La stratégie mondiale “One Belt One Road” lancée en 2013, puis l’Initiative la Ceinture et la Route (BRI), par le président chinois Xi Jinping a pour but d’améliorer la connectivité et les échanges commerciaux entre les différents pays participants. Mais elle répond également à des objectifs intérieurs pour la Chine, comme le développement des provinces de l’Ouest chinois, oubliées de l’essor économique fulgurant depuis la stratégie d’ouverture mise en place par Deng Xiaoping à la fin des années 1970, qui a principalement donné lieu à la croissance économique des régions côtières de l’est, bénéficiant du commerce maritime d’export.

 Ainsi, la mise en place de l’initiative la Ceinture et la Route a pour but de développer le commerce entre ces régions intérieures et le reste du monde ainsi que de les désenclaver. Il est également important de noter que cet objectif s’inscrit dans le projet du “Rêve Chinois” (中国梦) du président Xi, qui souhaite améliorer la qualité de vie du peuple chinois et assurer une croissance plus homogène dans les années à venir.  Ainsi, un document partagé par la Chine en mai 2017 détaillant l’initiative précise : “Renforcer la construction d’infrastructures et promouvoir l’interconnexion transfrontalière et transrégionale constituent les domaines prioritaires de la construction conjointe de “la Ceinture et la Route”.”

Ces régions de l’Ouest subissant un retard de développement englobent six provinces : Gansu, Guizhou, Qinghai, Shaanxi, Sichuan et le Yunnan ; les cinq régions autonomes chinoises : le Guangxi, la Mongolie-Intérieure, Ningxia, le Tibet et le Xinjiang ; ainsi qu’une municipalité, Chongqing. Ces régions représentent plus de 70% du territoire chinois, et environ 30% de la population.

Par ailleurs, la mise en place de la BRI dans ces régions vient compléter un programme déjà créé par le gouvernement chinois en 2000 : le “Programme de développement de l’Ouest de la Chine” (西部大开发) visant également au développement des infrastructures, mais qui n’a pas suffi à désenclaver ces régions.

Densité de population par provinces chinoises, les investissements massifs de la BRI se situent dans l’ouest vers l’Asie centrale et les pays de l’ASEAN. Ainsi que dans les ports de l’Est pour la Route maritime de la soie

Ainsi, comment la BRI a-t-elle été mise en place dans ces régions, et a-t-elle permis un désenclavement de l’Ouest ainsi qu’une réduction des inégalités de richesse, buts recherchés par le Parti Communiste Chinois (PCC) afin de permettre l’harmonie sociale au sein du pays et la création d’une société de moyenne aisance à l’échelle nationale ? Quels sont les projets qui ont été mis en place à l’échelle de ces provinces en retard de développement ?

 Six corridors composés d’infrastructures ferroviaires et maritimes ont été créés afin de promouvoir les échanges commerciaux, et répondent à un double objectif : l’ouverture de nouveaux marchés aux produits chinois, ainsi que la réduction de la dépendance aux ports de l’est. Ils comprennent ; un corridor Chine-Pakistan, un vers l’Eurasie, un Chine-Mongolie-Russie, un partant de la Chine vers la péninsule indonésienne, un Bangladesh-Chine-Inde-Birmanie, et enfin un de Chine jusqu’à l’Asie centrale et l’Asie de l’Ouest. Afin d’attirer les investissements dans les régions de l’Ouest, certaines entreprises peuvent également bénéficier d’un taux réduit d’impôt sur les sociétés. Avec la mise en place en plus de la BRI, du Partenariat économique régional global (RCEP) en 2020, les régions de l’Ouest de la Chine pourraient être en mesure de concurrencer plus directement le Vietnam et les pays d’Asie du sud, en termes de coût de main d’œuvre et d’intégration dans le réseau de chaîne d’approvisionnement chinois.

Visuel des principaux corridor de la BRI

Selon les chiffres de la Banque Mondiale, le coefficient de Gini, indicateur servant à mesurer les écarts de richesse au sein d’un pays, était de 43,7 en 2010, avant le lancement de l’Initiative One belt One Road, et atteint 38,5 en 2016, montrant ainsi la réduction des inégalités. De même, le ratio de la population chinoise disposant de moins de 3,20 dollars par jour est passé de 28,6% en 2010 à 5,4% en 2016.

La mise en place de l’Initiative la Ceinture et la Route a réellement eu des effets sur le développement des régions de l’Ouest. Ainsi, le volume du commerce extérieur de la région autonome de Mongolie-Intérieure, dans le nord de la Chine, a atteint plus de 112 milliards de yuans (environ 17,6 milliards de dollars) de janvier à novembre 2021, représentant une hausse de 17,2%. Ses principaux partenaires sont la Mongolie et la Russie. De même pour le Tibet, dont le commerce extérieur a augmenté de 94,3% en glissement annuel au cours des 11 premiers mois de 2021. La région autonome au cours de cette période a réalisé des échanges avec 64 pays et régions du monde, le Népal étant son principal partenaire commercial.

