Émir de Transoxiane et conquérant de la route de la soie

Par Henri ChéronRédacteur d’articles historique pour l’OFNRS

Si la route de la soie a connu de grands conquérants qui sont connus presque partout dans le monde comme Alexandre le grand ou Genghis Khan, d’autres moins connus mais tout aussi essentiels dans l’Histoire de la route de la soie mérite notre attention. C’est le cas du personnage que nous allons découvrir aujourd’hui. L’histoire de Tamerlan fait intégralement parti de la route de la soie, il est à fois le fruit de cette dernière et un acteur qui a profondément marqué cette partie du monde.

C’est un enfant de la route de la soie car c’est un turco-mongol de religion islamique et imprégné de culture persane. Il est donc le fruit des invasions mongoles du début du XIIIème siècle et de la domination islamique à partir du VIIIème siècle (cf notre article sur la bataille de Talas). C’est un acteur majeur de la route de la soie, il l’a en partie faite, car il a établi un empire qui va de l’Anatolie jusqu’en Inde. Il avait d’ailleurs l’intention d’attaquer la Chine, mais il est mort en chemin.

Tamerlan nous montre que la route de la soie n’est pas qu’un concept géographique et historique abstrait ou juste le passage des caravaniers, mais bien une réalité concrète. L’émir a même fait de cette région un empire qui a un nom : l’empire timouride.

Tamerlan est de ces conquérants à la fois cruels et géniaux, qui inspirent la terreur et le respect, même cinq siècles après sa mort. Il est à la fois le fléau de l’Asie centrale, avec ses fameuses pyramides de crânes, et l’un de ces plus grands mécènes en faisant de Samarcande, sa capitale, une ville magnifique à l’architecture extraordinaire, un véritable joyau de la route de la soie.

Contexte

Environ un an après la naissance de Timour (véritable nom de Tamerlan), en 1336, le roi de France et le roi d’Angleterre commencent à s’affronter dans un conflit qui durera plus de cent ans. Plus à l’Est, en Anatolie, un empire issu d’une tribu turque émerge en contrôlant le nord-est de l’Anatolie, c’est l ’empire Ottoman. L’Asie centrale, région de naissance de notre conquérant, est divisée depuis 1334 (soit deux ans avant la naissance de Timour) entre la Transoxiane islamique du khan djaghataïde Tarmachirin qui s’est convertit à l’islam la même année et le Mogholistan bouddhiste.

C’est dans ce contexte d’un empire mongol déclinant et divisé que va naitre et grandir Timour, sans doute que cette situation va permettre l’ascension du futur conquérant. Il faut un personnage au caractère affirmé, aux idées ambitieuses et dans un contexte propice pour qu’un grand conquérant surgisse.

On notera que le contexte particulièrement violent du XIVème siècle partout dans le monde, permets de relativiser le degré de violence de Tamerlan sans pour autant excuser les massacres disproportionnés qu’il a commis et la politique de terreur qu’il a menée tout le long de son règne. On estime en effet ses victimes entre 1 et 17 millions de personnes (soit environ 5% de la population mondiale de l’époque !).

Il s’inscrira dans la grande tradition de conquête et de terreur mongole depuis le XIIème siècle. Il est d’ailleurs un héritier de cet empire mongol. On notera aussi que, comme les Mongols, il n’a jamais créé d’administration dans les territoires qu’il a conquis. Il ne se souciait peu de l’efficacité politique, ses conquêtes se résumaient à anéantir ses adversaires, massacrer les populations qui lui résistaient et en épargner une partie (artiste, architectes, artisans, intellectuels) qu’il envoyait à Samarcande pour embellir sa capitale.

Jeunesse et début

Né le 8 avril 1336, à Kech, un village près de Shahrisabz, son père est un chef Turc musulman à la tête du clan Barlas. On attribue à sa naissance une légende selon laquelle son père aurait fait un rêve prémonitoire dans lequel un ange lui apparaissait en lui tendant une épée, annonçant par-là que son fils allait devenir un grand conquérant.

Son nom de naissance est en réalité Timour, ce qui signifie fer ou acier en langage turco-mongol. Le nom de Tamerlan qui est couramment utilisé pour nommer la conquérant vient en fait de Timour Lang qui signifie « Timour le boiteux » en Persan. Ce surnom viendra d’une blessure qu’il a reçue à la jambe pendant une bataille.

En Ouzbékistan il est appelé encore aujourd’hui « Amir Temur », amir est en fait le titre « d’émir », les Ouzbeks préfèrent cette appellation moins péjorative que Timour le boiteux.

