indien, au carrefour de l’Asie, de l’Afrique et du Moyen-Orient, il y a également eu nombre d’échanges culturels et religieux entre les deux pays, notamment par les moines bouddhistes. Cela a permis la traduction de textes bouddhiques en chinois.

Ainsi, des grands noms tels que celui du moine bouddhiste Fa Xian, pendant la dynastie Jin, ou de l’amiral Zheng He, dont la flotte a fait plusieurs voyages sur l’île au cours de la dynastie Ming, ont marqué les relations sino-sri lankaises.

La tablette trilingue (chinois, tamil et perse) de Galle, offerte par l’amiral Zheng He en 1409 au Sri Lanka.

Par la suite, comme ce fut le cas pour beaucoup de pays d’Asie, des travailleurs chinois émigrèrent au Sri Lanka, leur venue fut facilitée par les autorités coloniales britanniques. La communauté chinoise descendant de cette main d’œuvre représente aujourd’hui une part minime dans la population sri lankaise.

Le Sri Lanka a été l’un des premiers pays à reconnaître la République Populaire de Chine, à la suite de la conférence de Bandung, et les deux pays établirent officiellement des relations diplomatiques en 1957 sous le gouvernement de S.W.R.D. Bandaranaike, après la visite de Zhou Enlai sur l’île.

Le Premier ministre Zhou Enlai et son homologue sri-lankaise Sirimavo Bandaranaike en 1964

S’ensuivirent des années de relation cordiale, marquées par des visites de haut niveau entre les deux pays sous l’administration de Sirimavo Bandaranaike qui se rendit plusieurs fois en Chine à partir de 1972 et Zhou Enlai au Sri Lanka, en 1957 et en 1964.

Cela a mené inévitablement au renforcement des liens économiques entre les deux Etats qui avaient commencé avant l’établissement des relations diplomatiques entre les deux pays, en 1952 avec le Pacte d’échange riz/caoutchouc qui permettait au Sri Lanka d’importer 270 000 tonnes de riz alors que la Chine acceptait d’acheter 50 000 tonnes de caoutchouc par an pendant cinq ans. Cet accord a été renouvelé tous les cinq ans jusqu’en 1982, ce que Saman Kelegama, économiste srilankais, considère comme l’accord le plus fructueux entre deux pays du “Sud”.

Par la suite, du fait de son développement économique, la Chine a apporté un soutien massif au Sri Lanka dans les secteurs économique, culturel et militaire, la Chine ayant été le seul pays à avoir répondu favorablement aux demandes de matériel militaire du gouvernement sri lankais, confronté à une insurrection indépendantiste tamoule, et le Sri Lanka a été le premier pays à avoir acheté le Harbin Y-12 chinois.

Le Bandaranaike Exhibition Memorial International Conference Hall et le Sirimavo Bandaranaike Exhibition Centre sont encore aujourd’hui les preuves du soutien historique de la Chine au Sri Lanka.

En 1982 fut signé le Sino-Lanka Joint Trade Committee et en 1984 le Sino-Lanka Economic and Trade Cooperation Committee. Ceux-ci fusionnèrent en 1991 pour former le Sino-Lanka Joint Commission for Economic and Trade Cooperation afin de renforcer les liens économiques entre les deux pays. Efforts qui furent poursuivis en 1994 avec la création du Sri Lanka-China Business Cooperation Council.

C’est toutefois à partir de 2005 que les relations sino-sri-lankaises atteignent un niveau inédit sous l’administration du président Mahinda Rajapaksa, renforcées par la position pro-Chine de ce dernier. En effet, en 2007, à l’occasion d’une visite officielle en Chine, le président sri-lankais a signé huit accords bilatéraux et mémorandums d’entente sur la coopération économique et technique, ainsi qu’un partenariat entre Guangzhou et Hambantota, des coopérations de promotion pour l’investissement, dans l’industrie cinématographique et dans le secteur universitaire, entre autres.

