Le premier décembre, le président du Conseil européen, Charles Michel, s’est rendu à Pékin pour rencontrer Xi Jinping afin de discuter des relations entre la Chine et l’Union européenne (UE), ainsi que défendre les valeurs de l’UE auprès de la Chine. Cette visite est l’occasion de revenir plus en détails sur l’état des relations Chine-UE et d’aborder les conclusions de cette entrevue dans la capitale chinoise.
Une relation UE-Chine qui s’est détériorée ces dernières années
La stratégie de l’Union européenne dans son approche des relations avec la Chine a été définie dans la communication conjointe de mars 2019 produite par la Commission européenne et le haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et vice-président de la Commission à propos de la vision stratégique UE-Chine qui qualifiait la Chine à la fois comme « un partenaire de coopération avec lequel l’UE partage des objectifs alignés proches, un partenaire de négociations avec lequel l’UE doit trouver un équilibre des intérêts, un concurrent économique dans la poursuite d’un leadership technologique, et un rival systémique qui promeut un modèle de gouvernance alternatif ». Cette triple approche de la Chine comme partenaire, concurrente et rivale dicte encore aujourd’hui nos relations avec cette dernière. L’UE doit notamment jongler entre les intérêts et l’interdépendance économique avec la Chine et la défense des valeurs européennes, notamment la question des droits de l’homme.
Pour l’UE, l’idée est donc d’être pragmatique à l’égard de la Chine et d’être compétitive quand elle le doit, coopérative là où elle peut l’être et opposante quand il le faut
Traditionnellement les sujets d’accords sur lesquels la Chine et l’UE se soutiennent et ont une coopération soutenue grâce à des intérêts sont le climat et la santé. A l’opposé, les sujets sur lesquels s’affichent les plus grandes divergences sont les droits de l’homme, le système de gouvernance, la technologie, et la cyber-sécurité. Puis, il y a l’économie qui est un domaine où l’UE cherche à la fois à approfondir et continuer les échanges commerciaux et les investissements Chine-UE, tout en travaillant à éviter de devenir trop dépendante à la Chine et maintenir une autonomie stratégique.
Néanmoins, ces dernières années les relations Chine-UE se sont dégradées suite à une aggravation des différences sur les points de désaccords mentionnés ci-dessus. L’UE a maintenu une position forte sur la dénonciation de l’Etat des droits de l’homme en Chine, notamment dans le Xinjiang, le Tibet, la Mongolie, lors des manifestations à Hong Kong et à propos du traitement envers les opposants politiques et les défenseurs locaux des droits de l’homme. Ces positions ont entraîné l’adoption par le Conseil européen de sanctions en mars 2021 dans le cadre du régime mondial de sanctions de l’UE en matière de droits de l’homme contre quatre personnalités chinoises et une entité en raison des violations aux droits de l’homme conduites au Xinjiang. Immédiatement, la Chine a répondu en adoptant des mesures de représailles afin de protéger ce que le Ministère des Affaires étrangères de la Chine considère comme sa « souveraineté nationale, sa sécurité et le développement de ses intérêts ». Ainsi, des contre-sanctions ont été votées contre dix individus européen et quatre entités qui « nuisent à la souveraineté et aux intérêts chinois et répandent malicieusement des mensonges et de la désinformation ». Les personnalités concernées étaient des parlementaires européens, des parlementaires nationaux, des chercheurs, le comité politique et sécuritaire du Conseil de l’UE, le sous-comité sur les droits de l’homme du Parlement européen, le Think tank allemand d’études chinoises Mercator, et la fondation danoise Alliance of Democracies.