Le père de Timour, Taragay est l’arrière-petit-fils de Karachar Noyan, premier membre du clan à se convertir à l’islam. Taragay préférait les études plutôt que d’assumer les hauts rangs militaires qui lui était dus par héritage. Timour bénéficie donc d’une éducation tourner vers les études, bien que certains disent qu’il n’apprenne jamais à lire ni à écrire. Son éducation est essentiellement tournée vers l’étude et la lecture du Coran ainsi que vers l’apprentissage de l’Histoire, sans pour autant délaisser les exercices physiques comme tout turco-mongol.

On raconte qu’à cette époque, il était de nature calme et sympathique, contrastant avec l’incroyable cruauté dont il fera preuve en tant que conquérant.

Timour devient un chef militaire dès l’âge de seize ans, il sert Kazghan, mais ce dernier meurt en 1357 ce qui interrompt la carrière du jeune guerrier. Timour se tourne alors vers Tughluk Temür, khan du Mogholistan, qui souhaite réunifier le khanat de Djaghataï après la mort du dernier Khan, djaghataïde Qazan, en envahissant la Transoxiane. Il est nommé conseiller du fils de Tughluk. Cependant, devant l’incapacité de ce dernier à rallier les populations turcques islamiques, Timour craint la révolte et quitte Samarcande pour rejoindre Husayn, le petit-fils de Kazghan.

Les deux associés conquirent un vaste territoire, conquête facilitée par la mort de Tghluk. Devenus rivaux, Timour assassine son ancien allié en 1370 et prend la tête du Knant sans pour autant se proclamer Khan mais « amir al-kabir » (« grand prince » en arabe). Il place sur le trône un « Khan fainéant », Soyurgatmich, descendant de Gengis Khan, afin de respecter le Yasak, la loi mongole. Tamerlan devient aussi gendre impériale en épousant une veuve d’Husayn, Saray Mulk Khanum qui est la fille du khan gengiskhanide Qazan. Tamerlan lui dédira plus tard une mosquée.

Le temps des conquêtes

Devenu souverain, plus exactement émir de Transoxiane, Tamerlan fait de Samarcande sa capitale. Il va passer les trente prochaines années de sa vie à conquérir les régions de la route de la soie. En détruisant ses ennemies mais aussi en massacrant, terrorisant et détruisant la population et les villes qui lui résiste. Ses adversaires sont divers, mongols, indiens, turcs ou perses, tous subiront le fléau que constitue l’émir Timour, Timour le boiteux.

En Asie centrale

La conquête de l’Asie centrale, berceau naturel du futur empire timouride, commence dès 1380. Il lui faut une dizaine d’année pour annexer la Perse (Iran), de la Transoxiane et du Khorasan.

Pour cela, il se dote d’une armée composite, constituée des diverses populations de son empire, à l’image de la diversité marquant la route de la soie. On note la présence des Turcs et des Mongols, mais aussi des Afghans, des Perses puis des Indiens du Nord. Les soldats de Tamerlan se partagent le butin et les promotions. Ces dernières se font d’ailleurs en fonction du mérite et non de l’origine.

Les régions conquises subissent la cruauté de Tamerlan, les villes assiégées doivent se rendre immédiatement si elles veulent être épargnées de la colère de Timour. Dans le cas contraire, elles sont pillées et la population est massacrée. Cette cruauté est illustrée par les fameuses pyramides de Timour. Ces pyramides de crânes contiennent chacune d’elles environ 1500 têtes.

Parfois, se rendre ne suffit pas, comme à Ispahan où Tamerlan massacre l’intégralité de la population, soit environ 42 000 morts (28 pyramides d’environ 1 500 crânes chacune). À Bagdad, il ordonne à ses soldats de revenir avec deux têtes coupées chacun.

Dans sa clémence et sa sensibilité intellectuelles et artistique, Tamerlan épargne les savants, les écrivains, les artistes, les architectes et les religieux. Ces derniers sont conduits à Samarcande pour mettre à profit leurs talents. C’est comme ça que la ville devient alors un grand centre artistique et intellectuel.

En Russie contre la Horde d’or

Tamerlan affrontera la horde d’or, car cet ensemble de tribus mongoles installées en Russie menace la route de la soie qui fait la richesse du souverain d’Asie centrale. Timour bat Tokhtamych, khan de la horde d’or (et ancien allié de Tamerlan), car ce dernier voulait s’emparer de la Transoxiane après avoir trahi Timour. Allant jusqu’en Sibérie pour traquer son ennemie mongol, Tamerlan ira jusqu’à Kazan, s’emparera de l’Astrankhan sur la Volga et détruit les forteresses qui permettaient à la horde d’or de contrôler le pays.

En inde

Les ambitions de Tamerlan ne se limitent pas à la seule Asie centrale. Il poussera jusque dans le nord de l’Inde. La région en question, dominée depuis le XIIIème siècle par le sultanat de Delhi, est la proie de guerres civiles. Considérant cette situation comme une menace, Tamerlan intervient, il franchit l’Indus, bat l’armée devant Delhi, fait le siège de la ville, la prend, la pille et massacre la population comme à son habitude (même si certains disent qu’il n’avait pas ordonné la destruction de la ville mais que son armée était alors incontrôlable).