Lorsque la Chine annonça la mise en place de la Belt and Road Initiative, le Sri Lanka fut l’un des premiers pays à annoncer publiquement son soutien pour cette politique, celle-ci s’inscrivant directement dans sa stratégie de développement nationale. Le président Maithripala Sirisena (2015-2019), le premier ministre Ranil Wickremesinghe et d’autres officiels sri-lankais ont exprimé leur désir de rejoindre la BRI afin de positionner le Sri-Lanka comme hub économique dans l’Océan Indien,valorisant, avec les investissements chinois, les atouts géographiques du pays.

Xi Jinping et son homologue sri-lankais Mahinda Rajapaksa en 2014 à Shanghai

On ne peut nier par ailleurs que le Sri Lanka est un point stratégique dans la rivalité entre l’Inde et la Chine dans l’Océan Indien.

Sous l’administration de Maithripala Sirisena, le Sri Lanka a tenté de trouver un équilibre entre les deux nations rivales, chacune cherchant à asseoir son influence sur ce territoire insulaire. Toutefois, le Sri Lanka tendait à une position plus favorable à la Chine, en témoignent les investissements chinois qui se poursuivent au Sri Lanka et le soutien de ce dernier à la Chine dans ses conflits territoriaux, notamment en Mer de Chine Méridionale. En 2016, la Chine est devenue le principal importateur au Sri Lanka, totalisant 22% des importations au Sri Lanka pour une valeur totale de 4 000 millions de dollars, dépassant ainsi l’Inde. En l’espace de quelques années, les importations chinoises au Sri-Lanka ont été multipliées par 4.

Les principaux biens venant de Chine importés au Sri Lanka sont des objets d’ingénierie mécanique et des machines électriques. C’est également un fournisseur non-négligeable d’acier, de coton et de combustibles minéraux. À l’inverse, les exportations sri-lankaises en Chine sont minimes en comparaison, ne représentant que 2% du total des exportations du pays. La part la plus importante des exportations sri-lankaises vers la Chine concernent le textile et le thé. Les autres sont des accessoires de mode et des produits chimiques. La Chine est le premier pays en termes d’investissements étrangers directs au Sri-Lanka, comptabilisant 15,5% du total des investissements du pays pour une valeur de 989 millions de dollars, investissements qui se sont accentués avec la politique de la BRI. L’aide au développement chinoise au Sri-Lanka s’est accélérée au cours des dernières années, délogeant le Japon de la première place. Celle-ci est sous trois formes : des prêts, des subventions et des prêts sans intérêt. Les premiers sont accordés par des entreprises publiques comme la China Development Bank (CDC) ou la Industrial and Commercial Bank of China (ICBC), les derniers sont fournis par le Gouvernement chinois à travers le Ministère du Commerce.

En ce qui concerne la présence des entreprises chinoises sur l’île, on retrouve plusieurs entreprises chinoises présentes au Sri Lanka dans différents secteurs tels que la construction, les télécommunications, les infrastructures, les énergies renouvelables, l’industrie textile, les transports, etc. Voici quelques exemples d’entreprises chinoises opérant au Sri Lanka :

  • China Harbour Engineering Company (CHEC) – une entreprise de construction impliquée dans plusieurs projets d’infrastructures et de développement portuaires au Sri Lanka, tels que le port de Hambantota et le port de Colombo.
  • China Merchants Group – une entreprise de transport et de logistique qui a pris une participation majoritaire dans le terminal de conteneurs du port de Colombo.
  • Huawei et ZTE Corporation qui fournissent des équipements et des services de télécommunications au Sri Lanka.
  • China National Electric Engineering Company (CNEEC) – une entreprise qui s’est récemment engagée dans la construction de plusieurs projets d’énergie renouvelable au Sri Lanka, tels que des centrales solaires.
  • China National Technical Import and Export Corporation (CNTIC) – une entreprise de construction impliquée dans la construction d’un hôpital de 100 lits à Hambantota.
  • China State Construction Engineering Corporation (CSCEC) – une entreprise de construction qui a remporté le contrat pour la construction de l’autoroute centrale du Sri Lanka.
Port de Hambantota

Les infrastructures de la BRI au Sri-Lanka ont pour but de faciliter son ancrage dans l’Océan Indien et d’en faire un hub dans la région, en concordance avec la stratégie des chefs d’Etat sri-lankais.