Ces tensions ont eu une conséquence élargie sur les relations Chine-UE, puisqu’elles ont aussi résulté au blocage de l’adoption de l’Accord global sur les investissements entre l’Union européenne et la Chine (CAI) qui était en phase de débat pour adoption au niveau du Parlement européen à cette époque. Or, ce traité était supposé avancer sur d’autres sujets de tensions entre la Chine et l’UE que sont la réciprocité de l’accès au marché, commercer à conditions équitables (le fameux level-playing field), l’asymétrie de la relation commerciale. Actuellement, le CAI, bien que jugé comme étant un traité de grande importance pour l’évolution des relations commerciales entre la Chine et l’UE, reste gelé.
En novembre 2021, la Lituanie a ajouté de l’huile sur le feu en forçant plus ou moins l’UE à se positionner contre la Chine suite à la décision unilatérale de la Lituanie d’autoriser l’ouverture d’un Bureau de Taïwan à Vilnius, contre le nom d’usage habituel de Bureau de Taipei. Cette variation subtile a suffit à éliciter une vive réaction de la part de la Chine qui s’est de suite brusquée comme à son habitude quand il est question de Taïwan, et a adopté en représailles des sanctions politiques et économiques contre la Lituanie. Les chefs des Etats membres de l’UE ont affirmé leur soutien à la Lituanie et l’UE s’est mise au travail pour apaiser cette montée des tensions. Ainsi, la Commission européenne a dévoilé un nouvel instrument européen anti-coercition qui permet à l’UE « de se défendre lorsqu’elle ou ses Etats membres font face à des pressions ou intimidations économiques de la part de pays tiers ».

Enfin, le dernier refroidissement des relations entre l’UE et la Chine est la position de la Chine face au conflit russo-ukrainien. La Chine garde une position ambiguë dans ce conflit, le Ministère des Affaires étrangères a à plusieurs reprises exprimé son soutien à une résolution du conflit via des négociations pour parvenir à un cessez-le-feu. Le 22 septembre, Wang Yi, le Ministre des Affaires étrangères chinois, avait exposé devant le Conseil de sécurité de l’ONU quatre priorités pour parvenir à une résolution du conflit : soutenir l’effort de négociations, mettre la pression pour apaiser le conflit, soulager la crise humanitaire et freiner les retombées plus larges du conflit comme la crise alimentaire mondiale. Wang Yi a aussi soutenu à plusieurs reprises que la Chine cherchait à « protéger la souveraineté et l’intégrité territoriale de tous les pays ». Malgré tout, la Chine n’a toujours pas publié une annonce officielle dans laquelle elle reconnaissait que la Russie avait envahi l’Ukraine et donc violé l’intégrité territoriale du pays.
En octobre dernier, la Chine s’est ouvertement opposée aux sanctions de l’Union européenne contre des généraux iraniens et une entreprise d’armement iranienne pour avoir fourni des drones à la Russie qui ont servi à mener des actions militaires en Ukraine.
En parallèle, la Chine a largement augmenté ses importations de gaz russe ce qui n’a pas été vu d’un très bon œil depuis le continent européen.
Pourtant, le corridor Nord des Nouvelles routes de la soie a été largement impacté par le conflit russo-ukrainien. Officiellement, la liaison ferroviaire Chine-UE qui transite à travers la Russie et la Biélorussie n’a pas été touchée par les sanctions européennes. Néanmoins, l’atmosphère actuelle a découragé de nombreux acteurs de continuer à utiliser le corridor Nord. Presque tous les acteurs européens se sont détournés de cette option et ont réaménagé leur logistique pour trouver une autre voie de transit en passant notamment par la Turquie. C’est le cas par exemple du port de Duisbourg qui a cessé toutes ses activités en Russie et en Biélorussie à cause du soutien du Belarus à la Russie dans le conflit ukrainien. Le port de Duisbourg en Allemagne est considéré comme le point de départ et d’arrivée des Nouvelles routes de la soie en Europe, plus d’un tiers du fret sino-européen passe par ce port. Dans une interview accordée à Railfreight, Carsten Hinne, membre du conseil d’administration de Duisport, la société qui exploite le port de Duisbourg, a affirmé que la guerre en Ukraine a eu comme impact de diviser par deux le nombre de trains venant et allant vers la Chine qui passent par le port de Duisbourg. Le port allemand reste sur la route des opérateurs qui décident de contourner le corridor Nord par le corridor du milieu, cependant cette route rail-mer n’est pas encore énormément développée car elle est plus longue et plus compliquée. L’avenir se joue-t-il sur ces liaisons rail-mer ? C’est une option en tout cas qui est actuellement explorée et qui pourrait être développée dans le futur, notamment en cas de prolongation du conflit en Ukraine. Des premières innovations pour gagner du temps lors des transferts entre la mer et la terre ont déjà commencé à apparaître, ce qui confirme la prise au sérieux de cette voie comme potentiel chemin principal pour les futurs échanges. Quant aux opérateurs qui continuent d’utiliser le corridor Nord, ils ont tout de même considérablement réduit l’utilisation de cette option qui avant la guerre canalisait 95% du passage du fret ferroviaire sino-européen.

