Le 16 octobre dernier, le premier train destiné aux voyageurs du Laos-China railway partait de Kunming en direction de Vientiane. Après 5 ans de travaux entre le Laos et la Chine, cette nouvelle ligne, projet phare des Nouvelles Routes de la Soie, sera inaugurée officiellement le 2 décembre, jour de la fête nationale laotienne. 

Le projet de relier Kunming à Vientiane ne date pas de la BRI. Celui-ci remonte à l’époque coloniale et a été relancé puis reporté à de nombreuses reprises depuis 2010. Le projet actuel est porté par la Greater Mekong Subregion et comporte 32 gares, 75 tunnels et 167 ponts dans un tracé de 414 kilomètres. Il devrait relier Bangkok via Nong Khai en Thaïlande, puis Kuala Lumpur (Malaisie) et Singapour. Les futurs trains à grande vitesse, dont la mise en route est pour 2031, permettront de relier Kunming à Vientiane en 6 à 7 heures au lieu, d’actuellement,  plusieurs jours de trajet par la voie routière.

Le nord du Laos, zone très montagneuse, n’est pas idéal pour la construction massive de chemins de fer mais s’est imposé comme un point d’entrée pour la construction de la ligne ferroviaire. Le tracé originel incluait deux voies, à l’est, traversant le Vietnam et à l’ouest entre le Myanmar et Bangkok. Cependant, les tensions territoriales entourant la mer de Chine méridionale entre le Vietnam et la Chine ainsi que les crises politiques répétées au Myanmar ont poussé Pékin à se tourner vers le Laos. Son emplacement géographique en fait un pays stratégique pour les Nouvelles Routes de la Soie. En effet, outre sa frontière commune avec la Chine, le Laos est un pivot géostratégique de la région : il est incontournable pour traverser l’Asie du Sud-Est et renforcer la connectivité de la région. Les projets développés au Laos dans le cadre de la BRI sont caractéristiques du type d’investissement effectué par la Chine dans la région.

Carte de la ligne de chemin de fer dans le nord du Laos
Source : Jessica DiCarlo, 2019

Ce projet n’avait pas encore vu le jour principalement pour des raisons financières, administratives et techniques entre le Laos, la Thaïlande et la Chine. Il a été lancé le 25 décembre 2016 à Luang Prabang lors d’une cérémonie sino-laotienne. Les premières étapes de la construction de la ligne de chemin de fer et l’autoroute consistaient à percer des tunnels dans les montagnes. Ils seront opérationnels en décembre 2021. L’étape suivante constitue, quant à elle, à la mise en place d’une voie rapide autoroute entre Vang Vieng et Vientiane sur 113 km. Les travaux sont menés par la Lao-China Joint Expressway Development pour un total de 1,3 milliards $. 

Alors que l’épidémie de Covid-19 explosait en Chine en mars 2020, le projet ferroviaire du Laos a été un des premiers à reprendre, après une courte pause. Un groupe de 40 ingénieurs chinois, des équipements et des matériaux ont été envoyés malgré la crise, ce qui démontre la résilience et la volonté chinoise dans la mise en place de la BRI. La question de la connectivité du pays est d’autant plus importante que le Laos ne possède pas d’accès à la mer. Les grands projets de désenclavement de la BRI via la mise en place de routes, de chemins de fer et de ponts permettront un repositionnement stratégique au sein de la péninsule indochinoise.

Le Laos ne serait plus un land-locked, mais un land-linked, positionné au cœur des réseaux d’échanges et de transports transnationaux. Par exemple, les 5e et 6e ponts de l’Amitié lao-thaïlandaise, construits au-dessus du Mékong, devraient permettre d’améliorer la connectivité du Laos avec les provinces thaïlandaises voisines. Cette future ligne n’est donc pas limitée à l’espace des Nouvelles Routes de la Soie, mais s’affirme bien plus largement, démontrant une compatibilité de la Chine avec l’ASEAN. La mise en avant d’une « communauté de destin » par Pékin démontre un changement de statut de Vientiane à présent incontournable pour achever ses ambitions.

