Le 1er juillet 1997, la bannière rouge aux étoiles jaunes flottait à Hong Kong en lieu et place de l’Union Jack, scellant officiellement le retour de cette Région Administrative Spéciale (RAS) dans le giron de la République Populaire de Chine (RPC). Cette pleine intégration de Hong Kong à la RPC est la conclusion de vingt-cinq années de préparatifs à la rétrocession, mais vient aussi conclure cent cinquante-six années de souveraineté britannique sur ce territoire. Les leviers politiques, sociaux et géostratégiques ont été sollicités pour conclure cette rétrocession, tout comme les leviers économiques.

Historiquement, le territoire hongkongais a toujours servi, pour l’Empire du Milieu, de fenêtre sur le monde extérieur, de « zone tampon » avec l’Occident. C’est en effet en partie par cette zone que dès le XIXème siècle, nombre de chinois se sont initiés aux mécanismes du commerce moderne. Depuis le milieu des années 1970, et l’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping, les liens économiques entre Hong Kong et le continent chinois se sont renforcés, la colonie britannique étant le point d’entrée des investissements occidentaux vers l’Empire du Milieu depuis les années 1980. Pour la République Populaire de Chine, avant même la rétrocession de Hong Kong, l’objectif était de maintenir et promouvoir le développement de ce territoire en tant que centre financier et commercial.

Cette progressive interpénétration économique entre le continent et le territoire hongkongais est passée, dès le lancement en 1979 de la politique d’ouverture initiée par Deng Xiaoping, par un processus d’intégration régional entre Hong Kong et la région du delta de la Rivière des Perles. Fort de cet héritage, à l’annonce de la rétrocession future de la colonie britannique à la Chine au début des années 1980, l’instauration d’un véritable pont économique entre le continent chinois et Hong Kong devenait inévitable, l’accent devant être mis sur une intensification des liens commerciaux entre les deux parties[1], grâce notamment au développement de projets d’infrastructures qui ont vu le jour dès 1994[2]. Hong Kong devait devenir à terme le hub logistique de la Chine, la plateforme tant attendue d’ouverture sur le monde[3].

Aéroport de Hongkong dans les années 90

Cette anticipation dans l’intégration économique de Hong Kong à la Chine répond à des enjeux économico-financiers non négligeables. En effet, la bourse de Hong Kong était devenue la deuxième bourse en Asie après Tokyo en termes de capitalisation, et est devenue une source importante de financement pour les projets chinois. La Chine souhaitait donc bénéficier des ressources financières, des facilités de transports et de télécommunications mais surtout de l’expertise en matière de commerce international de Hong Kong. Au lendemain de la rétrocession, la Chine et Hong Kong étaient considérées comme des places fortes de l’économie mondiale. Cependant, la région asiatique fut secouée par deux crises majeures, avec la crise financière asiatique de 1997 et avec les conséquences économiques de la crise sanitaire du SRAS (Syndrome Respiratoire Aigu Sévère lié au coronavirus). Face à ces nombreux défis, un des leviers économiques ayant permis à la Chine de maintenir la bonne santé économique de la RAS fut la participation de la province du Guangdong à l’ancrage continental de l’économie de Hong Kong.

En effet, par une intégration croissante de Hong Kong à la Chine continentale, les entreprises hongkongaises ont pu compter sur des délocalisations et des partenariats fiables avec les responsables chinois de cette province, Hong Kong s’imposant comme le troisième partenaire de la région du delta de la rivière des Perles. De plus, il a fallu pour le gouvernement central accentuer l’interpénétration des économies chinoises et hongkongaises afin de consolider les bases économiques de Hong Kong. Cela est passé par un plus large soutien au développement de la coopération économique et commerciale entre le continent et les Nouveaux Territoires, plus précisément avec les provinces continentales, les régions autonomes et les municipalités relevant directement du gouvernement central, en particulier la province du Guangdong. L’un des exemples les plus frappants de cette accentuation de l’interdépendance entre les deux parties, fut la signature fin juin 2003 de l’accord CEPA (Closer Economic Partnership Agreement), à l’occasion du premier voyage officiel à Hong Kong du nouveau premier ministre chinois Wen Jiabao[4].