Le district de Yubei de la municipalité de Chongqing, dans le sud-ouest de la Chine, va accélérer la construction d’une zone économique avec Chengdu dans les cinq prochaines années, selon Yu Huiwen, chef du Parti du district de Yubei, pour augmenter les flux financiers et technologiques à Yubei. Ainsi, cela permettra au district de devenir une force économique de premier plan dans la région Chengdu-Chongqing, avec un volume économique total de 320 milliards de yuans. Selon le média, le volume total des importations et des exportations devrait dépasser 1 000 milliards de yuans.

Au Ningxia, la région autonome a récemment publié le 14e plan quinquennal (2021-2025) visant à promouvoir l’initiative la Ceinture et la Route et un niveau plus élevé d’ouverture sur le monde extérieur. Ce plan vise en outre à ouvrir des routes aériennes nationales et internationales reliant le Ningxia aux pays et régions d’Asie centrale et d’Asie du Nord-Est, afin de favoriser la coopération et les échanges avec ces pays grâce à une meilleure connectivité.

Le média rapporte également d’importantes avancées dans le désenclavement du Xinjiang ; le port de Horgos a connu une augmentation très importante de ses exportations en 2021 à l’occasion de Noël, représentant une valeur de 298 millions de yuan (46,6 millions de dollars américains) en 2021, soit une augmentation de 97% par rapport à l’année précédente. Les produits sont principalement exportés vers le Kazakhstan, le Kirghizistan, l’Allemagne, et la Grande-Bretagne. Actuellement, 29 routes passent par Horgos, reliant ainsi la Chine à 45 villes et régions de 22 pays. De même, la région autonome a simplifié le processus de création d’entreprises, délai qui a été réduit à un jour ouvrable. Cette facilitation des procédures permettrait ainsi le développement économique de la région.

Ce développement a ainsi des effets sur les conditions de vie des populations de ces régions. Xihaigu, l’une des régions les plus pauvres de Chine, située au Ningxia, a selon les autorités locales vu son dernier district pauvre en 2020 sortir de la pauvreté, alors que cette région a été qualifiée d’“endroit le plus inadapté à l’habitation humaine” par les Nations Unies dans les années 1970. C’est également le cas du Xinjiang, sorti de la pauvreté en 2020 selon le gouvernement local. La région est composée du plus grand désert du pays, empêchant la population, faute d’infrastructures suffisantes, à avoir un accès aux services publics.

L’initiative la Ceinture et la Route a également fortement aidé la province du Gansu, qui possède un énorme potentiel pour jouer un rôle crucial dans la stimulation du développement de la Ceinture économique de la Route de la Soie. En 2014 s’est tenu le premier forum international sur la construction de “One Belt, One Road” et a notamment aidé à la mise en place de la section de la route dans le Gansu en apportant de nouvelles stratégies de développement. Le gouvernement local a ainsi favorisé la construction de routes, de voies ferroviaires à grande vitesse, les échanges commerciaux et technologiques avec les pays participant à l’initiative et les autres provinces chinoises, les échanges culturels et la création de nouveaux pôles de croissance. Ainsi, la région a réalisé lors des quatre premiers mois de 2014 un volume d’échanges de 2,3 milliards de dollars avec les pays asiatiques. De plus, 11 pays d’Asie centrale et occidentale, ainsi que d’Europe centrale et orientale ont établi 23 entreprises à capitaux étrangers dans le Gansu. En août 2019, le président Xi Jinping avait lui-même visité le Gansu, soulignant l’immense opportunité de développement s’ouvrant à la province grâce à l’initiative la Ceinture et la Route (BRI).

兰州新区 – La. nouvelle zone urbaine de Lanzhou est une zone spéciale d’administration économique et politique créée en 2012 ( Crédits – Davide Monteleone)

Ces opportunités sont notamment observables à Lanzhou, la capitale de la province, avec la construction d’un port ferroviaire et d’un port aérien, ainsi qu’une zone de libre-échange. La ville se veut à présent être un véritable hub ; en ayant ouvert des voies de train de marchandises internationaux “Lanzhou”, “Tianma”, “Jiayuguan”, “Jinzhangye”. En 2017, la ville avait signé 164 projets d’investissement pour un montant de plus de 111,4 milliards de RMB, signe pour le gouvernement local d’une croissance économique prometteuse. Autrefois, Lanzhou était ainsi une ville commerçante importante sur l’ancienne route de la soie, et cherche à revenir au premier plan en tant que future porte d’accès à la Chine occidentale et à l’Asie centrale dans le cadre des Nouvelles Routes de la Soie, grâce à un réseau de lignes ferroviaires et d’autoroutes reliant les usines chinoises aux marchés du reste de l’Asie et de l’Europe.