Cependant, cela ne veut pas dire que la Chine a abandonné tout projet de liaison avec la Russie. Au contraire, ces derniers mois ont été les témoins de l’accomplissement d’un grand projet ferroviaire sino-russe et du lancement d’un second. En effet, en Novembre, la Chine et la Russie ont inauguré un pont ferroviaire qui lie la ville chinoise de Tongjiang dans la province du Heilongjiang à la ville russe de Nizhneleninskoye en traversant le fleuve de l’Amour qui sépare les deux pays, permettant ainsi de réduire le temps de trajet de la ligne Moscou-Heilongjiang de plus de dix heures. Ce projet a été construit dans l’objectif d’approfondir les relations commerciales entre la Russie et la Chine qui malgré la guerre sont en très bonne santé puisque l’année dernière le commerce entre les deux pays a augmenter de 35,8% et rien qu’au premier quartile de cette année, la Chine a vu ses importations de produits russes bondir de +31%. Spoutnik News a annoncé que le fret passant par ce nouveau pont serait principalement composé de charbon, de minerai, d’engrais et de bois de construction. Puis, un autre projet de construction d’une ligne ferroviaire de 550 km a été lancé, cette fois-ci il concerne la liaison entre la ville chinoise d’Atlay dans la province du Xinjiang à la ville de Bïïsk en Russie. Cette ligne viendra compléter un réseau ferroviaire plus étendu puisqu’elle va pouvoir se connecter à d’autres lignes ferroviaires qui partent dans toute l’Eurasie.
On peut donc voir par ces actions, qu’il n’est pas question pour la Chine de couper ou même entraver sa coopération avec la Russie. A moins d’un scénario catastrophe où la Russie venait à utiliser l’arme nucléaire en Ukraine, il est peu probable de voir la Chine s’aligner sur la position européenne dans le futur.
La Chine et l’Union européenne, bien qu’elles semblent avoir le même objectif final : la fin du conflit russo-ukrainien, se différencient quant à la manière de parvenir à la résolution du conflit. L’UE soutient ouvertement l’Ukraine et dénonce la Russie, la Chine, quant à elle, a une approche plus ambiguë où elle annonce son souhait de voir le conflit toucher à sa fin en se réservant de prendre officiellement le parti russe ou ukrainien. Cependant, en termes d’actions, on peut constater que les canaux de communication entre la Chine et la Russie sont bien ouverts, contrairement à ceux entre la Chine et l’Ukraine puisque dans une interview accordé à Ouest France le 23 septembre, le Président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a confié qu’actuellement les deux pays ne communiquaient pas.
Une visite diplomatique de maintien du dialogue qui n’a pas résulté en de réelles avancées concrètes
C’est dans ce contexte particulièrement compliqué que s’est effectuée la rencontre entre le Président du Conseil européen, Charles Michel et Xi Jinping. L’objectif de cette rencontre qui a duré plus de trois heures était donc de revenir sur ces points de désaccords afin de potentiellement amorcer des solutions, ainsi qu’augmenter la coopération sur les points d’entente.