Wen Jiabao, Premier ministre de 2003 à 2013

Néanmoins, il semble important de rappeler que cette volonté d’intégration économique a entrainé de nombreux déséquilibres entre la Chine et la région administrative spéciale de Hong Kong. On pense notamment à une hausse du chômage du fait d’un changement structurel de l’économie hongkongaise, au déséquilibre des flux de voyageurs et de ressources humaines entre la partie continentale et insulaire, mais aussi à la question du logement qui est devenue au fil des années de plus en plus problématique à Hong Kong. Afin de contrecarrer ces déséquilibres, un accroissement de la coopération entre gouvernement central et gouvernement hongkongais était nécessaire, notamment par le biais de l’Initiative des Nouvelles Routes de la Soie lancée en 2013 par Xi Jinping. Dans ce cadre, il est légitime de se poser la question suivante : l’Initiative chinoise des Nouvelles Routes de la Soie a-t-elle permis à la Chine et à Hong Kong de donner un nouveau souffle à leur coopération économique et politique depuis 2013 ?

Vers une progressive intégration de la Région Administrative Spéciale de Hong Kong dans l’Initiative des Nouvelles Routes de la Soie : 2013-2016

Une initiale mise à l’écart de Hong Kong dans l’Initiative des Nouvelles Routes de la Soie…

A la suite du discours du président chinois Xi Jinping en décembre 2013 à l’université du Kazakhstan, consacrant la mise en place à long terme de l’Initiative des Nouvelles Routes de la Soie, il semblait logique, sur la base de l’interdépendance économique croissante entre la partie continentale chinoise et la Région Administrative Spéciale de Hong Kong que cette-dernière soit partie intégrante à ce projet. En réalité, cette évidence fut contrecarrée dans un premier temps par la volonté gouvernementale chinoise de déplacer le centre de gravité économique de la Chine, des « marges » de l’Empire vers sa partie continentale. En effet, au cours de la première décennie du XXIème siècle, la ville de Shanghai a connu une croissance économique sans précédent[5]. Historiquement, cette ville portuaire de la côte Est chinoise a été conçue pour faire concurrence à moyen terme au « port parfumé » de Hong Kong d’un point de vue financier[6], alors que la ville de Shenzhen dans le sud de la Chine a elle été conçue pour faire concurrence à cette ancienne colonie britannique sur le plan commercial.

Cette historique concurrence a été retranscrite dans le cadre de cette Initiative des Nouvelles Routes de la Soie, la volonté gouvernementale chinoise en 2013 étant d’intégrer dans ce projet le nouveau district maritime de Shenzhen, Qianhai, au détriment de la ville de Hong Kong[7]. En effet, ce district maritime de Qianhai, au sud de Shenzhen, participe depuis 2013 à la stratégie d’ancrage de l’économie de Hong Kong à la partie continentale chinoise. Officiellement, ce district « a été conçu pour faciliter la coopération entre la Région administrative spéciale (RAS) de Hong Kong et la partie continentale de la Chine ».[8] Tout en s’insérant dans le projet de développement de la Région de la Grande Baie Guangdong-Hong Kong-Macao, ce district a pour objectif de « tirer parti des avantages de Hong Kong en matière d’innovation financière et de technologie de pointe »[9]. Bien qu’étant initialement mise à l’écart, cette concurrence « saine » entre la ville de Shenzhen et la RAS de Hong Kong devait à terme permettre à Hong Kong de jouer un rôle pivot dans le développement de Shenzhen en lui fournissant des capitaux, des technologies et des expériences de gestion, alors qu’à l’inverse, l’essor de Shenzhen devait consolider la position de Hong Kong en tant que pôle mondial de la finance et du commerce.

Par conséquent, au lendemain de l’annonce par le président chinois de cette Initiative chinoise des Nouvelles Routes de la Soie, force est de constater que Hong Kong n’occupait pas une place singulière dans cette initiative, mais devait être intégré par le biais de coopérations régionales à l’ensemble continental de la Chine, afin de participer indirectement à cette initiative mondiale.

… contrebalancée par la volonté politique et économique hongkongaise d’être partie prenante à ce projet

Cependant, malgré une ponctuelle mise à l’écart de la région administrative spéciale de Hong Kong dans l’Initiative des Nouvelles Routes de la Soie, le gouvernement et la société civile hongkongaise ont cherché dès la fin de l’année 2015 et le début de l’année 2016 à attirer le regard du gouvernement central chinois afin d’occuper, à terme, une place singulière dans ce projet. A cette fin, la RAS de Hong Kong a cherché à mettre en avant son expérience, ainsi que sa place omnipotente à l’international comme atouts majeurs d’une pleine intégration à ce projet. Les dirigeants et acteurs privés hongkongais ont en effet souhaité réaffirmer leur rôle d’interface historique entre la Chine et le reste du monde, tout en souhaitant bénéficier à terme des nouvelles opportunités offertes par cette initiative aussi bien par la voie maritime que la voie terrestre, d’autant plus que les prérogatives données jusqu’ici à la RAS de Hong Kong étaient imprécis.

