Par Adrien Mugnier
Depuis des siècles, la Chine et la région du Moyen-Orient entretiennent des liens commerciaux, culturels et politiques. Des villes comme Damas ou Baghdad bénéficièrent grandement de cette connexion à l’Asie orientale par le biais de la route de la soie. Ces deux villes, respectivement capitales du califat omeyyade puis abbasside, étaient parmi les cités les plus avancées de leur temps.
Plus récemment, les liens entre les deux entités prirent fin à l’issue de la Seconde Guerre mondiale : le Moyen-Orient devenant le « terrain de jeu » des deux nouveaux impérialismes (occidental et soviétique) et la Chine devant faire face à une guerre civile (qui opposa les nationalistes aux communistes). Toutefois, en mai 1956, la récente République arabe d’Égypte de Gamal Abdel Nasser fut le premier État moyen-oriental à établir des liens diplomatiques avec la jeune République populaire de Chine. En réalité, en 1950, l’État d’Israël fut le véritable premier État à la reconnaître, mais la Chine rejeta alors l’idée d’établir une diplomatie commune avec lui du fait, tout d’abord, du soutien américain envers l’État hébreu, mais aussi car ce dernier occupait des territoires palestiniens. Or, pour la République populaire, l’idée de libération des peuples prédominait.
Lorsque le président Xi Jinping lança la Belt Road Initiative en 2013, celle-ci s’inscrit dans la droite lignée de la longue Histoire qu’avait entretenu la Chine avec le Moyen-Orient. Ce projet vise à mettre en place un grand marché entre la Chine et les États qui souhaiteraient y adhérer. Toutefois, la BRI n’a pas qu’un but commercial, il s’agit aussi de promouvoir les échanges culturels et technologiques. Ici, nous nous concentrerons principalement sur les projets chinois au Moyen-Orient.
Pourquoi cet intérêt pour la région ? Il semblerait que la politique chinoise au Moyen-Orient semble aller de concert avec la volonté des États-Unis de ne plus intervenir dans la région comme cela a pu être le cas par le passé (Opération TP-AJAX en 1953, guerre d’Afghanistan en 2001, guerre d’Iraq en 2003…). Cet interventionnisme américain dans la région était moins lié au pétrole qu’à la consolidation de ses alliances face aux périls successifs : d’abord communiste lors de la Guerre froide, puis islamiste lors de la « War on Terrorism » voulue par l’administration G. W. Bush.
Le cas le plus significatif de ce « remplacement » dans la région est celui de l’Iran. Depuis le retrait américain du JCPOA [Joint Comprehensive Plan of Action] et la menace de sanctions à l’égard des entreprises qui continueraient de commercer avec la République islamique, la Chine y a vu une opportunité économique et mais aussi stratégique. En pleine guerre commerciale avec les États-Unis de Donald Trump, le vieil adage « l’ennemi de mon ennemi est mon ami » a permis un rapprochement entre les présidents Xi et Rohani. Ainsi, suite au départ annoncé de l’entreprise française Total du pays, l’Iran se tourna vers la Chine pour son projet gazier South Pars. Pour cela, en août dernier, le groupe China National Petroleum Corp affirma avoir acheté 80,1 % des parts de la phase 11 du South Pars.
Au plus haut sommet de l’État iranien, le Guide Suprême de la Révolution, Ali Khamenei, salua le Belt Road Initiative comme étant une bonne idée. Même son de cloche du côté du président Hassan Rohani qui a plusieurs fois souligné l’importance d’une collaboration entre les deux États. Pour l’Iran, ce partenariat lui permettrait de relancer son économie et de devenir un acteur économique important sur la scène international, à l’instar de ses voisins pétroliers du Golfe.
Actuellement, le projet principal entre la Chine et l’Iran est la ligne à grande vitesse Téhéran-Qom-Ispahan, pour lequel la Chine participerait à hauteur de 40 %. Il répond aux perspectives démographiques de l’Iran : d’ici vingt ans, chaque année, près de 12,5 millions de personnes devraient bénéficier de cette ligne.
Sur la période 2012-2016, les compagnies chinoises furent les principaux investisseurs et constructeurs d’infrastructures de transport en Iran. En 2015, le ministre iranien des routes et du développement urbain, Abbas Akhondi, dressa une liste de 121 projets de transport nécessitant un investissement étranger et estima à 14,5 milliards de dollars la somme annuelle nécessaire à l’Iran pour développer ce secteur pour la décennie à venir.
Mais l’Iran n’est pas le seul partenaire moyen-oriental de la Chine dans la BRI. On pourrait, par exemple, parler du rapprochement sino-israélien. Ces derniers jours, le vice-président chinois, Wang Qishan, a effectué une visite dans l’État hébreu (fait symbolique car aucun dignitaire chinois de ce rang ne s’y était rendu depuis 18 ans). Il faut dire que depuis quelques années la Chine y a investi près de 25 milliards de dollars. « La technologie et l’innovation israéliennes, l’industrie, l’expertise et les marchés chinois, sont une combinaison extrêmement puissante » a, par ailleurs, confié le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou suite au projet de créer un marché commun en 2019. Cette initiative fait écho à une précédente annonce de B. Netanyahou, en septembre, de l’arrivée prochaine de 20 000 travailleurs chinois en Israël dans le secteur de la construction.
Par ailleurs, il y a quelques mois, nous avions rédigé deux articles sur les liens entre la Chine et le Koweït, et Oman, dans le cadre de la Belt Road Initiative.
Par le biais de sa politique au Moyen-Orient, la Chine est parfois perçue comme le futur « stabilisateur en chef » de la région (cf. « Could China be the Middle East’s stabiliser-in-chief? », South China Morning Post). En effet, en juillet, Xi Jinping a promis à la Ligue Arabe un investissement de 20 milliards de dollars sous forme de prêts et 90 millions destinés à la reconstruction et aux projets humanitaires en Syrie, au Liban, au Yémen et en Jordanie. Selon le président Xi, « la Chine voudrait rejoindre les États arabes afin de devenir le gardien de la paix et de la stabilité au Moyen-Orient, le défenseur de l’équité et de la justice, le promoteur du développement commun, et que nous devenions des amis qui apprendraient les uns des autres. »
Toujours dans cette volonté de stabiliser la région, le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, s’est rendu en août dernier au Caire où il s’est exprimé sur la relation israélo-palestinienne. Au cours de cette allocution, il a exhorté le gouvernement israélien à lever le blocus contre l’enclave palestinienne de Gaza, en place depuis 2006, et a jugé « d’inacceptable toute action impliquant un usage excessif de la force faisant des victimes civiles ».
Le terme de smart power est défini par le Center for Strategic and International Studies comme étant « une approche qui souligne la nécessité d’une armée forte, mais qui investit également beaucoup dans des alliances, des partenariats et des institutions à tous les niveaux afin d’étendre son influence et d’établir la légitimité de son action. » La Belt Road Initiative semble s’inscrire dans cette approche de la puissance chinoise : à mi-chemin entre le soft power (notamment avec l’ouverture d’instituts Confucius dans le monde, l’apprentissage de la langue chinoise ou la création du Forum de la coopération sino-africaine en 2000) et le hard power (une puissance économique, démographique, politique et militaire indéniable).