Qualifiées d’historiques, les relations sino-algériennes remontent au temps de Mao Zedong. Parmi tous les pays maghrébins, l’Algérie occupait une place prépondérante dans la politique de la Chine qui apercevait dans le soulèvement anticolonialiste algérien une affinité avec son passé colonial. La Chine n’a donc pas cessé d’attribuer une assistance politique à l’Algérie en étant le premier pays non-arabe à reconnaître le gouvernement provisoire algérien et en soutenant la révolution algérienne sans se soucier des réactions de la France, contrairement à l’ex Union Soviétique.

« Soutenez la lutte de libération nationale de l’Algérie » – Timbre chinois 1962

Ce soutien chinois pour la cause algérienne a poussé Alger à rendre la faveur en appuyant la position de la Chine de siéger au Conseil de Sécurité en tant que membre permanent, et ce, en mobilisant les pays africains nouvellement indépendants à reconnaître la République Populaire de Chine. Par le biais de cette initiative algérienne, la Chine a pu consolider ses premières relations avec le continent africain.

Paradoxalement, c’est dès les années 1990, tandis qu’Alger abandonnait le socialisme, que les échanges entre les deux pays s’accéléraient.En effet, le basculement dans les relations internationales du politique à l’économique n’échappait pas à la relation sino-algérienne. Mais, c’est en 2014 que ces dernières ont connu un grand essor et se sont hissé du statut de partenariat stratégique, conclu en 2004, à un partenariat stratégique global.

Bien que les relations entre les deux pays soient étroites, l’Algérie n’a dévoilé son intention d’adhérer à la BRI que très récemment, en 2019. Cette incertitude d’intégrer l’initiative chinoise peut être justifiée par la stratégie de développement conduite par Alger ; celle-ci vise une autonomie économique et politique centrée sur l’exploitation et l’exportation des ressources en hydrocarbures. Cette stratégie protectionniste se traduit, actuellement, par un taux d’endettement presque nul. Economie rentière, l’Algérie s’est tournée vers son marché intérieur, plutôt que vers le marché international, avec un accroissement de la production nationale. Bien qu’il y ait eu des efforts d’ouvrir l’économie algérienne à l’international, notamment à travers les accords d’association signés avec l’UE en 2005, l’adhésion à la Zone Arabe de Libre Echange en 2009, et les négociations d’adhésion à l’Organisation Mondial du Commerce qui sont toujours à l’ordre du jour, l’Algérie semble ne pas être prête à abandonner ses mesures protectionnistes. Il est alors fort possible que cette orientation explique la frilosité algérienne à l’égard de la BRI.

Il faut noter également que la part de l’industrie manufacturière dans le Produit Intérieur Brute du pays est aux environs de 5% seulement. Cette désindustrialisation signifie que la croissance économique repose sur d’autres piliers ; Etat rentier, l’Algérie se limite aux hydrocarbures, BTP (Bâtiments et Travaux Publics), et aux services marchands.

L’Algérie est en 2019 le 16e producteur de pétrole

 Dans le secteur des hydrocarbures, la Chine y investit beaucoup, mais demeure loin derrière les entreprises occidentales. L’insertion des investisseurs chinois dans le secteur algérien des hydrocarbures découle de la loi sur les hydrocarbures de 2005 dont le but principal était d’attirer les entreprises étrangères et nationales afin d’accroître le nombre de découverte, d’explorations et de gisement en exploitation. « Si la Chine a besoin de l’Algérie pour sécuriser ses approvisionnements en hydrocarbures, l’Algérie, quant à elle, a besoin de la Chine pour participer au développement de ce secteur et trouver de nouveaux débouchés pour les produits pétroliers algériens »[1]. Les entreprises chinoises sécurisent le 4ème et 6ème rangs en termes de superficie des périmètres de recherches opérés. Tandis que la Chine monopolise près du quart (23.7%) des superficies concédées[2], les Etats-Unis trustent le tiers[3] (32.9%). Autrement dit, il y a eu clairement une préférence pour la Chine, ancien allié, mais sans remettre en question la prééminence des entreprises occidentales, notamment américaines.

Dans le secteur des BTP, la Chine a remporté la majorité des projets initiés au cours des deux dernières décennies. Dans un programme de relance économique, il s’agit pour le gouvernement algérien de mettre en place les conditions préalables au développement économique en priorisant la construction d’infrastructures de transport. Cette politique algérienne suppose également que le développement d’infrastructures et de logements soit une urgence exécutée dans les plus brefs délais. Cette orientation explique en partie l’hégémonie des entreprises chinoises au sein du secteur des BTP algérien.

En Algérie, 40 000 à 80 000 Chinois travaillent sur les chantiers

Du côté privé, nous notons une forte présence chinoise dans le secteur de l’hôtellerie à travers la construction de plusieurs hôtels tels que l’hôtel Sheraton d’Oran, d’Alger et d’Annaba, l’hôtel Renaissance de Tlemcen, l’hôtel Marriott de Constantine.