En effet, le document officiel daté du 8 avril 2015, publié conjointement par le Ministère des Affaires étrangères chinois, le Ministère du Commerce et la Commission nationale du Développement et de la Réforme, soulignait la volonté centrale chinoise d’inclure progressivement la Région Administrative Spéciale de Hong Kong dans ce projet, en l’ancrant à l’aire régionale rassemblant le Guangdong, la RAS de Hong Kong et la RAS de Macao[10]. Cependant, ce document, intitulé « Construire ensemble la Ceinture économique de la Route de la Soie et la Route de la Soie maritime du XXIe siècle : Perspectives et actions » restera en ce mois d’avril 2015 relativement flou quant au rôle que devra à l’avenir jouer Hong Kong dans cette initiative : « Elle (la Chine) fera jouer le rôle particulier des Chinois d’outre-mer ainsi que des régions administratives spéciales de Hong Kong et de Macao dans la construction de la Ceinture et de la Route, et adoptera des mesures appropriées pour favoriser la participation de la région de Taïwan à la construction du projet. »[11].

Afin de faire avancer ce projet d’intégration, le gouvernement hongkongais a, peu à peu, rappelé ses avantages, conférés par son statut juridique unique. En effet, cette Région Administrative Spéciale peut compter sur sa connaissance de l’outil de financement PPP (Partenariat Public Privé), Hong Kong ayant participé par le passé au financement d’autoroutes et de centrales électriques en Chine continentale par l’intermédiaire de ces partenariats. De plus, cette région administrative spéciale possède des compétences pour lever des capitaux en dollars ou en devise chinoise, en s’appuyant sur un réseau d’acteurs et d’experts internationaux déjà présents sur son territoire. En ayant pour objectif d’être pleinement intégré à terme dans cette Initiative des Nouvelles Routes de la Soie, Hong Kong souhaiterait s’imposer comme une « plateforme de connexion » et d’interaction pour des acteurs économiques étrangers à la recherche d’opportunités en termes de coopération économique avec la Chine. Fort de son statut juridique unique au monde, sous le concept « un pays, deux systèmes », Hong Kong a fait de son autonomie budgétaire et fiscale un atout, lui ayant permis de s’imposer comme le quatrième centre financier à l’échelle internationale en 2016. Enfin, face aux enjeux logistiques futures qu’engendreront la mise en place de cette Initiative Nouvelles Routes de la Soie, Hong Kong a pu mettre en avant sa position de hub logistique international. La Région administrative Spéciale de Hong Kong était en effet classée à la cinquième place des ports de conteneurs au monde, et à la première place des aéroports de fret en 2016. En tant que plaque tournante financière, commerciale, maritime et logistique, mais aussi en tant que centre de premier plan pour les services juridiques internationaux et le règlement des différends en Asie-Pacifique, la Chine ne pouvait donc se passer à première vue de ces atouts pour promouvoir à l’international son initiative.

Par conséquent, les années 2015-2016 se sont imposées pour Hong Kong comme une période charnière afin de se positionner définitivement dans l’Initiative chinoise des Nouvelles Routes de la Soie. Les arguments présentés par la RAS de Hong Kong à la Chine ont en effet convaincu les plus hautes instances de l’État chinois. Pour preuve, dans son discours prononcé le 18 mai 2016 à l’occasion du premier sommet « la Ceinture et la Route » organisé à Hong Kong, le président du Comité permanent de l’Assemblée populaire nationale, Zhang Dejiang, a eût ces mots : « Ce sommet à lieu à Hong Kong non seulement parce que Hong Kong est une région administrative spéciale de la Chine, mais aussi parce que c’est un lien clé pour la ceinture et la route. »[12]. A la suite de ces mots, Zhang Dejiang apportera des précisions quant au devenir de Hong Kong dans cette initiative en se basant sur les avantages de la RAS préalablement cités[13].