Entre 2006 et 2019, les investissements chinois au Sri-Lanka totalisent près de 12 milliards de dollars, soit 14% du PIB sri-lankais en 2018, ces investissements sont souvent accompagnés par de l’aide financière et des prêts à taux élevé. Aujourd’hui, le Sri-Lanka doit 10% de sa dette totale et 20% de sa dette publique à la Chine seule, soit la plus haute proportion parmi ses prêteurs.

Le Sri-Lanka comptabilise un nombre conséquent d’infrastructures importantes dans la politique de la BRI.

Le port de Hambantota est l’un des exemples majeurs de la BRI au Sri Lanka. Il est indispensable à la sécurité énergétique de la Chine puisqu’il lui permet d’importer ⅔ de son pétrole. L’accord a été signé en 2017 par l’administration de Maithripala Sirisena et accordait une concession de 99 ans sur les activités commerciales du port à l’entreprise China Merchants (qui opère plusieurs ports en Chine comme Qingdao, Dalian, Shenzhen, Hong Kong et dans des pays étrangers tels que Djibouti ou Lomé), permettant au Sri-Lanka de diminuer sa dette contractée auprès d’entreprises chinoises qui s’élève à environ 6 milliards de dollars. China Merchants a ainsi donné, dans le cadre de cette concession, près de 1,12 milliard de dollars à Colombo. 100 millions de dollars ont été donnés en janvier 2018, suivis d’un dernier versement de 585 millions de dollars la même année, ce qui a permis à China Merchants de devenir actionnaire du port commercial de Hambantota à 70%.

La concession du port à la Chine a néanmoins incité d’autres investisseurs étrangers. Un groupe indien a montré son intérêt pour racheter l’aéroport de Hambantota, également construit grâce à des capitaux chinois en 2013, malgré un trafic qui reste faible encore aujourd’hui qui le fait opérer à perte. Toujours en 2017, la Chine et le Sri-Lanka ont inauguré un parc industriel d’environ 500 hectares dans la zone spéciale de Ruhunu à Hambantota pour créer de l’activité dans la région et augmenter les revenus d’exportations du Sri-Lanka selon le PDG du Groupe Portuaire International de Hambantota, Johnson Liu.

Toutefois, le président suivant, Gotabaya Rajapaksa a soulevé les problématiques liées à ce contrat, dont les rumeurs de “piège de l’endettement” (d’autant qu’un quart de sa dette internationale est chinoise). En effet, le gouvernement est obligé de payer plus de 100 millions de dollars par an pour le port, ce dernier est en plus concédé à la Chine, ainsi que 15 000 acres de terre.

Parmi les autres projets de l’initiative la ceinture et la route, on peut compter l’expansion du port de Colombo, ainsi que sa modernisation. Celui-ci sert de hub principal pour le fret. Il y a aussi le développement de la centrale à charbon de Norochcholai à hauteur de 460 millions de dollars pour fournir 40% de l’approvisionnement en électricité du pays, la voie express Colombo-Katunayake valant 250 millions de dollars afin de faciliter l’industrie du tourisme, le réservoir Kulasinghe et des autoroutes reliant Colombo et Hambantota pour lesquelles la Chine a consenti à un prêt de 1 milliard de dollars.

Les infrastructures chinoises au Sri-Lanka s’inscrivent dans la stratégie chinoise du “Collier de perles” conceptualisé par des analystes à Washington il y a 20 ans selon laquelle Pékin mettrait en place des infrastructures civiles et militaires dans l’Océan Indien pour asseoir son influence et encercler l’Inde. En 2018, le New York Times a publié un article selon lequel Pékin était au fait que le port n’apporterait pas d’importants bénéfices. Le but recherché par le gouvernement chinois était donc de saisir le port alors que le Sri-Lanka serait incapable de régler sa dette. Ce que la Chine a combattu en 2022 sur le champ médiatique.