Du côté public, nous pouvons retenir l’exemple de l’autoroute Est-Ouest qui relie l’Est algérien à l’Ouest. Un projet de 1216 Km, il améliorera la connectivité intermaghrébine, facilitant ainsi le commerce entre la Tunisie, l’Algérie, et le Maroc. Nous pouvons également citer le stade olympique d’Oran, les bâtiments de la Cour Constitutionnelle et du Ministère des Affaires Etrangères, l’aéroport d’Alger, l’Opéra d’Alger, et la grande mosquée d’Alger qui est aujourd’hui la troisième plus grande mosquée au monde. Au lieu de citer une liste interminable de projets conduits par la Chine, il serait plus efficace de faire avancer des chiffres plus illustratifs ; selon le ministre du commerce Amara Ben Younes, il existe environ 790 entreprises chinoises[4] en Algérie opérant dans le secteur des BTP, hydrocarbures et import-export. Cette présence se traduit également par la présence de 40 000 ressortissants chinois, composée de travailleurs chinois sous contrats et leurs familles. Ces chiffres, qui sont susceptibles d’augmenter avec l’adhésion de l’Algérie à la BRI, traduisent l’importance qu’accorde la Chine au marché algérien.

En étant le pays le plus étendu de l’Afrique, l’Algérie avec sa profondeur sahélienne représente un atout stratégique imposant. Cet atout est mis en pleine lumière avec l’achèvement de la construction de la Transsaharienne, route pharaonique reliant la Méditerranée au golfe de Guinée en passant par 6 pays africains. Avec une voie terrestre allant d’Alger à Lagos, l’Algérie se positionne en tant qu’aorte du corridor Afrique-Maghreb central.

Transaharienne Alger-Lagos – C’est dans les années 1960 que ce projet a été conçu à l’initiative de l’Algérie et de la Commission des nations unies pour l’Afrique (CEA)

Cette position a été valorisée auprès de Pékin pour la construction du port Cherchell. Financé et mené par les chinois, le nouveau port à conteneurs pourra concurrencer ses voisins, notamment le port de Tanger, de Marseille ou de Valence. Véritable géant de la Méditerranée, il comportera des terminaux avec une capacité de 6.5 millions d’Equivalent Vingt Pieds. Ce port titanesque adossé à trois zones industrielles est capable de devenir une porte vers le Sahel et l’Afrique Subsaharienne.

Pour ce faire, le complexe portuaire Cherchell est relié à la Transsaharienne par un tronçon autoroutier opérant à désenclaver la bande sahélienne, riche en ressources et sans accès maritime. Les marchandises, particulièrement les produits chinois, peuvent atteindre les sols sahéliens plus facilement créant ainsi une nouvelle dynamique économique régionale et un environnement propice à l’accélération des échanges commerciaux. De surcroit, le complexe portuaire, ainsi que la Transsaharienne, sont à l’intersection de la route transmaghrébine, mettant ainsi en connectivité le Maghreb avec son voisinage Sud. Sous un angle plus large, l’initiative chinoise s’inscrit pleinement dans le cadre de la volonté de Pékin à accroître le commerce sino-africain et promouvoir les échanges Sud-Sud. En dépit de la hausse exponentielle qu’a connue le commerce sino-africain, les chiffres demeurent encore peu importants. Le complexe portuaire Cherchell serait alors la porte vers l’Afrique consolidant des liens commerciaux plus soudés entre le géant asiatique et le continent du futur.

Ce n’est pas seulement à travers ces infrastructures que l’Algérie pourra s’ériger en une porte vers l’Afrique, mais également à travers sa politique africaine. Dès son accès acharné à l’indépendance, l’Algérie s’est vu octroyé le nom de la « Mecque des révolutionnaires » poursuivant une politique des « Trois-Anti » : Anticolonialisme, anti-impérialisme et antiracisme.  Le gouvernement algérien a projeté de faire d’Alger le porte-étendard des luttes de libération nationale sur les plans politiques, économiques ou socio-culturels. Il a revendiqué ainsi l’instauration des relations Sud-Sud dans le but d’inverser le statut quo de la domination du Nord sur le Sud. C’est dans le cadre d’une politique panafricaniste que l’Algérie a su développer un réseau diplomatique très dense en accroissant son nombre de représentation et de visite diplomatique en Afrique et jouir de la confiance de la plupart des pays africains.

Il est à rappeler que, dans le fond de cette politique, l’Algérie a été un acteur majeur de la consolidation des relations entre la Chine et le continent africain qui ont permis de faire aujourd’hui de la Chine le premier partenaire commercial du contient et d’y consolider sa stratégie de la BRI. Les exemples ne manquent pas ; l’Algérie a suscité les pays africains au sein de l’Union Africaine afin de rejeter les sanctions occidentales entravant les relations économiques entre Pékin et le continent suite à la répression des étudiants de la place Tiananmen. Il en va sans dire que lors du 35ème sommet de l’Union Africaine, Alger a encouragé les pays africains de se ranger du côté de Pékin pour les projets d’infrastructures. Cette initiative a porté ses résultats avec l’instauration du Forum sur la Coopération sino-africaine en 2000 où les relations entre les deux parties ont désormais pris une dimension stratégique.

Dans le cadre de la BRI, la coopération sino-algérienne est susceptible d’être renforcée tel qu’annoncé par le président Tebboune. Ce renforcement vient en réponse aux changements que connaît le monde. Face à l’ampleur que prennent les secteurs du futur et la relative diminution de l’importance des hydrocarbures, l’Algérie se trouve dans l’obligation de rattraper son retard et privilégiera fort probablement encore son partenaire asiatique.  


Donia Jemli, Cheffe de pôle Afrique du Nord, diplômée de l’université européenne de Tunis. Elle se spécialise dans les relations internationales, diplomatiques et stratégiques.


[1] Opsit, Algérie : Quelle présence économique chinoise ? Revue Machrek-Maghreb. 2016, p.15.

[2] Ibid.

[3] Ibid.

[4]Ibid, p.6.