Une pleine intégration de la RAS de Hong Kong dans l’Initiative mondiale des Nouvelles Routes de la Soie : 2016-2019

Suite à ce premier pas du gouvernement central chinois en faveur d’une intégration de la Région Administrative Spéciale de Hong Kong à l’Initiative des Nouvelles Routes de la Soie, la période 2016-2019 va consacrer la pleine participation de la RAS au projet chinois.

Après la signature de l’accord CEPA en 2003, Hong Kong et la Chine continentale ont poursuivi leur rapprochement d’un point de vue économique, confortant d’autant plus la position singulière de Hong Kong dans le projet des nouvelles Routes de la Soie. En effet, plusieurs protocoles additionnels à ce CEPA entre la Chine et Hong Kong ont été signés. On pense notamment à l’accord sur la libéralisation du commerce des services signé en novembre 2015, entré en vigueur en juin 2016, qui offre un accès préférentiel au marché chinois aux détenteurs d’un certificat de « fournisseur de services de Hong Kong », définis comme les entreprises ayant des « activités commerciales importantes » ; ou bien encore à l’accord subsidiaire au CEPA portant sur l’investissement dans le domaine industriel, signé en juin 2017, entré en vigueur au 1er janvier 2018, qui est le premier accord signé par la Chine offrant un traitement national préférentiel à des investisseurs étrangers passés par Hong Kong.

Pour Hong Kong, l’objectif final recherché est clair, il s’agit d’approfondir son rôle d’interface commerciale entre la République Populaire de Chine et le reste du monde. A cet égard, le gouvernement central a rappelé le 18 mai 2016 son souhait de soutenir Hong Kong dans quatre domaines clés[14] :

  • La construction d’une plateforme de services complets (services de comptabilité, de conception, de conseil, d’aide à la compréhension des instruments juridiques internationaux et de règlement des différends ; développement d’une industrie maritime à haute valeur ajoutée ; construction d’un centre d’expédition multifonctionnel d’un point de vue maritime).
  • Faciliter les flux de capitaux et promouvoir l’internationalisation du RMB (RMB offshore ; assistance de Hong Kong en matière d’investissement, de financement, de gestion d’actifs ou d’assurance).
  • Promouvoir les échanges culturels : encourager les associations professionnelles, les groupes sociaux, les groupes de réflexion et autres organisations de Hong Kong à organiser des recherches, des promotions, des formations, des voyages d’étude en lien avec l’Initiative chinoise des Nouvelles Routes de la Soie.
  • Approfondir la coopération avec le continent chinois (provinces de l’intérieur, municipalités, régions autonomes et provinces côtières).

Une pleine intégration nécessaire et voulue par les décideurs chinois…

Fort de ces premières déclarations quant au devenir de Hong Kong dans l’Initiative chinoise des Nouvelles Routes de la Soie, le président chinois Xi Jinping, à l’occasion du vingtième anniversaire de la rétrocession de la RAS de Hong Kong à la RPC le 1er juillet 2017, promulgua en personne le plan d’intégration régionale de la « Grande Baie » (« Hong Kong-Macao-Guangdong Greater Bay Area »), après que le Premier ministre Li Keqiang l’ait officiellement mentionné en mars 2017.

Le pont reliant Zhuhai à Hong Kong et Macao de Chine

Ce projet, inscrit dans le 13ème plan quinquennal chinois (2016-2020), a pour objectif d’accélérer la croissance économique du Sud de la Chine en créant une synergie entre les RAS de Hong Kong et de Macao ainsi que les principales municipalités de la province du Guangdong. Cet accord-cadre, faisant écho à l’historique volonté d’accroissement des échanges entre la région du delta de la Rivière des Perles[15], a été signé par les gouvernements respectifs de la province du Guangdong et des deux régions administratives spéciales concernées. Il entraîne une spécialisation des différentes régions au regard de leurs avantages comparatifs : la RAS de Hong Kong dans le secteur des services professionnels et financiers, Shenzhen dans le secteur des technologies de pointe et de l’innovation, la RAS de Macao dans le secteur du divertissement, puis Dongguan et Guangzhou dans le domaine des industries manufacturières. Cette spécialisation a servi de base à l’intégration progressive et spécifique de ces différentes localités dans l’Initiative des Nouvelles Routes de la Soie.