Ainsi en témoigne l’ouverture en 2016 d’une ligne ferroviaire de transport de marchandises entre Lanzhou et le Tibet. Mao Yuduo, directeur du département de l’économie, de la coopération et des services du gouvernement de Lanzhou a déclaré que “Lanzhou est située au centre du pays” et possède donc un avantage évident en étant “le plus grand centre logistique de livraison de marchandises de l’ouest de la Chine.” Étant donné cet emplacement privilégié, la Nouvelle Zone de Lanzhou a été construite, consistant en 800 kilomètres carrés au nord de la ville, regroupant une zone de libre-échange, des habitations et des infrastructures destinées à des industries pétrochimiques, biomédicales, ou automobiles.

Depuis 2014, le Gansu a exploité un total de 5 trains de marchandises internationaux en provenance d’Europe centrale, d’Asie centrale et d’Asie du Sud, constituant une valeur de 2,64 milliards de dollars. Les médias chinois ont également relevé  le niveau particulièrement important de développement du commerce de la région depuis 2014 ; en effet, le commerce cumulé de la région avec les pays situés le long de la “Ceinture et la Route” s’est élevé à 107,404 milliards de yuans, ce qui est supérieur à la moyenne nationale. La ceinture économique de la Route de la Soie traverse la province sur plus de 1600 km vers l’Ouest. En plus du nouveau district de Lanzhou, la région déploie des efforts pour transformer la région du Dunhuang en une ville de culture et de tourisme, notamment à l’international.

Le Sichuan est également concerné par le développement de projets dans le cadre des Nouvelles Routes de la soie. En 2018, la province a obtenu 150 grands projets dans le cadre de l’initiative, avec des investissements de 1,3 trillions de yuans. La province a mis en place un mécanisme de promotion des grands projets, comme par exemple le projet de supercondensateurs de la société Chengdu Xinzhu Corporation dans la parc industriel Chine-Biélorussie, parc créé également sous l’impulsion de l’initiative One Belt One Road.

Selon le gouvernement de la province, la BRI a entraîné depuis 2013 une augmentation annuelle moyenne de 10,6% de la valeur des importations et des exportations du Sichuan vers les pays situés le long de la route. Le nombre annuel de trains Chine-Europe depuis Chengdu, capitale du Sichuan, a dépassé 2000, reliant 67 villes et gares d’outre-mer. La ville était historiquement le point de départ de l’ancienne route commerciale de la soie du sud. Aujourd’hui, les villes Chengdu-Chongqing ont pour ambition de devenir une passerelle entre les centres économiques de la zone côtière et d’autres villes intérieures de la Chine.

Ainsi Chengdu, porte économique du sud-ouest de la Chine dans le cadre de la BRI, a atteint en 2016 un PIB de 182 milliards de dollars, se classant au 9e rang parmi les villes chinoises. Le taux de croissance de la ville en 2016 était de 7,7%, soit environ 1% de plus que la moyenne nationale. D’importants projets ont permis ce développement, comme l’établissement d’une zone de libre-échange établie en 2017 pour promouvoir le commerce entre la province du Sichuan et l’international, la construction d’un second aéroport international débutée en 2017, faisant de la ville une des seules en Chine, avec Shanghai et Pékin, à posséder deux aéroports internationaux, ou l’ouverture du réseau ferroviaire Chengdu-Pologne-Europe, permettant aux marchandises depuis la Chine d’atteindre l’Europe en 12 jours.

La zone de libre-échange de Chengdu couvre une superficie totale de 100 km2 et est composée de deux zones distinctes, la nouvelle zone de Tianfu (90,32 km2) et la zone du port ferroviaire de Chengdu Qingbaijiang (9,68 km2). La première zone concentre les industries de haute technologie et l’économie liée au transport aérien et aux services portuaires. La seconde donne la priorité au développement des services portuaires tels que la distribution internationale de marchandises, dans le but de devenir un point stratégique du corridor commercial international reliant la Chine à l’Asie du Sud-Est. 