Un premier résultat de cette visite serait la reprise du dialogue UE-Chine sur les droits de l’homme (EU-China Human Rights Dialogue) à l’arrêt depuis 2019, qui est un forum qui a pour but de maintenir un dialogue sur les questions en rapport aux droits de l’homme, un sujet au coeur des valeurs européennes, mais qui reste un point de différends avec la Chine. La promotion des valeurs européennes est un pan important de l’action extérieure de l’UE, c’est pourquoi c’est un sujet qui revient toujours lors des visites officielles. Charles Michel a affirmé être revenu sur la situation dans le Xinjiang et à Hong Kong dans le cadre du respect des engagements pris au niveau de l’ONU en matière de droits de l’homme.
La discussion entre les deux hommes s’est aussi tournée vers la résolution et l’apaisement des conflits internationaux. Il a été fait mention de l’Ukraine, où la Chine et l’UE se sont accordées pour dire qu’il fallait éviter toute possible menace nucléaire, Charles Michel a aussi exhorter Xi Jinping « d’user de son influence sur la Russie afin qu’elle respecte la charte des Nations unies. ». Puis, un point a été fait sur la nécessité de protéger la stabilité dans le Pacifique et en mer de Chine méridionale, ainsi que de garder une approche pacifique dans la résolution du conflit avec Taïwan. Actuellement, 40% du commerce européen passe par le détroit de Taïwan, maintenir la paix dans cette région est donc un enjeu stratégique pour l’UE.
La Chine étant le premier partenaire commercial de l’UE avec des échanges enregistrés en 2021 atteignant les 223 milliards d’euros de biens européens exportés vers la Chine et 472 milliards d’euros de biens chinois importés dans l’UE, les questions économiques ont naturellement été un autre point important de cette rencontre. Xi Jinping a partagé sa volonté d’approfondir les relations commerciales entre la Chine et l’UE « Nous devons renforcer la coordination de nos politiques macroéconomiques, améliorer la complémentarité de nos marchés, de nos capitaux et de nos technologies. Nous devons travailler ensemble pour créer de nouveaux acteurs dans les domaines de l’économie du digital, le développement vert, l’intelligence artificielle. » Le président chinois a aussi appelé à faire des efforts conjoints pour maintenir les chaînes de valeurs et rejeter les politiques de protectionnisme et de découplage. La Chine s’est aussi dite prête à accueillir les Etats de l’UE au sein de son initiative des Nouvelles routes de la soie. Si Charles Michel a affirmé que l’UE partageait la même volonté que la Chine de voir les relations commerciales s’approfondir entre les deux parties, il a aussi abordé les points d’accrochage qui viennent entraver le développement des relations économiques « Du côté européen, l’accès au marché reste très ouvert, alors qu’en Chine, plusieurs secteurs restent beaucoup plus fermés. Nous avons besoin d’une plus grande réciprocité, d’une relation plus équilibrée, sans dépendances excessives, et de conditions de concurrence véritablement équitables pour nos entreprises ». Cependant, aucune annonce n’a été faite quant à la possible prise en compte par la Chine de ces critiques. Le cadre le plus approprié pour avancer sur ces points est le CAI, la Chine depuis toujours exhorte l’UE à dépasser les blocages politiques pour faire adopter ce traité dont le vote a été gelé par le Parlement européen. Si en interne la situation reste inchangée, Charles Michel a affirmé lors de sa visite à Pékin que l’UE était disposée à continuer d’avancer sur le CAI. On pourrait donc espérer que le CAI revienne à l’ordre du jour au sein des organes de l’Union européenne dans les prochains mois.
Quel avenir pour les relations entre la Chine et les pays d’Europe centrale et orientale ?