Par ailleurs, la Région Administrative Spéciale de Hong Kong est devenue membre-souverain de la Banque asiatique d’investissements dans les infrastructures (AIIB) sous l’appellation ‘Hong Kong, China’, le 13 juin 2017. L’accord définitif de participation de la RAS de Hong Kong à cette initiative chinoise, intitulé « Arrangement entre la Commission nationale du développement et de la réforme et le gouvernement de la Région administrative spéciale de Hong Kong pour faire progresser la pleine participation et la contribution de Hong Kong à l’initiative ‘la Ceinture et la Route’ » a quant à lui été signé en décembre 2017 entre le gouvernement hongkongais et la Commission Nationale pour la Réforme et le Développement chinoise, entraînant la mise en place d’un dialogue bilatéral annuel (« Joint Conference Mechanism ») entre la Chine continentale et la RAS de Hong Kong. Par cet accord, Hong Kong se voit conférer un rôle officiel dans les domaines de l’émission d’obligations vertes, des services à haute valeur ajoutée dans le transport maritime et dans les services d’arbitrage et de règlement des différends.

… et appliquée à l’échelle locale par les acteurs politiques et privés hongkongais

Après cette exposition par les décideurs chinois des grandes orientations à suivre pour la RAS de Hong Kong en vue de son intégration à l’Initiative des Nouvelles routes de la Soie, les acteurs politiques et privés hongkongais se sont engagés, dès 2016, dans la mise en place de structures répondant aux exigences chinoises.

Comme nous l’avons souligné, le Convention and Exhibition Center a accueilli le 18 mai 2016 le premier sommet « la Ceinture et la Route » organisé par le gouvernement de la RAS de Hong Kong et le Conseil de développement du commerce de Hong Kong, en présence de Zhang Dejiang. Au lendemain de ce sommet, les acteurs du gouvernement et de la société civile hongkongaise ont pris un certain nombre de mesures afin de mettre en application les directives centrales. On peut penser à la création du bureau ‘One Belt One Road’ au sein de l’administration hongkongaise, à la création une plateforme de financement au sein de l’autorité monétaire de Hong Kong (HKMA), à la mise en place en août 2016 d’un « bureau OBOR », ou à la création en mai 2017 de l’association « Maritime Silk Road Society » qui avait pour fonction principale de soutenir le volet maritime des Nouvelles Routes de la Soie.

Par ailleurs, après l’organisation de ce premier sommet[16], deux nouvelles éditions ont eu lieu le 11 septembre 2017[17] et le 28 juin 2018[18], éditions au cours desquelles le gouvernement hongkongais a souhaité réaffirmer son rôle de « super-connecteur » entre la Chine et le reste du monde, grâce à son ancrage régional avec les provinces du sud de la Chine. A ce sujet, au-delà de la poursuite de ses échanges avec la province du Guangdong, le gouvernement hongkongais a participé le 11 mai 2018 à Chengdu, à la première conférence de coopération Hong Kong- Sichuan, dont un volet concernait la coopération de ces deux régions sur des projets labellisés « Belt and Road ». Enfin, à une échelle plus large, un accord de libre-échange entre Hong Kong et les pays de l’ASEAN a été signé en novembre 2017, accord qui, après son entrée en vigueur le 1er janvier 2019, a permis l’élimination progressive des droits de douane, et une réduction des obstacles aux échanges de services dans les secteurs de la finance et du tourisme.

De 2016 à 2019, la RAS de Hong Kong a donc fait son entrée progressive dans le projet chinois des nouvelles routes de la soie. Cette avancée significative a permis à Hong Kong d’étendre son rayonnement en Chine, en Asie du Sud-Est mais aussi à l’international, comme le montre le développement de bureaux économiques et commerciaux à travers le monde[19].

Un contexte international troublé remettant en cause la pleine intégration de Hong Kong dans cette initiative inclusive chinoise : 2019-2022

Malgré cette intégration pleine et effective de Hong Kong au sein de l’Initiative chinoise des Nouvelles Routes de la Soie à la veille de l’année 2019, des facteurs sociétaux, politiques et sanitaires internes ou externes à la Région Administrative Spéciale de Hong Kong sont venus remettre en cause cette avancée significative de 2019 à 2022.

Remise en cause par des facteurs sociétaux, politiques et sanitaires

Bien que les tensions entre la société civile hongkongaise et le gouvernement central chinois, ne sont pas nouvelles en 2019, à l’image du mouvement des Parapluies en 2014, la RAS de Hong Kong a connu à partir de l’été 2019 un regain de tensions. En effet, la mobilisation d’une partie des Hongkongais à l’été 2019, contre le projet de loi d’extradition vers la Chine mais aussi contre le gouvernement de la RAS de Hong Kong, accusé d’être aux mains de Pékin, a initié un nouveau mouvement de révoltes. La nouvelle loi présentée et imposée le 30 juin 2020 ; le report d’une année des élections législatives prévues pour septembre 2020 ou encore les arrestations depuis janvier 2021 de nombreux militants « prodémocratie » accusés « d’incitation à la subversion » ont compliqué une situation déjà explosive.