Cependant, le Laos est un des pays les plus pauvres d’Asie du Sud Est et présente un fort risque de surendettement lié à la BRI, ce qui inquiète fortement le FMI depuis 2013. Une étude du Center for Global Development met en exergue les risques économiques liés, entre autres, à la construction de la ligne de chemin de fer entre la Chine et le Laos. Le projet est budgété à hauteur de 6 milliards de dollars, soit quasiment la moitié du PIB laotien. Pékin et Vientiane se seraient accordés sur un partage du financement à 70%-30%. L’investissement initial, permettant d’entamer les travaux, s’élève à de 2,38 milliards de $ et se partage entre le Laos, qui a contribué à hauteur de 715 millions de $, et la Banque chinoise de développement qui a prêté 1,67 milliards de $. Le gouvernement laotien s’est engagé à investir 50 millions de $ par an pendant 5 ans dans le projet, directement depuis son budget national. Il s’est aussi endetté à hauteur de 465 milliards de $ auprès de la Banque d’import-export de Chine, avec un taux de 2,3% sur 35 ans, les 5 premières années étant exemptées de remboursements. Le financement concernant les 60% restant est opaque, mais proviendrait de banques chinoises en contrepartie d’une participation dans l’entreprise sino-lao anne cogestionnaire du tronçon laotien, la Laos-China Railway Limited. Le ministre des Finances laotien avait assuré que le gouvernement ne garantirait pas la grande majorité des financements de la China EximBank, mais il semble pourtant que le Laos soit la dernière victime des dettes liées à la BRI. 

Source : Banque Mondiale

A un an du lancement de la ligne de chemin de fer, en décembre 2020, Vientiane s’est retrouvé en défaut de paiement face à son créancier chinois. Les réserves de changes laotiennes ne s’élevaient plus qu’à 1 milliard de 62 dollars, un montant inférieur aux remboursements liés à la dette du pays. Le gouvernement aurait demandé à Pékin, son principal débiteur, de restructurer sa dette. Selon le Lowy Institute, Vientiane serait endetté auprès de Pékin à hauteur de 45% de son PIB, pour une dette totale s‘élevant à 65% de son PIB. En contrepartie, la Chine a obtenu le contrôle de la majorité de l’entreprise nationale d’électricité laotienne, à présent détenue par la China Southern Power Grid Company, soulignant la volonté du Laos de ne pas se retrouver en défaut de paiement. L’agence chinoise Xinhua a déclaré que cet accord marquait “des progrès significatifs dans le renforcement d’une coopération gagnant-gagnant entre le Laos et la Chine dans le secteur de l’électricité”. Officiellement, le ministre de l’Énergie laotien s’est réjoui de cet accord, mettant en avant l’expérience technologique de la Southern Power Grid Company et les nouvelles perspectives offertes à l’industrie électrique laotienne. Pourtant, le Laos perd en partie sa souveraineté énergétique renforçant la mainmise de Pékin sur le pays. Plus encore, la Chine obtient un moyen de pression supplémentaire sur les pays voisins, et notamment la Thaïlande, eux aussi dépendants des exportations énergétiques du Laos.

Le projet chinois au Laos a aussi occasionné diverses préoccupations sociales et écologiques. En effet, les projets de la BRI demandent la mise à disposition de larges parcelles de terre, suffisantes pour la construction d’infrastructures. D’abord, près de 4000 foyers laotiens ont été contraints d’abandonner leurs terres en 2016 et ont fait face à de nombreux délais pour obtenir des compensations. Autre controverse, la majorité des ouvriers travaillant sur les chantiers étaient chinois, créant peu d’opportunités d’emplois pour les locaux. Mais encore, les travaux ont été la cible de plaintes de la part des habitants, pointant du doigt une dégradation de la qualité de l’air, de l’eau, l’accroissement du bruit et des problèmes de sécurité. Par exemple, un large ruisseau au nord de Vang Vieng, source d’eau essentielle pour les villages environnants, a été complètement bloqué durant la construction des voies ferrées. Cela a créé de nombreuses tensions pour l’accès à l’eau, les villageois étant obligés de parcourir plusieurs kilomètres pour accéder à une source. Ainsi, les effets à long-terme sur l’environnement, la biodiversité et la faune, et les impacts sociaux de la BRI au Laos soulèvent des questions sur les garanties offertes par Pékin face à ces risques.

Pylônes ferroviaires construits au-dessus de terres agricoles dans la province d’Oudomxay.
Source : Photo de Jessica DiCarlo, mars 2020.

La construction de la voie ferrée entre Kunming et Vientiane soulève de nouveaux défis à relever pour le Laos et la Chine. Pour Vientiane, il faudra être en mesure de répondre aux besoins des futurs flux de touristes chinois et de protéger son marché immobilier de la formation d’une potentielle bulle immobilière face à la demande croissante qui pèsera sur les habitats. Le projet laotien étant une vitrine pour la BRI en Asie du Sud-Est, les Chinois devront être en capacité de démontrer leur bonne volonté et leur flexibilité dans leur relation avec le Laos. En effet, le projet final de relier Kunming jusqu’à Singapour rencontre la réticence de certains pays, inquiets des velléités chinoises : il faudra donc les convaincre.


Par Liselotte Dubois Rédactrice au Pôle Asie de l’OFNRS