Face aux difficultés de remboursement de sa dette souveraine, le Laos est sur le point de céder le contrôle majoritaire de son entreprise nationale d’électricité à la société chinoise China Southern Power Grid, selon des informations révélés le 4 septembre dernier par l’agence Reuters.

Cette décision intervient en marges de virulentes critiques envers la Chine accusée de pratiquer une « diplomatie du piège de la dette » (debt trap diplomacy) au travers de son initiative des Nouvelles Routes de la Soie. Même si l’utilisation délibérée par Pékin de la dette pour renforcer son contrôle sur les petits pays en développement a été largement exagérée, la situation actuelle du Laos semble illustrer les risques encourus par les pays les plus pauvres.

La multiplication de couteux projets d’infrastructures

Depuis l’annonce de sa participation au projet chinois des Nouvelles Routes de la Soie en avril 2014, le Laos a multiplié les mégaprojets en coopération avec Pékin. La Chine considère en effet les nations du Mékong – à savoir le Myanmar, le Laos, la Thaïlande, le Cambodge et le Vietnam – comme une clé importante du succès de son initiative de la ceinture et de la route. Ces pays sont au cœur du projet de chemin de fer panasiatique, qui est l’un des principaux projets d’infrastructure de la ceinture économique de la route de la soie.

D’une longueur totale de 417 kilomètres, le couteux tronçon laotien de cette ligne de chemin de fer à grande vitesse qui reliera Vientiane – la capitale laotienne – avec la frontière chinoise est un projet pharamineux au vu de la modeste économie du pays. Le coût des travaux est en effet estimé à 5,9 milliards de $ ce qui s’explique notamment par les défis techniques considérables posés par le relief montagneux du Laos. Au total, ce projet ferroviaire nécessite la construction de près de 198 kilomètres de tunnels et 61 kilomètres de ponts. Si les conditions financières de nombreux éléments du projet demeurent opaques, il n’en reste pas moins que son coût représente près de la moitié du PIB du pays[1]. Certaines sources parlent d’un prêt de 465 millions de $ accordé par la China Exim Bank à un taux d’intérêt de 2,3%, un délai de grâce de 5 ans et une échéance de 25 ans.

Un creusement dangereux de la dette laotienne vis-à-vis de Pékin

La multiplication de couteux projets d’infrastructures dans le cadre de la BRI ont rapidement fait de la Chine le principal créancier du Laos. En l’espace d’une décennie, les prêts bilatéraux officiels de Pékin sont passés de 100 millions de dollars américains à environ 3,8 milliards de $ en 2018. Comme l’illustre le graphique ci-dessous, les flux d’Investissements Directs Étrangers (IDE) chinois ont connu une très forte augmentation depuis 2012.

Les IDE entrants au Laos par pays

C’est pourquoi le Fond monétaire International dans un rapport publié en Août 2019 n’avait pas manqué de souligner un risque de surendettement élevé doublé d’un accroissement de l’exposition à un seul créancier, la Chine, qui détient désormais près de 43% de la dette extérieure du Laos. Selon une étude de l’Institut Lowy de Sydney, cette dette du Laos envers la Chine représenterait environ 45% de son PIB.

Parts de la dette publique totale

Dès lors, le pays est désormais considéré comme le pays d’Asie du Sud-Est qui risque le plus de se retrouver en défaut de paiement vis-à-vis de son créancier chinois. A l’heure actuelle, la dette souveraine du Laos s’élève à 12,6 milliards de $, ce qui représente 65% de son PIB.

De plus, les différentes estimations, notamment celles de la Banque mondiale, ne sont pas très encourageantes. Cette dernière a annoncé que la dette laotienne pourrait atteindre 68% de son PIB en 2020 contre 59% en 2019. L’agence de notation Moody’s a quant à elle mis en garde contre une « probabilité de défaut de paiement à court terme », déclarant alors que le pays était confronté une « grave crise de liquidité, étant donné les importants paiements de la dette qui arrivent à échéance cette année et qui persisteront jusqu’en 2025 ».

Le Laos avait pourtant été relativement épargné par les conséquences sanitaires de la pandémie de coronavirus, n’enregistrant que 22 cas de contamination et aucun cas de décès lié au coronavirus. Néanmoins, l’économie laotienne fut fortement impactée par la baisse brutale de ses revenus issus de l’activité touristique. En résulta une baisse drastique des flux de devises dans le pays, faisant aujourd’hui craindre le défaut de paiement. Au mois de juin dernier, les réserves de change du pays s’élevaient à 731 millions d’euros, une somme largement insuffisante pour faire face aux 846 millions d’euros de service de la dette que le pays doit verser chaque année jusqu’à 2024.

Quelles perspectives de sortie de crise ?

Selon les informations du Financial Times, les responsables du ministère laotien des finances ont demandé à la Chine des conseils sur un éventuel allègement de la dette. L’accord négocié entre l’entreprise publique Électricité du Laos et la China Southern Power Grid Co témoigne d’une volonté du gouvernement laotien d’éviter à tout prix de se retrouver dans une situation de défaut de paiement vis-à-vis de la Chine. 

Si le Laos peut être éligible à l’aide du Fond monétaire international dans le cadre de son programme d’assistance financière et d’allègement du service de la dette, le gouvernement a déclaré qu’il préfèrerait essayer de trouver une solution directement avec la Chine dans l’optique d’éviter toutes exigences de transparences financières requises par le FMI.

Il n’en demeure pas moins que par le passé, le gouvernement chinois a accordé des allègements de dette de manière ad hoc, au cas par cas.

A l’inverse d’autres grands créanciers, la Chine s’est en effet généralement abstenue de participer aux discussions multilatérales d’allègement de la dette au sein des instances financières internationales comme le FMI. A ce titre, la Chine n’est pas membre du Club de Paris, un groupe informel de créanciers publics qui traite des défauts de paiement des pays surendettés. Par conséquent, Pékin n’est pas tenu d’agir en solidarité avec les membres du Club de Paris, ni même d’informer ce dernier de la gestion de ses activités de crédit.

En l’absence d’un cadre multilatérale qui viendrait définir clairement l’approche chinoise en matière de problèmes de viabilité de la dette, il apparait difficile de prédire le sort du Laos. On notera tout de même qu’il existe un précédent puisqu’en 2006, le Président chinois de l’époque, Hu Jintao, avait accordé au pays une remise de dette de 45 millions de dollars américains.


[1] https://www.cgdev.org/sites/default/files/examining-debt-implications-belt-and-road-initiative-policy-perspective.pdf


Par Eugénie Davi, Analyste pour l’OFNRS