Or, face à ces débordements, le regard international s’est peu à peu tourné sur l’île de Hong Kong, l’île de Kowloon mais aussi sur les Nouveaux Territoires, faisant de ce regain de tensions un enjeu non plus uniquement national, mais aussi international voir global. Par la mise en lumière de ces tensions sociétales, les investisseurs étrangers ont peu à peu déserté cette région administrative spéciale. La cheffe de l’exécutif hongkongais, Carrie Lam, a d’ailleurs souhaité rassurer ces investisseurs, lors de son discours d’ouverture à la quatrième édition du sommet de l’Initiative des Nouvelles Routes de la Soie à Hong Kong, le 11 septembre 2019 : « Mesdames et Messieurs, il est certain que nous sommes confrontés à des défis importants, qu’il s’agisse du conflit commercial persistant entre la Chine continentale et les États-Unis ou des récents troubles sociaux à Hong Kong. En ce qui concerne Hong Kong, mon espoir le plus cher est que nous puissions combler notre fossé. En défendant fermement le principe “Un pays, deux systèmes” et la loi fondamentale, et grâce aux efforts concertés du gouvernement et du peuple de Hong Kong, nous pouvons retrouver le chemin de la discussion raisonnée, de la stabilité sociale essentielle à la stabilité, à la prospérité et au bien-être à long terme de nous tous. Je suis convaincu que nous pouvons y parvenir. Hong Kong, après tout, a été construite et reconstruite, maintes et maintes fois, grâce à notre indomptable résilience. Appelez cela l’esprit de Hong Kong, et sachez qu’il nous permettra de tenir bon. Il nous permettra également de trouver notre place – et de vous aider à trouver la vôtre – le long de la Ceinture et la Route. »[20].

Pour ne rien arranger, dix-huit années après l’émergence de l’épidémie de SRAS, l’épidémie de la Covid-19 a fait son apparition dans la province du Hubei à Wuhan en décembre 2019. Certes cette pandémie a mis en suspens les tensions sociétales exposées précédemment, tout rassemblement de plus de quatre personnes ayant été interdit pour raison sanitaire, mais dans un monde de plus en plus globalisé, c’est bien l’ensemble des échanges commerciaux et financiers à l’échelle mondiale qui ont eux aussi été suspendus, fragilisant une fois de plus la RAS de Hong Kong.  L’initiative des Nouvelles Routes de la Soie n’a pas échappé à la règle, la majorité des projets à travers le monde étant suspendus. Là encore, l’incertitude généralisée qui primait à l’aune de cette pandémie a été souligné par Carrie Lam, à l’occasion de son discours d’ouverture de la cinquième édition du sommet des Nouvelles Routes de la Soie, le 30 novembre 2020 : « Cette année est une année très différente pour nous tous, et le monde est dans un endroit très différent. Le recul de la mondialisation et la montée de l’unilatéralisme, ainsi que la pandémie de COVID-19 et les turbulences économiques qui en ont résulté, nous ont fait payer un lourd tribut, ici à Hong Kong et dans le monde entier. Alors que les événements se déroulent encore, de nombreuses conséquences sont devenues claires. Il s’agit notamment d’une restructuration des canaux de production et de distribution, de chaînes d’approvisionnement plus courtes, d’un approvisionnement plus proche de la côte et d’un environnement commercial général caractérisé par une incertitude généralisée. Bref, les défis sont partout, et le “changement” est devenu le nouveau mot d’ordre. »[21].

État des lieux et perspectives futures en 2022

Par conséquent, les troubles sociétaux qu’a connu la Région Administrative Spéciale de Hong Kong de 2019 à 2021, entraînant des tensions entre le gouvernement central et le gouvernement de la RAS, ainsi que les conséquences de la pandémie de la Covid-19, ont freiné le développement de Hong Kong dans cette initiative chinoise. Néanmoins, conformément aux déclarations de Carrie Lam, l’heure était au « changement », changement qui doit se concrétiser par une plus nette et plus large participation de Hong Kong à l’Initiative des Nouvelles Routes de la Soie.