Contre les ottomans

Les conquêtes de Tamerlan se dirigent aussi vers l’Ouest, contre un rival avec lequel il échange des lettres d’insultes. L’empire Ottoman, à l’époque de ses débuts, s’empare peu à peu du territoire de l’empire Byzantin. Il parvient même à battre l’armée croisée venue soutenir l’empire Romain agonisant. Cette victoire contre les croisées à Nicopolis permet même au Sultan turc de se concentrer sur Constantinople.

Le cours de l’Histoire est alors bouleversé par l’arrivée du fléau venu d’Asie centrale. Fléau pour les uns mais soulagement pour les autres. Tamerlan, en effet, bien que fervent musulman sunnite souhaitant réinstaurer un empire de l’islam comme les abbassides, s’entend avec les puissances chrétiennes concernées (Gênes, Venise, l’empire byzantin et l’empire de Trébizonde) contre les Turcs qui sont pourtant musulmans sunnites comme lui. Alors âgée de 64 ans, Timour bat d’abord les mamelouks (puissances islamiques principale à l’époque) à Alep et à Damas non sans ravager cette dernière. Ce phénomène est d’autant plus incongru que Timour n’envisage d’annexer ni l’Anatolie, ni la Syrie.

Après un détour à Bagdad en 1401, car cette dernière refuse de se rendre (elle sera finalement prise et 25 000 habitants seront massacrés), Tamerlan se dirige dans la région d’Ankara où il va enfin affronter le Sultan Bayezid 1er (Bajazet 1er en français) le 20 juillet 1402.

La bataille d’Ankara est spectaculaire, elle oppose les 140 000 hommes de Tamerlan au 85 000 soldats ottomans. Grâce en partie, à ses 32 éléphants qu’il a ramenés d’Inde et qui semèrent la panique parmi les chevaux des cavaliers Turques.

Malgré le courage des gardes du corps du Sultan Turc, ce dernier fut capturé et livré à Tamerlan qui avait alors remporté une victoire écrasante sur son adversaire. C’est la première et dernière fois dans l’Histoire qu’un sultan ottoman est capturé et emprisonné, ce dernier se suicidera en prison après huit mois de captivité.

Cela n’empêchera pourtant pas l’empire Ottoman de, plus tard dominer le monde musulman, de conquérir Constantinople et de menacer l’Europe, alors que l’empire de Timour ne lui survivra pas réellement.

Cette victoire confirme la domination de Tamerlan sur la route de la soie et retarde la chute de l’empire Byzantin de quelques années, bien que Tamerlan ait aussi dévasté la Géorgie et massacré la population de Smyrne (aujourd’hui Izmir) qu’il a prise aux chevaliers de Rhodes.

Une dernière campagne en Chine ?

Cette épopée de conquêtes aurait pu continuer jusqu’en Chine, l’ambition de Tamerlan semblant sans limite mais le souverain de la route de la soie meurt de la fièvre et de la peste le 18 février à Otrar (dans l’actuel Kazakhstan). Personne ne sait quels ravages il aurait perpétré dans l’empire des Ming, jusqu’où il serait allé ni quelles en aurait été les conséquences.

Son héritage, l’éclatement de son empire

Bien qu’ayant bâti un empire immense allant de l’Anatolie jusque dans le nord de l’Inde, cet empire Timouride est assez peu connu du grand public. La raison est la succession du conquérant. Les conquêtes de Timour ont essentiellement consisté à piller, massacrer et soumettre. S’il a aussi été un grand bâtisseur et a beaucoup contribué à l’essor culturel de l’Asie centrale, il ne s’est en revanche que très peu soucié d’assurer le contrôle effectif de ses conquêtes. Il n’a pas développé d’administration ni mis en place un système politique permettant de gérer les provinces conquises. À l’image des tribus mongols en dehors de la Chine, il s’est contenté de soumettre des territoires. La conséquence est que son empire ne lui survivra que pendant un siècle (ce qui n’est pas si mal) et très difficilement.

Le morcellement du territoire conquis après la succession de Tamerlan est aussi une des raisons de l’aspect éphémère de l’empire. Les deux fils de Timour (Djahangir et Omar Cheikh Ier) sont morts dans le dernier quart du XIVème siècle. Son petit-fils, Pir Muhammad (fils de Djahangir) est désigné héritier de l’empire par Tamerlan, mais ce dernier a prévu d’attribuer des territoires à chacun de ses descendants (bien que Pir Muhammad bénéficie de l’autorité suprême) ce qui a pour conséquence le morcellement de l’empire. Affaibli par les luttes intestines et extérieures, l’empire timouride décline jusqu’en 1507, date à laquelle les Ouzbeks de la dynastie des Chaybanides, descendants de Gengis Khan, mettent définitivement la main sur les territoires restants.