Pour le moment, il semblerait que les relations Chine-UE devraient se poursuivre dans l’état où elles se trouvent actuellement. Cette visite n’a pas laissé entrevoir un quelconque changement, les deux parties n’ont fait qu’énoncer une position qu’elles tiennent déjà depuis plusieurs années. La Chine continue d’accuser l’UE et l’Europe de l’Ouest en particulier de rester coincée dans une mentalité de guerre froide ce qui la rendrait « injustement hostile » face aux ambitions chinoises en Europe et dans le monde. La Chine est donc bien consciente du fait que le développement des relations avec les pays d’Europe occidentale restera toujours un chemin épineux qui rencontrera de la méfiance et des contestations.
C’est pourquoi, bien que la Chine ait affirmé lors de la rencontre avec Charles Michel ne pas être dans une stratégie de diviser l’Europe et de soutenir au contraire une UE forte et unie, cette dernière a développé beaucoup d’efforts pour renforcer ses liens avec les Etats d’Europe centrale et orientale. En effet, depuis 2012, la Chine a lancé le format 16+1, qui plus tard en 2019 deviendra 17+1 grâce à l’ajout de la Grèce au projet ; et il se pourrait que la Chine continue à concentrer ses efforts sur cette partie de l’Europe qui paraît plus encline à coopérer avec elle. La Chine conçoit l’Europe centrale et orientale comme la porte d’accès à l’Europe occidentale, ainsi, elle a à travers le format 17+1 grandement promu des projets comme la création de lignes ferroviaires transeuropéennes. Les pays membres du format étaient très investis dans ce projet de construction d’une meilleure coopération avec la Chine, cet enthousiasme a d’ailleurs été illustré par l’ajout de la Grèce et une annonce de la part du chancelier autrichien qui a exprimé son envie de voir l’Autriche rejoindre le format 17+1. En 2016, la Chine a même réussi à intégrer le format 16+1 à l’initiative des Nouvelles routes de la soie. Cependant, le renforcement de cette relation n’a jamais été vu d’un bon œil de la part de l’UE qui craignait que la Chine utilise ce canal pour s’ingérer dans les décisions de l’UE via une stratégie d’influence politique. En effet, une majeure partie des pays membres du format 17+1 font partie de l’Union européenne, ils représentent même 12 des 27 Etats de l’UE, soit un bloc considérable. Cela a conduit l’UE à adopter une stratégie de promotion qui appelait ses États à favoriser un dialogue UE-Chine plutôt qu’un dialogue bilatéral avec cette dernière afin de garder une unité européenne et donc gagner en poids lors de potentielles négociations.

Rapidement, l’enthousiasme qui entourait cette coopération avec la Chine est redescendu car les résultats économiques espérés par les pays de l’Est n’ont pas été au rendez vous. Les investissements chinois n’ont pas été à la hauteur des attentes, il semble que la Chine ait eu du mal à convaincre ses investisseurs de favoriser l’Europe de l’Est plutôt que l’Europe de l’Ouest qui est restée la zone en Europe la plus prisée par les investisseurs chinois. De plus, le développement de projets d’infrastructures comme la construction d’une ligne de chemin de fer entre Belgrade et Budapest, ont pris énormément de retard en partie dû à la nécessité de conformité aux normes européennes. Il semblerait que la Chine ait eu du mal à mettre en place une politique efficace pour améliorer sa coopération avec ce bloc de 17 Etats qui sous ce rassemblement cache en réalité des disparités importantes. On peut soulever deux différences majeures que sont premièrement le PIB, par exemple en 2022 le PIB/hab de la Slovénie est de 24.770 € contre 10.330 € pour la Bulgarie ; deuxième une différence importante se situe entre les pays membres et non-membres de l’UE. On a déjà énuméré ci-dessus le poids de certaines normes européennes pour la mise en place de projets, ainsi que la possibilité pour les pays membres de favoriser une approche européenne dans l’approfondissement des relations avec la Chine, mais l’UE apporte aussi des financements via ses propres programmes de développement ou à son mécanisme d’intégration qui viennent concurrencer les investissements chinois.