Pour Carrie Lam, le 30 novembre 2020, l’Initiative des Nouvelles Routes de la Soie « devrait être un moteur majeur de l’économie mondiale après la pandémie ». Par ces mots, l’actuelle cheffe de l’exécutif entend bien fermer définitivement le chapitre tumultueux qu’a connu Hong Kong depuis trois années, sur fond de tensions sociétales et sanitaires. L’objectif pour la région administrative Spéciale de Hong Kong était clair : poursuivre l’intégration et accroître le rôle de la RAS de Hong Kong dans l’initiative des Nouvelles Routes de la Soie à l’échelle locale, régionale et internationale. Pour cela, Hong Kong a notifié à la fin 2020 son désir d’intégrer le “Regional Comprehensive Economic Partnership” (RCEP), en tant que plus grande pacte commercial au monde[22]. Ce désir d’intégration est encore d’actualité en 2022, Hong Kong ayant déjà signé des accords de libre-échange avec 13 des 15 nations fondatrices de cet accord.

Le 1er septembre 2021, à l’occasion du sixième sommet des Nouvelles Routes de la Soie[23], le gouvernement hongkongais a par ailleurs réaffirmer son désir d’approfondissement des échanges et de coopération multisectorielle avec la région de la Grande Baie pour l’année à venir. En effet, avec une population d’environ 86 millions d’habitants et un PIB cumulé d’environ 1,7 milliards de dollars américains, cette région de la Grande Baie présente un potentiel non négligeable de développement pour Hong Kong et les entreprises qui y travaillent. La RAS souhaite en effet s’imposer comme une porte d’entrée pour les investisseurs de cette région et, dans un cadre plus large, pour les investisseurs de l’Initiative des Nouvelles Routes de la Soie, en faisant valoir ses atouts traditionnels dans les domaines de la finance, du transport, du commerce, des services juridiques et de règlement des différends. Par une connectivité plus étroite avec cette neuvième plus grande place économique au monde (pont Hong Kong-Zhuhai-Macao ou liaison ferroviaire express Guangzhou-Shenzhen-Hong Kong), Hong Kong souhaite poursuivre son ancrage au continent chinois afin que la RAS de Hong Kong s’impose à terme comme un acteur incontournable de l’initiative mondiale chinoise.

Finalement, après neuf années de démarches visant une intégration pleine et effective de la RAS de Hong Kong à l’Initiative Chinoise des Nouvelles Routes de la Soie, Hong Kong s’impose comme un acteur majeur de ce projet à travers le monde. En tant que « super-connecteur » entre la Chine et le reste du monde, Hong Kong a participé ou est engagé en 2022 dans 67 projets labellisés « Belt and Road » dans le Sud-est de l’Asie, au Moyen Orient, en Asie-Centrale, en Asie du Nord, en Europe ou encore en Afrique. Les compagnies hongkongaises ont en effet su s’imposer comme des acteurs incontournables en termes de financement, de conseil, de management ou encore de maîtrise d’œuvre à travers le monde, renforçant un peu plus l’impact de cette initiative chinoise à travers le monde.


Par Florian Roddier, Analyste stagiaire, en master II géostratégie, Défense et sécurité internationale au sein de l’IEP d’aix-en-Provence


[1] Multiplication par 43 du volume d’échanges entre le continent chinois et la colonie britannique de 1979 à 1994 et multiplication par 20 du nombre de camions de marchandises traversant la frontière chaque jour entre 1984 et 1994.

[2] On pense à l’inauguration du nouvel aéroport de Chek Lap Kok le 6 juillet 1998, au développement de la ligne ferroviaire Pékin-Canton-Hong Kong, au doublement de la ligne ferroviaire Hong Kong-Canton, ou encore à l’aménagement des ports de Shenzhen, Zhuhai et Nansha situés sur l’estuaire de la Rivière des Perles.

[3] En 1993, 88% des réexportations du territoire hongkongais étaient liées directement au commerce avec la Chine populaire.

[4] A partir du 1er janvier 2004, 273 catégories de produits d’origine hongkongaise furent dispensés de droits de douanes à leur entrée en Chine continentale (horlogerie, bijouterie, textile, habillement, chimie, pharmacie, cosmétiques, industries électrique et électronique). A partir du 1er janvier 2006, l’ensemble des exportations de produits d’origine hongkongaise étaient dispensées de droits de douanes.