Enfin, la province du Guangxi, région autonome au sud de la Chine qui borde le Vietnam et entretient à travers l’histoire une longue relation commerciale avec ce voisin, a également bénéficié de l’initiative. La région possède en effet l’avantage d’avoir une frontière terrestre avec un pays de l’ASEAN, faisant ainsi du Guangxi une étape importante dans le développement de la BRI. 

l’initiative la Ceinture et la Route a rapproché le Sichuan du monde grâce à des échanges avec les pays de l’ASEAN notamment

En 2015, la valeur totale du commerce dans la région s’élevait à 319 milliards de yuan, soit une augmentation de 15% en glissement annuel. En termes de partenaires commerciaux, la valeur des importations/exportations entre le Guangxi et les pays de l’ASEAN s’est élevée à 181 milliards de yuan, une hausse de 19,6% en glissement annuel, représentant plus de la moitié du commerce total. La valeur des importations et des exportations de la région avec les Etats-Unis et l’Europe est également en hausse. Le secteur du tourisme se développe ; le commerce frontalier avec le Vietnam et les pays de l’ASEAN étant en hausse ces dernières années, les gouvernements chinois et vietnamiens ont donné leur approbation aux “circuits transfrontaliers en voiture autonomes”. Ainsi, la ville de Dongxing a accueilli 6,711 millions de touristes en 2015, et la même année, 150 000 touristes ont demandé des permis d’entrée-sortie au bureau de tourisme de la frontière nationale de Dongxing.

Historiquement, le Guangxi a toujours joué un rôle important dans les échanges au sein des routes de la soie en tant que plaque tournante des routes maritimes et nouant des liens commerciaux avec les pays d’Asie du Sud-Est, servant ainsi le développement des échanges économiques et culturels et aidant au développement de la croissance économique chinoise. En plus de projets à l’échelle de la capitale Nanning, comme la construction d’autoroutes, de musées, de centres commerciaux ou de logements, il existe d’autres projets de plus grande ampleur comme le parc industriel Chine-Malaisie à Qinzhou (bien que celui-ci date d’avant le lancement de la BRI), ou encore une zone économique transfrontalière Chine-Vietnam. Le président Xi a ainsi souligné qu’il souhaitait que le parc industriel Chine-Malaisie de Qinzhou devienne un modèle pour les partenariats Chine-ASEAN. En effet, la Malaisie est le premier partenaire commercial de la Chine au sein de l’ASEAN.

Un autre des projets phare de la BRI dans la région est le China-ASEAN Information Harbor (CAIH) lancé en 2016, hébergé par la province du Guangxi, dont le but est d’améliorer la connectivité numérique entre la Chine et l’ASEAN, faciliter la transition numérique, ainsi que distribuer les normes numériques chinoises dans les pays de l’ASEAN. Le Guangxi, selon une circulaire publiée en 2020 présentant les tâches clefs à la construction de la BRI, souhaite continuer à promouvoir la construction de passages internationaux liés à l’ASEAN, et renforcer sa coopération avec les pays de cette dernière dans les domaines de l’innovation technologique, de la protection de l’environnement, de la sécurité ou encore des infrastructures.

Cependant, en dépit des opportunités offertes à la province par les Nouvelles Routes de la Soie, les défis pour la région restent nombreux ; d’abord, la persistance et même l’augmentation avec la mise en place de la BRI d’une fracture économique régionale, entre les zones bénéficiant ou non de projets liés à la BRI. Selon certains médias chinois, cette différence de niveau de développement entre les villes affecterait ultérieurement la stabilité du système économique de la région. Certains secteurs devraient également être encouragés dans la région, comme les industries de haute technologie ou le commerce électronique, contrairement aux domaines traditionnels dans lesquels le Guangxi s’est spécialisé, comme la pêche ou l’agriculture. De même, à Chengdu, la lenteur des transports ou l’accessibilité difficile du parc de Qinzhou et les problèmes de logistique ont ralenti les investissements étrangers et nationaux. Ainsi, pour continuer à attirer ces investissements, il est par exemple nécessaire de construire encore davantage de meilleurs réseaux de transports.

Si le développement de la BRI a permis un développement économique de ces régions, notamment par l’amélioration du réseau d’infrastructures, certains rapports soulignent qu’il existe toujours des différences structurelles qui n’ont pas encore été surmontées, comme la qualité du système éducatif ou la quantité d’investissements en recherche et développement, qui restent insuffisants en comparaison des villes côtières. De même en 2016, les régions plus riches de l’est de la Chine (Pékin, Fujian, Guangdong, Hainan, Hebei, Jiangsu, Shandong, Shanghai, Tianjin, Zhejiang) attiraient toujours plus des trois quarts des investissements étrangers en Chine en 2016.

Par Roxanne Andrieux, spécialisée en géostratégie, défense et sécurité à Sciences Po Aix-en-Provence et en chinese politics à l‘université Hankuk des études étrangères de Séoul