Le format 17+1 a donc engendré un sentiment de déception pour de nombreux pays. Un exemple qui illustre cela est la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie et la Slovénie qui lors de la dernière réunion du format 17+1 n’ont envoyé que des ministres comme représentants contre des Chefs d’Etat comme à leur habitude. Un autre événement majeur est le vote de retrait de la Lituanie du format 17+1 en février 2021 par le Comité parlementaire sur les Affaires étrangères. A cette époque le Ministre de Affaires étrangères lituanien, Gabrielius Landsbergis, avait confié à LRT, une radio-télévision publique lituanienne que le 17+1 avait apporté « presque aucun bénéfice » à la Lituanie, il avait ensuite ajouté « [Le 17+1] n’est pas utile à l’Europe, il divise l’Europe car certains pays ont des avis différents sur la Chine par rapport à d’autres. »
De plus, la priorité donnée à la défense et à la sécurité européenne lors de la Présidence française de l’Union européenne a entraîné un pivot de l’UE vers la zone des Balkans occidentaux dont la stabilité reste encore fragile. En juin 2022, Charles Michel avait dit devant le Conseil « Il s’agit d’un moment important car il existe une volonté politique très forte de redynamiser le processus avec les Balkans occidentaux afin d’envoyer un message très clair et fort ». Cette citation marque le regain d’intérêt stratégique pour les Balkans occidentaux (c’est-à-dire, les Etats des Balkans non-membres de l’UE), porte d’entrée Est de l’Europe. Il est à noter que presque l’intégralité de ces Etats sont des candidats officiels à l’Union européenne à l’exception de la Bosnie-Herzégovine qui n’a que déposé sa candidature et du Kosovo qui n’est qu’un candidat potentiel. Néanmoins, cette situation traduit l’étroite relation économique, politique et diplomatique qui existe entre l’UE et les Balkans occidentaux. Par ailleurs, cela sous-entend que même en ce qui concerne les pays du 17+1 qui ne sont pas membres de l’UE, la stratégie chinoise de rapprochement dans cette région vient s’entrechoquer avec la stratégie européenne. Or, on s’aperçoit qu’au lieu d’être complémentaires et de « coexister pacifiquement », ces deux stratégies tendent plutôt à s’affronter.

Le cas Serbe
Un exemple concret est celui de la Serbie, candidat officiel pour devenir membre de l’Union européenne, qui a beaucoup fait parler d’elle ces dernières années pour ses tendances pro-russes et pro-chinoises. La Serbie est un pays qui a un besoin important d’investissements et de construction d’infrastructures, d’où un certain enthousiasme de sa part envers l’aide et la coopération proposées par la Chine.
Ainsi, depuis 2009, la Chine et la Serbie se sont intensément rapprochées et au cours des années, la Serbie a été réceptrice d’un grand nombre de projets financés par la Chine. La raison qui explique cela est bien entendu les bonnes relations sino-serbes, mais aussi, comme mentionné précédemment, l’avantage qu’offre l’absence de nécessité de conformité aux normes européennes ce qui rend la mise en place de projets en Serbie plus facile que dans d’autres pays du 17+1. La Serbie est donc un réel allié de la Chine en Europe et ce partenariat dépasse les simples investissements dans le domaine de l’infrastructure puisque la Serbie collabore aussi avec la Chine sur le plan universitaire où on peut citer l’exemple de l’ouverture d’une antenne de l’Université Fudan à Belgrade. Puis, il y a eu un fort rapprochement des deux pays lors de la pandémie de la Covid-19 où la Serbie a été le premier pays européen à reconnaître et utiliser le vaccin chinois sur sa population.