Le Capitaine Zhang Hogwang du Yuan Wang 5, arrivant dans le port de Hambantota

Toutefois, en août 2022, le navire scientifique chinois Yuan Wang 5 a été autorisé à accoster dans le port de Hambantota, “dans le cadre d’échanges normaux entre les deux pays” selon Qi Zhenhong, l’ambassadeur chinois au Sri Lanka, pour de l’espionnage selon l’Inde et les Etats-Unis. Après un refus de Colombo pour ce séjour, suivi de longues discussions diplomatiques entre le Sri Lanka, l’Inde, qui craignait pour sa sécurité et ses intérêts économiques, les Etats-Unis et la Chine, le Yuan Wang 5 a finalement été autorisé à accoster à condition qu’il n’effectue aucune recherche pendant son escale.

Selon la chaîne indienne CNN-News18, le Yuan Wang 5 est un navire d’espionnage à double usage, utilisé pour le suivi de l’espace et des satellites et utilisé pour les lancements de missiles balistiques intercontinentaux. Ainsi, Yuan Wang 5 a été accueilli en grandes pompes par des danseurs, des musiciens traditionnels et des députés sri-lankais et est resté au port de Hambantota jusqu’au 22 août.

Le Sri-Lanka constitue un cas d’école en ce qui concerne la BRI et les écueils que celle-ci peut poser aux Etats bénéficiaires. Aujourd’hui, le pays se retrouve dans une crise non seulement économique mais aussi politique, marquée par des manifestations populaires qui ont poussé à plusieurs démissions dans l’administration au cours de l’année 2022, d’abord celle du premier ministre Mahinda Rajapaksa en mai, puis celle du président Gotabaya Rajapaksa, tous deux issus de la même famille, ancrée depuis plus d’un demi-siècle dans la politique sri-lankaise.

La Chine a une longue histoire avec les Rajapaksa, leur ayant fourni les armes pour défaire les Tamil Tigers dans les années 2000. Malgré les changements de gouvernement, les liens ont subsisté comme les Rajapaksa revenaient au pouvoir d’une manière ou d’une autre.

En janvier 2023, la Export-Import Bank of China a offert au Sri Lanka un moratoire de deux ans sur sa dette et a assuré qu’elle soutiendrait les efforts du pays pour assurer un prêt de 2,9 milliards de dollars du Fonds Monétaire International.

Dans le cas du Sri-Lanka, la Chine était le seul pays qui pouvait consentir à prêter de l’argent. Toutefois, les investissements faits sont loin d’apporter les bénéfices escomptés et ont contribué à plonger le pays dans l’incertitude et une crise sans précédent depuis plus de 70 ans et une pénurie de dollars qui l’empêche d’importer des produits essentiels, renforcés par le piège de l’endettement chinois qui se renferme sur le pays. Cela pourrait dissuader tout autre pays de consentir à recevoir les investissements chinois dans le cadre de la BRI.

Alors que la situation s’envenime, Pékin reste discret. Toutefois, les enjeux sont bien trop importants, tant avec le Sri-Lanka qu’au niveau international, pour que ce silence dure… Preuve en est, au début du mois de mars, la Chine a fait une promesse au Sri-Lanka de trouver un accord sur le traitement de sa dette dans les mois à venir.

En début mars 2023, l’ambassade de Chine au Sri-Lanka a annoncé que des représentants d’entreprises chinoises de grande envergure visiteront prochainement le pays afin de prospecter de nouvelles opportunités d’investissement, au cours d’une cérémonie à laquelle était présent le secrétaire du président du Sri-Lanka, Saman Ekanayake.


Par Célia Hoarau, Analyste Océan Indien à l’OFNRS