L’empire des Séfévides (appelés aussi Safavides), puissance Perse, succède à l’empire timouride en tant que principale entité dominante de la route de la soie dans cette région du monde. Mais plus à l’Ouest, l’empire Ottoman se chargera de changer cette situation, lors de la bataille de Tchaldiran, où le sultan Selim 1er écrasera les Safavides.

On notera que l’empire Moghol, empire indien que les Britanniques vaincront au milieu du XIXème siècle, a été fondée par timouride, un des successeurs de Tamerlan.

Anecdote et légende

Une première anecdote concernant Tamerlan nous ramène juste après la bataille d’Ankara, au moment où Bayezid 1er est amené prisonnier dans la tente du vainqueur. Timour aurait alors éclaté de rire en voyant Bajazet. Ce dernier dit alors au vainqueur « Tu as tort de te moquer de moi, regarde ce qui m’est arrivé, cela pourrait aussi bien t’arriver ! », Tamerlan répondit alors : « Je ne me moque pas de toi, mais de l’ironie d’Allah qui a partagé le destin du monde entre un borgne et un boiteux ! ».

La deuxième anecdote évoque une malédiction qui concernerait la sépulture de Tamerlan. En effet le « Gour Emir », mausolée et lieu de sépulture du conquérant, situé à Samarcande, fait l’objet d’une légende. Sur le cénotaphe de Tamerlan ; une inscription gravée dit : « Lorsque je reviendrai à la lumière du jour, le monde tremblera ». Les soviétiques alors peu superstitieux, avait exhumé le corps pour l’analyser dans la nuit du 22 juin 1941, Hitler déclencha l’opération barbarossa. Le corps fut remis dans sa tombe, en novembre 1942, juste avant la bataille de Stalingrad…

Une troisième anecdote affirme que la veille de la bataille d’Ankara, l’un des généraux de Tamerlan avait stationné ses éléphants à l’endroit même où se situe aujourd’hui l’aéroport d’Ankara.

Tamerlan et la route de la soie

Le règne de Tamerlan ne se limite pas à ses conquêtes ni aux désastres qu’il a commis, il a aussi beaucoup contribué à l’essor culturel, intellectuel et architectural de la Transoxiane et plus particulièrement de Samarcande. En effet, en concentrant un certain nombre d’artistes, intellectuels et autres architectes (qu’il a capturé lors de ses campagnes militaires) dans sa capitale, Tamerlan a fait de Samarcande un véritable trésor, un endroit incontournable, aussi bien du tant des caravanes qu’aujourd’hui. L’architecture unique de Samarcande, encore visible aujourd’hui, témoigne de la grandeur passé (et peut-être à venir) de la ville. Cette architecture a d’ailleurs influencé l’architecture islamique jusqu’en Inde. Les chapiteaux cannelés des mosquées de la capitale Ouzbèke est d’ailleurs une particularité de cette dernière.

Conclusion

Si Tamerlan ou Amir Timour est célèbre pour sa cruauté et ses massacres lors de ses conquêtes, il a contribué de manière significative à l’Histoire de la route de la soie. Le souvenir du conquérant, véritable fléau de son époque, est encore bien vivant dans les mémoires. Les ouzbeks sont fières de ce personnage historique qu’il refuse d’appelé Tamerlan mais plutôt Amir Timour, car plus valorisant. Comme beaucoup de conquérant des temps anciens, Tamerlan est un personnage complexe. Il est à la fois cruel et grand mécène, fléau destructeur et grand bâtisseur. Ne regardons pas regarder Tamerlan avec le prisme du bien et du mal mais plutôt le voir qu’en étant à la fois un fruit et acteur de son époque.

Impossible de parler de l’Histoire de la route de la soie sans évoquer ce personnage fascinant. D’abord parce que son importance, le rôle qu’il a joué le rend incontournable. Ensuite parce les traces qu’il a laissées (Samarcande) témoigne de son passage. Enfin, parce que Tamerlan est véritablement un enfant de la route de la soie. Il est en effet le fruit du mélange de la culture mongole, turque, perse et islamique. Il est aussi influencé par les cultures des territoires qu’il a conquis, à l’image de son armée composée des différents peuples de la route de la soie. En conquérant, il a également provoqué ces échanges culturels (non sans en anéantir certains). En créant son empire, Tamerlan a contribué à construire la route de la soie.

Ceux qui passeront par les territoires de son ancien empire seront les témoins de sa grandeur passée, les nouveaux marchands de la route de la soie ainsi que les touristes traverseront ces régions sous l’ombre de Timour.