A cette époque, il y a eu une réelle volonté du gouvernement serbe d’adopter une communication pro-chinoise et anti-européenne. La Serbie faisait donc l’éloge de la Chine et de l’aide qu’elle apportait en envoyant des vaccins chinois en Serbie, tout en critiquant le manque de soutien de la part de l’UE, quand bien même la Banque d’investissement européenne avait débloqué plus de 200 millions d’euros pour le fond de développement de la Serbie afin d’aider la relance économique du pays après la pandémie et augmenter sa résilience, de même qu’à travers Team Europe, l’UE avait financé l’emploi de médecins qualifiés et autres techniciens médicaux, ainsi que l’achat de matériel médical comme des masques ou des appareils respiratoires afin d’aider les hôpitaux serbes. Cet exemple montre l’instrumentalisation politique de ces deux stratégies européenne et chinoise en Serbie. Ici, il s’agissait plutôt de la Serbie qui jouait de cette opposition, mais il est aussi arrivé que cette concurrence se retourne contre la Serbie, comme ce fut le cas plus tôt cette année, en avril 2022, quand la Serbie a reçu une livraison de matériel militaire chinois qui a suscité de vives réactions en Europe à cause du statut de la Serbie comme candidat officiel à l’UE. L’Allemagne s’était notamment exprimée en disant qu’elle s’attendait « à ce que les candidats mettent leur politique de défense en accord avec celle de l’Union européenne ». La coopération militaire sino-serbe, et de manière plus générale, la relation privilégiée de la Serbie avec la Chine apparaissent comme incompatibles sur certains domaines avec un rapprochement avec l’Europe et le travail de conformité aux valeurs européennes demandé à la Serbie en tant qu’Etat officiellement candidat à l’UE, bien que la relation de la Serbie avec la Chine est loin d’être la seule raison et la raison la plus importante qui bloque l’accès de la Serbie à l’Union européenne.




Le soutien de la Serbie envers la Russie crée aussi des tensions avec l’UE, la Russie est d’ailleurs un autre point sur lequel certains pays du 17+1 ont des avis différents et que la Chine a peut-être trop négligé. La Chine n’a pas assez prise en compte le sentiment de menace que certains pays du 17+1 ressentaient par rapport à la Russie, notamment les Etats Baltes qui ont toujours eu une position très ferme envers cette dernière. L’invasion russe en Ukraine et la position ambiguë de la Chine ont donc provoqué des effets négatifs avec un rapprochement de certains pays comme les pays baltes et la Pologne vers les Etats-Unis et une accumulation de mécontentement à chaque fois que la Chine est soupçonnée de soutenir la Russie.
Le 17+1 n’est plus dans la situation la plus favorable. Cela ne veut pas dire que la Chine compte abandonner cette région du monde, mais qu’elle va devoir redoubler d’efforts si elle souhaite rendre ce format plus efficace. Actuellement, les perspectives d’évolution de la relation Chine-UE semblent aussi bloquées à l’Est qu’à l’Ouest.
En outre, on peut mentionner l’annonce de la visite d’une délégation du Comité du Parlement européen sur le commerce international à Taïwan du 19 au 21 décembre. Cette rencontre vise à accroître la coopération et les relations commerciales entre l’UE et Taïwan. Bernd Lange, le Président du comité, a notamment partagé que le comité réfléchissait à la signature d’un accord d’investissement entre l’UE et Taïwan. Cette position contraste nettement avec les difficultés que rencontrent la Chine et l’UE à propos du CAI et aux accusations récentes du comité envers les agressions commerciales grandissantes de la Chine. En tout cas, cette visite devrait susciter de larges réactions en Chine, ce qui, une fois de plus, ne va pas dans le sens d’une amélioration des relations Chine-UE.

Par Clara Herb, Analyste stagiaire auprès de l’OFNRS, en charge notamment de la veille « La Chine et le Monde »