[5] En 2011, Shanghai contribuait à hauteur de 4,2% du PIB chinois, les ports shanghaiens accueillant 8,1% du flot de cargos total du pays, la valeur des imports et exports de la ville représentant 12,4% du total national. (Yang, Zhenwu, Xin Qiu et Zhixiong Wang. 2011. Shanghai Basic Facts 2011. Shanghai : Information Office of Shanghai Municipality)

[6] Bien que la structure économique de Shanghai fût surtout orientée vers le secteur tertiaire et le secteur secondaire, le domaine des services s’est particulièrement développé dans les années 2000, la finance occupant 11,4% de l’économie shanghaienne en 2011, alors qu’à titre de comparaison, la vente au détail représentait 14,9% et l’immobilier 6,2%. (Yang, Zhenwu, Xin Qiu et Zhixiong Wang. 2011. Shanghai Basic Facts 2011. Shanghai : Information Office of Shanghai Municipality).

[7] Astarita, Claudia, et Isabella Damiani. « Géopolitique de la nouvelle route de la soie », Géoéconomie, vol. 79, no. 2, 2016, p. 79.

[8] http://french.china.org.cn/business/txt/2020-10/15/content_76809419.htm

[9] L’article précédemment cité souligne qu’en octobre 2020, “quelque 1200 entreprises hongkongaises ont établi des unités commerciales dans la zone pilote”, selon les déclarations de Matthew Cheung Kin-chung, le premier secrétaire de l’Administration hongkongaise. Il ajoute que “de nombreux entrepreneurs de Hong Kong ont adopté la stratégie des ‘villes jumelées’, déplaçant une partie de leur R&D et de leur production à Shenzhen pour tirer parti de la chaîne industrielle complète de la ville et de sa proximité avec un marché de 1,4 milliard de consommateurs.”

[10] « En mettant pleinement en valeur le rôle des zones de l’ouverture et de la coopération de Qianhai à Shenzhen, de Nansha à Guangzhou, de Hengqin à Zhuhai et de Pingtan au Fujian, la Chine approfondira sa coopération avec Hong Kong, Macao et Taïwan afin de créer la grande zone Guangdong-Hong Kong-Macao. » https://www.mfa.gov.cn/ce/cefr//fra/zfzj/t1252768.htm

[11] https://www.mfa.gov.cn/ce/cefr//fra/zfzj/t1252768.htm

[12] https://www.beltandroad.gov.hk/important-speeches_20160518.html

[13] Zhang Dejiang a fait référence aux avantages suivants : “avantages de l’emplacement de Hong Kong”, “avantages en tant que précurseur de l’ouverture et de la coopération”, “avantages des services professionnels” et “avantages tirés des interactions culturelles et interpersonnelles”. https://www.beltandroad.gov.hk/important-speeches_20160518.html

[14]https://www.beltandroad.gov.hk/important-speeches_20160518.html

[15] Ce projet s’inscrit plus largement dans la continuité des investissements massifs réalisés par Hong Kong dans le sud de la Chine, où elle a délocalisé l’immense majorité de ses activités industrielles dans les années 1980.

[16] Ce sommet annuel rassemble de hauts responsables gouvernementaux, des représentants d’organisations internationales et des chefs d’entreprises de pays ou régions concernées par l’initiative chinoise des nouvelles routes de la Soie. Ce sommet est devenu la plus grande et la plus importante plateforme de commerce, d’investissement et de mise en relation d’affaires dans le cadre de cette initiative pour les entreprises du continent, d’outre-mer et de Hong Kong.

[17] https://www.info.gov.hk/gia/general/201709/11/P2017091100442.htm

[18] https://www.info.gov.hk/gia/general/201806/28/P2018062800259.htm

[19] On note la présence de de cinq bureaux économiques et commerciaux ainsi que de onze unités de liaison de Hong Kong en Chine continentale. Par ailleurs, Hong Kong possède également treize bureaux économiques et commerciaux en Asie Pacifique, en Europe et en Amérique du Nord. De nouveaux bureaux étaient à l’étude en Inde, en Corée, en Russie et aux Émirats Arabes Unis.

[20] https://www.info.gov.hk/gia/general/201909/11/P2019091100351.htm

[21] https://www.info.gov.hk/gia/general/202011/30/P2020113000320.htm

[22] Cet accord de libre-échange concerne environ 30% de la population mondiale et représente un tiers du PIB mondial.

[23] https://www.info.gov.hk/gia/general/202109/01/P2021090100196.htm